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Ski freestyle : les commotions cérébrales, un mal récurrent dont a été victime Tess Ledeux

La double championne du monde de big air a dû s'éloigner trois semaines des snowparks l'automne dernier, avant d'y faire un retour progressif pour ne pas risquer de voir ses symptômes perdurer.
Article rédigé par Louise Le Borgne, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La Française Tess Ledeux après avoir chuté, lors de la finale de slopestyle aux Mondiaux de ski freestyle à Aspen (Etats-Unis), le 13 mars 2021. (SEAN M. HAFFEY / AFP)

"Dans les disciplines freestyle, la commotion cérébrale fait partie des blessures principales. Il y en a autant que des ligaments croisés sur une année, par exemple." Cyril Barthomeuf, le médecin en charge des équipes de France de ski et snowboard freestyle, est catégorique : rares sont les skieurs de haut niveau à n'avoir pas déjà connu cette blessure loin d’être anodine. Sacrée pour la deuxième fois championne du monde de big air, samedi 4 mars, à Bakuriani (Géorgie), la vice-championne olympique de la spécialité, Tess Ledeux, a vécu cette douloureuse expérience fin octobre. 

En stage en Allemagne, elle heurte violemment la neige à la réception d’un saut. En se relevant, le nez en sang et l’esprit embrumé, la skieuse freestyle de 21 ans reconnaît rapidement les signes d’une commotion cérébrale. "Quand j’ai chuté, j’ai d’abord été sonnée. Puis, j’ai eu envie de vomir et de forts maux de tête. J’avais déjà eu deux traumatismes crâniens plus jeune, mais jamais aussi importants", se remémore-t-elle.

Avec la vidéo de la chute et la liste de symptômes, Cyril Barthomeuf ne tarde pas à poser son verdict. "Je n’ai pas eu à chercher plus loin, il y avait au moins une commotion cérébrale, c'est-à-dire un traumatisme crânien léger", expose le médecin du sport. La commotion, dont sont victimes de nombreux skieurs chaque année, n'est pas une blessure comme les autres. Son diagnostic est difficile à établir – les lésions étant indétectables à l’IRM –, et les symptômes sont multiples (perte de connaissance, vomissements, fatigue, troubles de l’équilibre et de la mémoire, confusion).

“On compte 30 commotions cérébrales par an parmi les sportifs de haut niveau. C’est beaucoup, parce que cela concerne uniquement nos effectifs alpin et freestyle, soit 90 athlètes.”

Stéphane Bulle, médecin des équipes de France à la FFS

à franceinfo: sport

Pour Tess Ledeux, après le diagnostic arrive le long protocole post-commotion : "Mes maux de tête ont persisté longtemps et j’étais très fatiguée. Je faisais aussi des insomnies. Pour reprendre la compétition, il fallait que tous les symptômes aient disparu. Ça a pris trois semaines." 

Le repos, seul remède 

Le seul traitement pour les faire disparaître est le repos. "C'était frustrant, mais j’ai pris mon mal en patience. J’ai repris progressivement, avec de la marche, puis des petits footings, puis du ski en augmentant le volume et l’intensité, témoigne la skieuse de La Plagne. Il y a dix ans, on aurait pris ça à la légère. Désormais, on est directement pris en charge et c’est rassurant, car on connaît la gravité des commotions cérébrales."

"La Fédération française de ski recommande un arrêt minimum d'une semaine pour les adultes, et de trois semaines pour les jeunes, jusqu’à 18-20 ans. Leur cerveau étant moins mature, ils présentent davantage de risques de présenter des symptômes qui perdurent."

Cyril Barthomeuf, médecin des équipes de France de freestyle

à franceinfo: sport

Selon le médecin de l’équipe de France de freestyle, le repos permet surtout d’éviter des complications à court terme et d'éviter les syndromes du second impact. "Si une personne a une commotion et qu’elle retombe sur la tête avant que son cerveau ait récupéré, cela peut déclencher des problèmes majeurs comme des AVC. Sur une discipline comme le big air, la commotion entraîne en plus un vrai risque de se perdre en l’air car elle affecte les repères, l’équilibre, la mémoire et la prise de décision rapide. L’idée est donc d'attendre que le cerveau récupère avant de lui faire subir un nouveau stress."

Les commotions cérébrales font également l’objet d’une surveillance particulière depuis qu’un lien de cause à effet a été établi avec l’encéphalopathie traumatique chronique (ECT), une maladie neuro-dégénérative. "C’est une lésion anatomique découverte récemment en autopsiant des cerveaux de footballeurs américains. Aujourd’hui, on ne sait pas réellement ce qui la déclenche car il n’y a pas de seuil. On peut développer une ECT après trois commotions comme après vingt. Mais on connait les effets dont elle est responsable : l’agressivité, la perte de mémoire, les troubles de l'attention...", pointe Cyril Barthomeuf.

"L’ECT, forcément ça m'inquiète. On pense tout de suite au pire. J’en ai beaucoup discuté avec mon médecin. Mais nous avons désormais des protocoles rigoureux dans le ski, et il n’y a pas de raison que ça se passe mal", assure de son côté Tess Ledeux.

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Sensibiliser le ski amateur

Si les deux médecins de l’équipe de France soulignent un changement de mentalité depuis dix ans, tous deux s’accordent à dire que la marge de progression reste immense. Car si Tess Ledeux a pu bénéficier d’un excellent suivi et d’un diagnostic rapide, un grand nombre de commotions cérébrales passent sous les radars par manque de connaissances et de moyens, notamment dans le monde amateur. "Dans le ski, il n’y a pas de protocole commotion tel qu’on le connaît au rugby. On s’en inspire, mais dans les faits, si l’athlète veut finir son run et qu’il assure que tout va bien, le médecin de course ne va pas procéder à une évaluation complète", précise Cyril Barthomeuf. 

Pour prévenir les troubles post-commotion, la Fédération française de ski (FFS) mise sur la prévention. Elle a envoyé à tous ses entraîneurs un document listant les symptômes d’une commotion cérébrale ainsi que les bons gestes à adopter. "On essaye de sensibiliser les skieurs, les bénévoles, les entraîneurs, les kinés, les médecins de ville. C’est un sujet que nous allons suivre de près les prochaines années et nous ferons évoluer le protocole pour prévenir au maximum les effets post-commotion", appuie Stéphane Bulle, médecin de la FFS.

Tess Ledeux affirme de son côté avoir récupéré toutes ses facultés mais elle a tiré de nouveaux réflexes de cet épisode. "J’ai intégré à ma routine des exercices pour le cou et je m’écoute beaucoup plus. J’ai aussi travaillé avec ma préparatrice mentale et mon coach car j’appréhendais de retomber sur la tête. Quand on se fait mal à l'épaule ou au genou, c’est embêtant, mais le cerveau, ce n’est jamais une blessure comme une autre", explique-t-elle.

De nouveau victime d'une chute, mardi, lors de la finale du slopestyle, Tess Ledeux se veut rassurante. "Tout va bien", a assuré la Tricolore, vendredi, sur la Chaine l'Equipe, après sa qualification pour la finale du big air : "J'ai encore quelques petites séquelles mais rien de grave, je suis bien entourée. Les deux jours de repos m'ont vraiment fait du bien donc oui je crois que je suis reboostée."  

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