Route du Rhum 2018 - François Gabart : « la conscience du danger permet de prendre les bonnes décisions »
Se lancer au large des océans, au milieu d’un décor sans horizon limite, est un rêve pour beaucoup. Ces passionnés de voile, d’aventure ou d’histoire vivent par procuration cette envie de traversée solitaire. A travers les péripéties des skippers autour du monde, lors des courses comme le Vendée Globe, la Route du Rhum ou d'autres. François Gabart est le marin qui réussit tout ce qu’il entreprend depuis 2013. Son dernier fait : le record du tour du monde à la voile en solitaire avec son trimaran (42 jours 16h 40 minutes et 35 secondes). Mais que ressent ce héros quand il est loin de toute terre ferme et de toute vie humaine? Quelles sont ses peurs ? Comment se prépare-t-il à ses courses dont le hasard météorologique peut bousculer tous ses plans ? C’est ce que nous avons abordé avec lui lors d'un entretien.
Quelles sont les peurs dans la voile ?
François Gabart : "Il est difficile de définir où commence la peur. Comment la conscience d’un danger, d’un risque, donne la sensation de peur. C’est vraiment quelque chose de subjectif. Ce n’est pas facile à définir… Il y a la peur sportive, de compétition, car en effet, il faut prendre des options et il y a la peur de ne pas gagner, de ne pas avoir les bons réglages. Il y a la peur un peu plus engagée, le risque humain, de se blesser, de se faire mal voire pire."
Le marin se retrouvant seul durant plusieurs jours, y-a-t-il une peur de la solitude ?
F.G : "La peur de la solitude, je ne sais pas si cela m’est vraiment arrivé. J’utiliserais plus le mot peur quand il représente quelque chose d’assez fort. Donc une forme d’appréhension parce qu’on se retrouve à faire quelque chose de seul. Associer la peur et la solitude? Ces deux mots me paraissent un peu fort. La solitude me paraît un petit fort : certes on est tout seul sur notre bateau, mais je trouve qu’aujourd'hui, on est quand même très connecté, on a une interaction sociale avec des gens."
Concernant la crainte du danger, on pense à votre tour du monde en 2017 quand vous avez aperçu l’iceberg, qu’avez vous ressenti ?
F.G : "C’est presque la seule fois dans ma vie de marin où je considère vraiment que c’était de la peur d’être en danger. Il faut bien comprendre ce qu’il se passe. Cet iceberg était dangereux en soi. Si on en a un, on peut imaginer qu’il y en a d’autres devant. On ne peut pas tout voir, on va relativement vite et il y a des petits icebergs. Il n’y a aucun moyen technique de détection. C’est sûr que là je me suis senti en danger car j’étais à un endroit du monde où j’étais en plein milieu de l’isolement physique et géographique. Et s’il arrive quelque chose, on est forcément assez éloigné de tout secours humain."
"Ce qui est important c’est d’être intègre avec soi même"
Ces peurs, quelles influences ont-elles sur les choix de navigation, sur les prises de risques ?
F.G : "Il faut que ce soit un moteur dans le sens où l’on essaie de graduer la notion de peur. Je pense que c’est hyper positif, c'est quelque chose de nécessaire qu’il ne faut absolument pas perdre. Car cette conscience du danger, la plus objective possible, permet de se préparer sérieusement, de prendre les bonnes décisions… Cela devient problématique si l’évaluation du danger est mal faite, surévaluée et (qu’elle est) dans une espèce de cercle vicieux qui peut bloquer, empêcher la réalisation sportive… C’est quelque chose de très subjectif parce que ça peut dépendre des personnes, de la culture, de ce qu’on est. Ce qui est important c’est d’être intègre avec soi même, en tout cas d’être cohérent avec ce qu’on est."
Comment vous gérez cette conscience du danger, quels sont vos outils ?
F.G : "Est-ce que je la maîtrise ? Je n’en sais rien. Pour le moment ça s’est plutôt bien passé. Je ne me suis jamais retrouvé dans une situation trop compliquée. Mais je ne fais pas non plus le malin. Je sais pertinemment qu’on ne fait pas un tour du monde à la voile, un record sans accepter ce risque... Quels sont les outils? Je ne sais pas trop, l’expérience, l’entraînement. Il faut arriver à atteindre l’objectivité, écouter ses émotions parce que ce sont elles qui sont les premiers indices de cette conscience du danger dont on parlait. C’est un petit mixte entre l’objectivité et la subjectivité, entre ce que l’on ressent et ce que l’on peut penser objectivement de la situation."
Utilisez-vous la préparation mentale afin de vous préparer psychologiquement à ces moments d’appréhension ? Faites-vous appel à un préparateur mental ?
F.G : "Je travaille avec beaucoup de personnes sur le sujet et je fais un peu mon mélange à moi. Pourquoi ? Mon analyse, c’est que je ne considère pas qu’on puisse faire de la préparation mentale d’une manière exclusive et isolée. C’est-à-dire : quand je fais de la préparation physique, je trouve que c’est un début de préparation mentale parce que le cerveau n’est qu’un gros muscle et que le corps et l’esprit sont quand même très liés. Évidemment, il y a des gens qui ont des profils très prépa mentale, d’autres qui l’ont un peu moins… Je trouve que les échanges qu’on a dans la vie de tous les jours participent quelque part à cette notion de préparation mentale. Ca peut être une discussion de famille autour d’une table, ça peut être en discutant avec un journaliste au téléphone où on peut se poser des questions dans ces démarches-là. C’est en faisant ce mixte de tout ça qu’on arrive à trouver des réponses pour nous-mêmes et qu’on arrive à trouver nos propres solutions."
Y-a-t-il des mises en situation de stress, de tension lors des entraînements ?
F.G : "Le principe est d’aller naviguer dans des conditions difficiles, de tenter des manœuvres dans une certaine difficulté, c’est d’aller le plus vite possible. Se mettre en difficulté à l’entraînement pour être capable de maîtriser la difficulté en course. Cela permet de sentir ce qu’il se passe dans le corps quand on est dans la difficulté physique et d’essayer de garder une certaine lucidité. Avoir une partie du cerveau qui fonctionne bien en parallèle. Par exemple par rapport à mon activité, l’essentiel de ma préparation à terre se fait en partie sur l’eau et en montagne. Il y a une certaine notion de danger probablement plus importante qu’en mer. Aller en montagne sans prendre des risques inconsidérés, dans un milieu qui évolue, qu’on doit arriver à lire et à comprendre, je pense qu’il n’y a rien de mieux en terme d’entraînement que de se retrouver à faire ça. Évidemment, il y a moins de risque de se blesser ou de se faire mal à l’entraînement."
C’est donc un moyen d’appréhender le danger, la peur ?
F.G : "C’est très hormonal tout ça. On parle d’adrénaline. Je pense que la gestion de celle-ci s’apprend. Évidemment on secrète beaucoup d’adrénaline des fois sur nos bateaux, si pendant dix mois à l’entraînement, en préparation il n’y a eu jamais d’adrénaline dans notre corps, je pense que la première fois que cela arrive on a du mal à la gérer. Il faut arriver à s’habituer, arriver à être à l’aise avec tout ça."
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