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Vendée Globe : Le système de caméra anti-collison Oscar, la vigie des bateaux du Vendée Globe

Conteneurs, animaux marins, billes de bois… Pour les skippers du Vendée Globe, rencontrer ces objets ou animaux marins est souvent synonyme de mauvaise fortune. Car percuter l’un de ces ofni (objets flottants non identifiés) peut parfois provoquer la fin de l'aventure en solitaire. Pour limiter ces risques, le système anti-collision Oscar, basé sur l'intelligence artificielle, apparaît de plus en plus comme une solution aux Ofni. Pour la première fois, 18 skippers en sont équipés lors de cette édition 2020. Cet outil pourrait d'ailleurs bientôt être obligatoire sur tous les bateaux du Vendée Globe.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le système Oscar, installé en haut d'un mât d'un bateau.

Avec les icebergs, c’est peut-être ce que les skippers du Vendée Globe craignent le plus : les ofni. Ces objets flottants non identifiés sont redoutés et ont d’ailleurs déjà fait quelques dégâts sur cette édition 2020. Depuis le départ, quatre skippers ont percuté un ofni, trois ont été contraints à l’abandon. Alors pour éviter au maximum ces malheureuses rencontres, des ingénieurs de la société BSB Marine, située à La Forêt-Fouesnant (Finistère), ont mis au point une caméra anti-collision, appelée Oscar. "Oscar est un capteur optique qui est capable de repérer, à la surface de l’eau, les objets flottants non identifiés", explique Gaëtan Gouérou, le fondateur et PDG de la société BSB Marine.

Née il y a tout juste deux ans, l'innovation accompagne donc pour la première fois 18 skippers du Vendée Globe. Bien que le système manque encore de recul du fait de son jeune âge, la direction de la course est déjà très intéressée par ce système anti-collision. "Ce genre de technologie donne une sécurité en plus aux concurrents lors de la course au large. Nous n’avons pas encore suffisamment de recul car c'est très récent. Mais ça reste un élément supplémentaire qui aide les skippers à finir la grande boucle", salue Hubert Lemonnier, directeur de course adjoint du Vendée Globe. "C'est l'avenir pour nos bateaux en solitaire, qui sont des Formules 1 des mers. Avoir ce système est salvateur", ajoute-t-il. 

Le système Oscar est composé d'un capteur, fixé en tête de mât du bateau (à g) et d'un calculateur, situé à l'intérieur du bateau et composé de deux ordinateurs(à d.).

Alors concrètement, comment Oscar fonctionne-t-il ? Ce système est composé d’un capteur, fixé en tête de mât du bateau, soit à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Ce capteur est équipé de trois caméras, deux thermiques (qui peuvent voir de jour comme de nuit) et une couleur (qui ne voit que de jour, mais de manière plus large). "L'image est ensuite envoyée dans un calculateur, situé à l'intérieur du bateau et composé de deux ordinateurs. C’est lors de cette étape qu'entre en jeu l'intelligence artificielle (IA). Cette IA va chercher dans l'image les anomalies, l'anomalie étant assimilée à un objet, et réaliser le cas échéant une détection", indique Gaëtan Gouérou. Un certain nombre de filtres, basés sur des algorithmes, permettent de confirmer ou non la présence d’un objet. Le système Oscar est capable de détecter un ofni à partir de 1000 mètres et de l’identifier à partir de 600 mètres. En cas de risque de collision, celui-ci alerte le skipper afin qu'il puisse intervenir à la barre pour éviter l'obstacle. 

Que ce soit donc une bille de bois, un conteneur ou un animal marin, Oscar est ainsi capable de détecter ces objets ou animaux et de les identifier en fonction de paramètres tels que la couleur, la température, la taille etc. "Pour moi, ce système est vraiment important parce que nous mettons tant d’effort, de temps et d’investissement pour que notre bateau soit rapide, et le meilleur partout, nous ne voulons pas qu’il soit détruit par une collision aléatoire sans rien faire", confiait Samantha Davies juste avant le départ de la course.

Un outil de plus en plus indispensable

Cet outil devient d’autant plus essentiel que les bateaux vont de plus en plus vite. "Avant, les bateaux avançaient à 7 ou 8 nœuds. Aujourd'hui, on est plutôt à 25 ou 30 nœuds. Auparavant, si on tapait une bille de bois et qu'on allait à 7 ou 8 nœuds, il pouvait y avoir quelques légers dégâts. Maintenant avec la vitesse, les conséquences sont plus graves. Surtout qu’on sait aujourd’hui, qu’il y a de plus en plus d’objets flottants à la dérive", analyse Hubert Lemonnier, le directeur adjoint de la course. 

Image du système Oscar, qui détecte les ofini.

Autre facteur qui justifie son utilisation, les nouveaux modèles des bateaux. "Aujourd’hui, les bateaux sont construits de manière à ce que les skippers ne sortent presque plus sur le pont. Ces nouveaux designs sont conçus pour l'aéro et l'hydrodynamisme. La contrepartie, c'est que les skippers ne voient rien du tout donc ils doivent se fier à des technologies qui permettre de le faire. Oscar le permet", constate Hubert Lemonnier, directeur de course adjoint du Vendée Globe.

Vers un système obligatoire en 2024 ?

Le système semble d'ailleurs avoir déjà conquis certains skippers comme François Gabart, vainqueur de la course mythique en 2013. "Cet outil va devenir indispensable j'imagine, tout simplement parce que les bateaux vont de plus en plus vite, et l'aide à la détection devient intéressante. J'aimerais pouvoir dire qu'on en aura pas besoin dans les années qui viennent, mais aujourd'hui, le nombre de déchets est plus en augmentation qu'en diminution à la surface de la mer, et on ne peut que le regretter."  

