Ski alpin : parcours atypique, déclic mental... Trois questions sur l'éclosion du Français Cyprien Sarrazin
A 29 ans, Cyprien Sarrazin est désormais un habitué des podiums. Depuis sa première victoire en Coupe du monde en descente le 28 décembre, à Bormio (Italie), le skieur des Hautes-Alpes s'est aussi offert la deuxième place de la descente à Wengen (Suisse), avant d'enchaîner, au même endroit, par une première victoire en Super-G et une deuxième place (encore) en descente. En s'imposant coup sur coup sur la descente de Kitzbühel (Autriche), il est même devenu le deuxième Français a réalisé le doublé sur le tracé autrichien, après Luc Alphand en 1995.
Six podiums sur ses sept dernières courses. Le dernier Tricolore à avoir réalisé une telle prouesse en vitesse n'est autre que Luc Alphand, vainqueur du gros globe de cristal en 1997 et auteur de six podiums à la suite (dont quatre victoires) cette année-là. Il se paye aussi le luxe de rivaliser avec le Suisse Marco Odermatt, double champion du monde (descente et slalom géant) en 2023, deux fois vainqueur du gros globe de cristal (2022 et 2023) et champion olympique en slalom géant à Pékin.
Ses résultats le positionnent idéalement dans la course au petit globe de la descente (deuxième au classement provisoire, six points derrière Marco Odermatt), et le Français se retrouve même deuxième du classement général provisoire de la Coupe du monde. S'il a avoué en conférence de presse, mercredi 17 janvier, "avoir digéré" ses récents exploits, il a toutefois confié avoir ressenti "le contrecoup" qui lui a "bien tapé derrière les oreilles". Explications sur le nouveau phénomène du ski tricolore.
Du géant à la vitesse, comment expliquer un tel itinéraire ?
Victorieux en vitesse, Cyprien Sarrazin a pourtant fait ses armes en technique en tant que géantiste, avant d'enclencher un virage vers la descente en 2022. "Cyprien est un athlète qui, rapidement, a eu de grandes qualités en vitesse et en technique. On a pris le temps de construire cela avec lui", explique Frédéric Perrin, directeur de l'équipe de France masculine, qui le connaît depuis près de huit ans. Les résultats récents de Cyprien Sarrazin ne le surprennent pas. "Il a toujours eu une cette petite fibre en vitesse, et il a un avantage assez conséquent de par son passé de technicien, de géantiste." Luc Alphand non plus n'est pas étonné de le voir enfin briller.
"Cyprien est un diamant brut. Dans le monde du ski, on dit qu'il a des pieds en or. C'est quelqu'un qui a le potentiel d'aller vite."
Luc Alphand, vainqueur du globe de cristal en 1997 et consultant France Télévisionsà franceinfo: sport
"Déjà l'année dernière, poursuit Luc Alphand, on a vu qu'il avait un potentiel énorme. Il ne l'avait pas encore concrétisé parce que, quand tu passes en Coupe du monde, il faut apprendre les pistes, arriver à mieux appréhender les reconnaissances, à gérer la semaine de course, les jours d'entraînement, et ce n'est pas simple. Trois podiums en un week-end et bousculer Marco Odermatt, c'est juste incroyable." En plus de ses capacités techniques saluées de tous, Cyprien Sarrazin est décrit par Luc Alphand comme un "courageux qui prend des risques sans être une tête brûlée", avec "un talent au niveau de la glisse".
"Lors de son parcours chez les jeunes, retrace Frédéric Perrin, il avait pas mal de déchets dans son ski, des abandons, et il n'avait pas totalement conscience du système. Il a toujours aimé le ski sous toutes ces formes, et certaines personnes de son comité lui ont fait confiance, car ils ont vu le potentiel. Il a alors intégré les équipes de France avec un parcours en Coupe d'Europe, qui a été plutôt tardif, mais efficace sur la fin."
Lors de la saison 2016-2017, Cyprien Sarrazin remporte le slalom géant parallèle d’Alta Badia (Italie) en Coupe du monde, et réalise de belles performances en Coupe d'Europe : une première victoire en slalom géant en Suède, qui sera suivie de deux autres succès. Ces résultats lui permettent de terminer à la troisième place du classement général de la Coupe d'Europe en géant. "À ce moment-là, il avait commencé à s'inscrire un peu dans cette dynamique technique, mais il a ensuite connu une succession de blessures, et deux chutes assez rapprochées, avec à chaque fois, un choc à la tête. Après ce genre d'accident, ce n'est jamais facile de retrouver le rythme, et on a toujours tendance à se poser beaucoup de questions. Et il n'y a pas échappé", explique encore Frédéric Perrin.
