Voile : pourquoi la célèbre Coupe de l’America met en place un système d’espionnage officiel
Une séance d’entraînement pour l’écurie française Orient-Express Racing Team sous le soleil printanier de Barcelone : le bateau français barré par Quentin Delapierre est suivi à la trace par une petite embarcation, celle de Sebastian Peri Brusa, l’un des deux membres de l’unité RECON. "Nous regardons tout ce que les Français sont en train de tester et de développer, détaille l’Argentin, lunettes de soleil sur le nez. Nous avons le droit de prendre des photos à partir du moment où le bateau sort du hangar et pendant tous les entraînements sur l’eau."
Toutes ces photos et vidéos sont ensuite transférées sur un serveur en ligne auquel les six équipes de cette 37e édition de la Coupe de l’America ont accès. Et c’est toute la nouveauté de ce programme RECON, comme "Reconnaissance", inauguré par les organisateurs néo-zélandais de la plus ancienne compétition sportive au monde. "Tout le monde regarde ce que l’on fait : la manière dont on navigue, la manière dont les autres naviguent, on regarde aussi", s’amuse Bruno Dubois, le patron sportif du défi français.
"Ça évite d’avoir des gens en haut du pont qui seraient en train de nous filmer, ça nous énerverait."
Bruno Dubois, directeur d'Orient Express Racing Teamà franceinfo
"On peut même demander aux équipes RECON d’aller voir des choses précises chez les autres, nous confie un marin français. Pour voir par exemple si elles cherchent plutôt à développer les foils, les plans de pont, les boutons qu’on manipule sur les bateaux", explique Bruno Dubois. Une sacrée avancée pour cette épreuve qui a nourri beaucoup de fantasmes et d’histoires cocasses par le passé. L'espionnage sauvage qui dans le passé était monnaie courante, se souvient Yves Detrey, l'un des piliers de l'équipe suisse d'Alinghi : "À une certaine époque, on bougeait les bateaux de nuit, du matériel aussi pour qu’on nous voie le moins possible et qu’on soit le plus discret."
Des bateaux en avance sur leur temps
Il faut dire que les bateaux de la Coupe de l’America, souvent en avance sur leur temps, suscitent beaucoup de convoitises et de jalousies. Encore plus avec l’AC 75 (comme 75 pieds, sa longueur – 23 mètres), le monocoque sans quille et avec foils devenu la référence depuis la précédente édition en Nouvelle-Zélande. Le bateau français est baptisé mercredi 29 mai à Barcelone : un voilier futuriste capable d'aller à 100 km/h et de voler au-dessus de l'eau.
D’où la nécessité de mettre en place des règles pour éviter les dérapages. "L’espionnage faisait peut-être le charme de la Coupe par le passé mais ça n’était pas forcément très apprécié des équipes, assure Timothé Lapauw, équipier du bateau français et référent pour le programme RECON. C’est une bonne chose pour faire évoluer tous les bateaux et notre sport en général."
Plus de transparence mais avec des limites malgré tout : les membres estampillés RECON ne peuvent pas s’approcher à moins de 25 mètres du bateau quand il est à quai et à moins de 200 mètres en mer. Et il reste encore une part de secret. "Il y a encore de quoi cacher des choses, se réjouit Timothé Lapauw. La période la plus critique, c’est quand tous les bateaux seront à l’eau avec les premiers designs de la coque, des foils et des voiles. Mais même si on découvre des choses intéressantes chez les autres, il sera trop tard pour tout changer." Mais ce dispositif a un coût : chaque équipe doit mettre la main à la poche. Le prix de la transparence !
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