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Coronavirus : entre difficultés financières et incertitudes sur la reprise, les associations sportives s'inquiètent de leur sort

À l’arrêt total depuis bientôt deux mois, le sport est l’un des principaux secteurs touchés par la pandémie de Covid-19. Partout sur le territoire, les associations sportives ont dû fermer leurs portes, parfois brutalement, afin d’éviter tous risques de propagation du virus pour leurs licenciés. Judo, natation, tennis, football… Si l’espoir d’une reprise diffère selon les disciplines, les craintes financières et organisationnelles sont, elles, bien présentes. Elles en appellent à la solidarité et mettent en garde face à une dégradation du lien social.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
 

“On est dans une situation extrêmement compliquée, nous n’avons pas eu d’autre choix que de lancer une cagnotte en ligne pour tenter de tenir le coup. On avait environ un mois et demi de trésorerie mais au regard de la situation actuelle, ça ne suffira pas”. À Saint-Péray, en Ardèche, Sophie Vella fait des pieds et des mains pour garder à flot son centre équestre. Gérante de la Syrah, elle s’est retrouvée du jour au lendemain avec 48 chevaux à nourrir. Si 11 d’entre eux appartiennent à des propriétaires - qui ont pu revenir sur le site pour la première fois en début de semaine - il a fallu s’en occuper. Aujourd’hui, les dépenses continuent à s’accumuler pour le centre… Sans aucune recette ou presque. “Par exemple, le mois prochain, j’ai 10 chevaux à vacciner. À 50 euros le vaccin. On doit aussi les emmener au maréchal-ferrant car les pieds ne peuvent pas ne pas être faits. En moyenne, on sort 7 000 euros de frais par mois. Mais nous n’avons plus aucune rentrée d’argent : plus de cours, plus de stages d’avril, plus de concours… Rien.”

Les seules pensions versées par les propriétaires (4 500 euros) ne permettent pas au club de 90 licenciés de se projeter jusqu’à la rentrée de septembre. “Tant que l’activité ne reprendra pas… Et même si elle reprend, attention, on reste un sport qui malheureusement a un certain coût. Est-ce que les gens auront encore l’argent nécessaire pour inscrire leurs enfants au vu de la situation actuelle ?” Autant d’inquiétudes qui ont amené Sophie Vella et les bénévoles du centre à lancer une campagne de dons sur le Net.

  (LIONEL PEDRAZA / HANS LUCAS)

Un chemin de croix pour les sports de combat et sports collectifs

Depuis près de deux mois et la mise en place du confinement, nombreuses sont les associations sportives à tirer la langue en attendant une perspective de reprise plus favorable. Pour les sports se déroulant en intérieur, impossible pour le moment d’entrevoir le bout du tunnel. Sébastien Loeillot est le gérant du Paris Boxing Club, situé au cœur de la capitale. Après un changement d’équipe pédagogique en début de saison, la crise sanitaire fragilise encore un peu plus sa structure. “Nous avons perdu des coaches à la rentrée dernière et cela joue forcément dans un sport comme le nôtre, où la fidélisation des élèves tient aussi à la relation avec leur formateur. Si l’on prend en compte les grèves dans les transports il y a quelques mois, le Covid-19 maintenant… C’est une année très, très compliquée.”

Le club, qui compte moins de 100 licenciés, subsiste en majeure partie grâce aux cotisations. Un choix assumé par son président pour échapper à la “guerre aux subventions” entre toutes les associations parisiennes et qui garantit en temps normal une autonomie de fonctionnement. “Mais la trésorerie est dans le rouge aujourd’hui”, explique Sébastien Loeillot. S’il confesse travailler d’ores et déjà sur la rentrée avec une présence renforcée sur les réseaux sociaux, cela reste compliqué d’anticiper plus que cela. “Quand j’ai créé le club en 2007, j’ai voulu redonner de la place au loisir. On ne voyait la boxe que par le biais de la performance. Mais désormais la discipline est aussi un vecteur de développement personnel bien plus large. J’espère que cela nous permettra de tenir”.

“J’ai peur que les gens aient pris tellement l’habitude de faire attention avec la distanciation qu’on perde énormément de licenciés” (Yann Beaufils, président du Toulouse Judo)

À l’instar de la boxe, d’autres sports de combat sont dans la même situation. Les arts martiaux comme le judo ont eux aussi bien du mal à imaginer une reprise d’activité rapidement au vu des contacts rapprochés - incompatibles avec les mesures de distanciation sociale - qu’exigent leur pratique.