Quel a été le déclic pour devenir aujourd'hui le meilleur rival de Marco Odermatt ?
À 29 ans, le natif de Gap s'est transformé. Et le déclic a été exclusivement mental. "Dès ce printemps, j'ai commencé à travailler sur moi-même avec un psy. Et quand j'ai commencé à être bien dans ma vie, je n'avais même plus besoin de travailler sur les skis. Cela doit faire trois mois que les coachs ne m'ont pas fait une remarque technique, pas une, rien. Et je n'ai pas travaillé techniquement pour être meilleur. J'ai juste travaillé dans ma tête et je suis juste bien dans ma vie, je skie comme je suis. Ou je vis comme je skie, je ne sais pas dans quel sens on peut le dire", s'amusait Cyprien Sarrazin, en conférence de presse à Kitzbühel, le 17 janvier, après avoir savouré le fait d'avoir "prouvé à tout le monde" qu'il pouvait être à cette place-là.
En parallèle, il a aussi débuté un travail avec une "coach énergétique". "Avant Bormio, elle m'a dit : 'Tu as le droit de gagner. Tu as le droit d'être à ta place.' Et avant cette course, pendant trois jours, je me suis juste dit ça. Avant, je ne m'autorisais pas à gagner, j'avais toujours une sorte de syndrome de l'imposteur", livre-t-il encore. "Il n'a jamais été un imposteur, tranche Frédéric Perrin. Bien qu'il ait été retardé par des blessures, il a toujours été un athlète pour lequel on sentait qu'il y avait un potentiel. Cela fait un sacré bout de temps qu'on le savait capable de faire des grandes choses."
"Il a réglé pas mal de choses dans sa vie personnelle. Il a trouvé sa voie et son fonctionnement, ce qui lui permet aujourd'hui d'avoir de la sérénité, d'être à l'aise et efficace."
Frédéric Perrin, directeur de l'équipe de France hommesà franceinfo: sport
Ce travail mental a véritablement changé la vision de Cyprien Sarrazin, premier surpris des résultats sur ses performances. "Je ne me doutais pas que travailler avec un psy pouvait m'être aussi bénéfique. Par le passé, j'ai vraiment galéré. J'ai eu des blessures, notamment l'année dernière au dos, avant les Championnats du monde, en plus de problèmes dans ma vie personnelle. Je me suis dit : 'Non, je ne veux plus galérer. Je ne veux plus souffrir comme ça.'"
Cette dynamique peut-elle lui permettre de s'installer parmi les meilleurs en vitesse ?
Si Frédéric Perrin reste prudent et refuse de se projeter au-delà de la prochaine course, les signaux sont toutefois plus qu'encourageants. "La saison est encore longue, il faut le suivre semaine après semaine, mais je suis optimiste, affirme Luc Alphand. Il a 29 ans. Johan Clarey a arrêté sa carrière à 42 ans, donc en vitesse, il a vraiment de belles années devant lui. Il va peut-être même se poser, se stabiliser, appréhender encore mieux les saisons prochaines et gagner encore en maturité", pose Luc Alphand qui a connu une trajectoire similaire, avec une éclosion à près de 30 ans.
Aucun doute également pour son ami Alexis Pinturault, actuellement blessé : "Je sais à quel point il est capable d'aller vite. Il est à son niveau. Maintenant, il faut surtout qu'il arrive à tenir la distance et à gérer tous les à-côtés parce que sportivement, je ne me fais aucun souci". Ce que confirme Luc Alphand : "Des semaines comme il en vit en ce moment aspirent une énergie mentale impressionnante. C'est la première fois qu'il est en gestion comme cela lors d'une saison pleine, il doit donc appréhender cela." De son côté, Cyprien Sarrazin "ne s'interdit plus de rêver" même si le globe de cristal n'est pas son objectif absolu cette saison. "Je ne me mets pas de limite, assure-t-il, avant d'affirmer avec prudence, mais non sans détermination : "J'ai envie de voir où cela me mène".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.