Du côté de la direction de course aussi, Oscar apparaît comme une vraie solution aux ofni. Et si elle imagine le rendre obligatoire dès la prochaine édition en 2024, il ne faut toutefois pas brusquer les étapes. "Oscar pourrait faire partie des éléments obligatoires embarqués sur un Imoca sur le prochain Vendée Globe, confirme Hubert Lemonnier. Mais pour cela, il faudrait qu’il soit bien testé, approuvé et que son efficacité ne soit pas remis en question. Et pour ça, il nous faudrait un peu plus de recul", relève Hubert Lemonnier. Cette prise de distance sera rendu possible après le Vendée Globe, avec les retours des équipes et des skippers qui ont emmené avec eux Oscar. 

"On ne peut pas dire, 'on a Oscar, donc il ne peut rien nous arriver'. Ça serait trop simple"

Car si Oscar est déjà fort de nombreux points satisfaisants, d'autres sont encore à affiner. En effet, même si Oscar est placé suffisamment haut pour avoir une bonne visibilité, les conditions météo peuvent rendre la détection d'objet parfois complexe. "Celle-ci est d’autant plus dure que la mer est agitée. Quand les vagues déferlent, cela crée un certain nombre d’anomalies qu'on doit filtrer. Par ailleurs, le mât bouge beaucoup, donc il faut aussi stabiliser l'image. On a forcément une limite à ce niveau. Mais Oscar reste efficace jusqu'à des vagues de 3 ou 4 mètres", nuance son fondateur.

"Oscar est un système très intéressant, car les ofni sont un problème récurrent et peuvent avoir des conséquences très graves pour les bateaux et parfois les animaux marins. Son développement est plutôt très satisfaisant, mais on ne peut pas dire, 'on a Oscar, donc il ne peut rien nous arriver'. Ça serait trop simple", analyse François Gabart, qui a participé à l'élaboration du cahier des charges et qui a fait partie des premiers à le tester. "Oscar peut détecter ces objets à quelques centaines de mètres devant le bateau, mais si le bateau va vite, ces 100 ou 150 m peuvent être parcourus en quelques secondes. Donc entre le fait de détecter l’ofni et être capable de modifier la trajectoire du bateau, il y a peu de marge", poursuit le skipper.

Le skipper Vincent Riou a essayé le système Oscar dès les phases de test.

En effet, le risque zéro n’existe pas, même avec l’aide précieuse d’Oscar. C’est ce qu’ont pu constater Sébastien Simon et Samantha Davies, qui ont, malgré l’installation du système anti-collision à bord de leur bateau, été contraints à l’abandon il y a près d'un mois après avoir percuté un ofni. Il est encore trop tôt pour savoir ce qu’il s’est produit sur ces deux bateaux. L’équipe de BSB Marine attend le retour des systèmes d'enregistrement, des sortes de boite noire. "Pour le moment, nous ne pouvons pas dire ce qu’il s’est passé pour Samantha Davies et Sébastien Simon. Mais avec l’analyse des boîtes noires, on sera capable d'observer les anomalies et de voir à tel ou tel moment si un ofni est passé par là et si Oscar a fait son travail ou non", précise Gaëtan Gouérou. 

Une base de données en constance évolution 

Basé sur l’intelligence artificielle, le système Oscar s’enrichit en continue. "Le système connait ce qu’on lui apprend, qui est directement lié à l'exploitation d'une base de données. Celle-ci est élaborée à partir des enregistrements captés par le système pendant les voyages en mer, comme actuellement sur le Vendée Globe. Ils sont ensuite annotés par des collaborateurs, qui vont repérer et identifier des anomalies sur des images réelles, puis informer notre système de ces anomalies. Le système va les enregistrer et va enrichir son intelligence avec les données qu'on lui aura fournies. Plus notre base de données augmente, plus les performances de notre système augmente", approfondit Gaëtan Gouérou. 

Le skipper Maxime Sorel prend en main le système Oscar.

"Les 18 skippers, qui ont accepté d’emmener Oscar avec eux, sont comme les pionniers d'une nouvelle technologie"

Le Vendée Globe reste d’ailleurs le fer de lance du système Oscar. "La compétition nous permet de le développer rapidement. Nous travaillons en étroite collaboration avec les équipes des navigateurs. Je pense que les 18 skippers, qui ont accepté d’emmener Oscar avec eux, sont comme les pionniers d'une nouvelle technologie", se réjouit Gaëtan Gouérou. Avec 18 caméras Oscar embarqués sur le Vendée Globe, la base de données sera sans aucun doute bien enrichie. "Le volume de système embarqué sur cette course permet d'acquérir beaucoup de données, qui j'espère permettront vraiment de continuer à améliorer le système et à le développer pour qu'il soit quasiment imparable dans les prochaines années. C'est très important pour nous, les skippers", note François Gabart.

Déjà présent dans la plaisance, et en expérimentation dans le milieu de la pêche, le système Oscar ne cesse de se développer. Et BSB Marine veut aller encore plus loin. "Notre but ultime est d'être capable de pouvoir, à terme, donner une instruction à un pilote automatique afin d'éviter ce que Oscar à détecter. On veut être capable de dévier au dernier moment le bateau si aucune action n'est réalisée par le navigateur", imagine Gaëtan Gouérou. Ce travail de recherche s’inspire d'ailleurs des systèmes d'aides à la conduite sur les voitures, comme le freinage d'urgence ou les voitures autonomes. L'objectif est ambitieux et pourrait encore améliorer considérablement la sécurité des skippers lors de leur tour du monde en solitaire. 

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