Tour de France 2024 : manque de leaders, frilosité des sponsors, internationalisation... Pourquoi le cyclisme italien est au creux de la vague

L'Italie, qui a toujours eu des champions capables de gagner des Grands Tours, marque le pas depuis une décennie.
Article rédigé par Théo Gicquel - De notre envoyé spécial à Florence
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
Le dernier vainqueur Italien en Grand Tour, Vincenzo Nibali, salue le Slovène Tadej Pogacar sur le podium de la 15e étape du Giro, le 19 mai 2024. (MAXPPP)

L'histoire du cyclisme italien regorge de grimpeurs qui ont marqué l'histoire du Tour de France : le pionnier Ottavio Bottecchia, premier vainqueur transalpin en 1924, les inséparables Fausto Coppi et Gino Bartali, et plus récemment Marco Pantani et Vincenzo Nibali.

Mais depuis la victoire de ce dernier sur la Grande Boucle en 2014, le cyclisme italien traverse une période de creux. Le même Vincenzo Nibali a remporté le Giro en 2016 et la comète Fabio Aru s'était adjugé la Vuelta en 2015, mais depuis plus rien. Une petite éternité pour les Transalpins, habitués à garnir les palmarès des Grands Tours à toutes les époques. "L'Italie ne gagnera pas encore le Tour de France cette année", assène Ciro Scognamiglio, journaliste pour le quotidien La Gazzetta dello Sport.

Seulement huit Italiens au départ

Et cela ne devrait pas changer dans les prochaines années, alors qu'aucun Italien n'est aujourd'hui capable de rivaliser avec Tadej Pogacar ou Jonas Vingegaard en Grand Tour. "L'Italie a eu des moments avec des grands champions, et de grandes rivalités comme Moser-Sarronni, Gimondi-Merckx. C'est une période un peu moins forte, mais c'est normal, c'est une question de cycle", poursuit celui qui suit le cyclisme pour le quotidien italien depuis 2003.

Trois Italiens entourent le maillot rose Tadej Pogacar lors de l'ultime étape du Giro le 26 mai 2024 : le maillot bleu de meilleur grimpeur Giulio Pellizzari (par procuration), le maillot cyclamen Jonathan Milan et le maillot blanc de meilleur jeune Antonio Tiberi. (LUCA BETTINI / AFP)

L'Italie conserve malgré tout de bons grimpeurs comme Giulio Ciccone, les jeunes Giulio Pellizzari ou Antonio Tiberi, 5e du dernier Giro à 23 ans, mais elle brille surtout sur les autres terrains. "En ce moment il y a de grands coureurs italiens, comme le sprinteur Jonathan Milan ou en contre-la-montre avec Filippo Ganna, mais pas de potentiel vainqueur de Grand Tour", observe Ciro Scognamiglio.

Une question de cycle 

Avec seulement huit coureurs transalpins au départ de Florence (ils étaient sept l'an passé et 17 en 2014), les espoirs sont réduits à peau de chagrin. "C'est difficile d'imaginer le gagner dans les prochaines années, mais c'est une question de cycle", poursuit-il. "J'ai confiance : nous sommes un pays historique du cyclisme, nous allons réussir à combler le fossé qui s'est créé", estime de son côté Paolo Bellino, le patron de RCS Sports, qui gère notamment le Tour d'Italie et Milan-San Remo.

"L'Italie n'avait jamais eu de n°1 mondial en tennis, c'est désormais le cas avec Jannik Sinner. En athlétisme, nous n'avions jamais eu de champion olympique du 100 mètres avant Marcell Jacobs. Ce ne sont pas toujours les mêmes pays qui sont au sommet."

Ciro Scognamiglio

journaliste à la Gazzetta dello Sport

Comment expliquer ce recul ? En premier lieu, l'internationalisation du cyclisme a fait émerger des nations invisibles auparavant et fait entrer dans la danse des Etats pétroliers aux budgets presque illimités. "Beaucoup de pays qui n'existaient pas dans le passé dans la géographie du cyclisme, comme la Slovénie ou le Danemark, produisent désormais des champions", constate Ciro Scognamiglio.

Face à la concurrence d'Etats émergents, que ce soit pour les équipes ou les coureurs, les nations historiques ont parfois été prises de court, et accusent désormais un retard. "Dans un cyclisme qui s'est considérablement internationalisé, avec un niveau toujours plus élevé, il est maintenant plus difficile de percer pour un coureur italien", note Vincenzo Nibali à l'AFP. "On ne décide pas où naissent les talents. La Slovénie a très peu de licenciés mais trois coureurs dans le top 10 mondial, dont le phénomène Pogacar", confirme Cordiano Dagnoni, président de la Fédération italienne de cyclisme.

Aucune équipe italienne en première division

Autre problème en Italie : les équipes. "Quand le système de ProTour a commencé en 2005, il y avait quatre équipes en première division. Désormais, il n'y en a plus aucune", résume le journaliste de La Gazetta dello Sport. Exit les sponsors italiens, remplacés par Soudal-Quick-Step, EF-Education EasyPost ou... UAE Emirates.

Si quatre équipes italiennes patientent en deuxième division, plus aucune n'a pignon sur rue en première division depuis 2016. Avec moins d'équipes de haut niveau, les chances d'amener de jeunes coureurs nationaux vers le sommet sont moindres.

L'équipe Lampre-Merida de Diego Ulissi, dernière équipe italienne de première division, est devenue en 2016 l'actuelle formation UAE-Emirates de Tadej Pogacar. (LUK BENIES / AFP)

Tous ces acteurs du cyclisme italien mettent au centre du problème le manque d'argent et la faible incitation à investir dans une équipe. "L'époque des Mapei, Lampre ou Liquigas est révolue, d'autant qu'il n'y a pas de politique qui encourage ces entreprises à investir dans notre sport", explique le président de la Fédération. "Il y aurait la possibilité, mais pour l'instant personne ne veut le faire. Les sponsors préfèrent désormais mettre de l'argent dans un événement sportif plutôt que dans une équipe", complète Ciro Scognamiglio.

Depuis qu'il a rangé son vélo en 2022, Vincenzo Nibali s'est penché sur la création d'une équipe : "Il faut trouver une entreprise qui se projette sur cinq à sept ans en étant prête à investir 120 millions d'euros", calcule-t-il.

"Il est de plus impossible d'acquérir une licence World Tour. C'est vraiment un projet à long terme avec beaucoup d'argent en jeu, sans une exposition immédiate. C'est difficile de trouver une entreprise ou quelqu'un prêt à un tel engagement."

Vincenzo Nibali, ancien vainqueur du Tour de France

à l'AFP

Autant de facteurs qui rendent difficile l'éclosion du successeur de Vincenzo Nibali ou Marco Pantani, les deux dernières idoles du public transalpin. Mais l'Italie n'est pas un cas isolé face à la mondialisation : la France patiente depuis 39 ans, l'Allemagne a disparu des classements généraux et l'Espagne n'a toujours pas de vrai successeur à Alberto Contador. 

Laquelle de ces nations historiques sera celle qui mettra fin à la domination du trio Grande-Bretagne - Slovénie - Danemark, qui a remporté 16 des 24 Grands Tours depuis le dernier vainqueur italien, Vincenzo Nibali sur le Giro 2016 ? "Pour l'Italie, gagner le Tour dans les dix prochaines années ne sera pas facile mais pas non plus impossible. Car dans le sport, les choses changent vite", conclut Ciro Scognamiglio.

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