Du côté du Toulouse Judo, l’un des plus gros clubs de la région toulousaine avec ses 400 licenciés, le mode endurance a été activé. “On avait pris la décision au début de ne pas solliciter les crédits de l’État, de puiser dans notre trésorerie”, détaille son président Yann Beaufils. “Mais la situation risquant de durer encore un moment, il en allait aussi de notre survie donc on a passé nos cinq éducateurs en chômage technique.” Passages de grades, pré-inscriptions, événements de fin de saison… Il a fallu tirer un trait sur tout cela. D'autant que sa plus grande crainte est ailleurs : "j'ai peur que les gens aient pris tellement l’habitude de faire attention avec la distanciation qu’on perde énormément de licenciés”.

  (PHILIPPE MILLEREAU / KMSP)

La situation est légèrement différente pour Amaury Barlet, président de l’ALF (Amateur Lyon Fidésien) futsal. Le taux de fidélité au sein de son club de la banlieue lyonnaise est solide et l’augmentation du nombre de pratiquants (225 cette saison) ces dernières années permet de relativiser. Le budget devrait baisser mais rester à l’équilibre, en dépit de l'absence des recettes liées à la buvette ou à la billetterie pour assister aux matches de l’équipe première (Régional 1). Son inquiétude se devine surtout sur les conditions de reprise : “On joue dans un gymnase, c’est notre principal souci. Est-ce que les derniers sports à reprendre ne seront pas les sports collectifs en salle ? C'est possible. Les règles logistiques et sanitaires à mettre en place ne seront pas simples.”

Le tennis passe au vert, mais sous quelles conditions ?

Ce jeudi, un communiqué publié par le ministère des sports a permis d’en savoir plus sur les conditions de retour individualisé au sport : en extérieur, dans la limite de 10 personnes maximum, en maintenant une distance physique suffisante… Des critères qui permettent à plusieurs disciplines d’entrevoir un retour plus que bienvenu. “Normalement l’équitation devrait pouvoir y prétendre, mais on attend la liste des sports éligibles”, explique Sophie Vella, prudente. En revanche, le tennis voit le feu de circulation passer au vert. Un guide pratique devrait être communiqué rapidement aux clubs par la Fédération afin de préciser les modalités à respecter au niveau sanitaire.

“C’est un soulagement, on va au moins pouvoir fouler nos deux terrains extérieur”, explique Sylvain Petitjean, vice-président du Tennis Club Autun (Saône-et-Loire). Celui-ci prépare d’ores et déjà un système de balles marquées, avec un code couleur pour chacun des joueurs. Une adaptation nécessaire mais qui ne fera probablement pas oublier les huit semaines de coupure. “On a environ un budget d’avance mais on se prépare à perdre 50% de nos sponsors”, détaille-t-il. “Notre sport perd des licenciés chaque année dans notre région (Bourgogne-Franche-Comté) qui est quand même sinistrée. Nous étions l’une des rares structures à augmenter, en faisant venir les gens avec notre esprit club qui, loin des grandes villes, est notre seul atout ou presque.”

D’autres clubs, notamment dans la région lyonnaise, ont d’ores et déjà sondé les parents de leurs jeunes licenciés afin de savoir s’ils comptaient les réinscrire. Et le taux de défection pour septembre atteint parfois 50%. Reste aussi une inconnue, et pas la moindre, d’ici le retour sur les courts le 11 mai : la cartographie émise par le gouvernement. Pour le moment, le département de la Saône-et-Loire, dont fait partie le Tennis Club Autun, est situé en zone rouge. Ce qui peut laisser présager que des restrictions plus larges seront appliquées.

Le sport, ce vecteur de lien social qui s'effrite pendant la crise sanitaire

C'est l'autre dimension de l'épidémie de Covid-19 qui frappe le monde amateur comme professionnel. Celle, pas toujours palpable, qui oeuvre dans l'ombre et endommage notre vivre-ensemble. Instrument de socialisation et d’épanouissement personnel et collectif, le sport n’est aujourd’hui plus en mesure de jouer son rôle. 

"Comment ça va repartir sans que la fracture sociale ne s'accentue encore plus ?" (Mohamed Tria, président de l'AS Lyon-Duchère)

“Dans un quartier comme le nôtre, à la Duchère (Rhône), le club de foot est un vrai repère social pour tous les jeunes. En période de confinement, c’est compliqué car dans ces quartiers populaires, il n’y a pas beaucoup d’espace pour tout le monde. Directement et indirectement, ce sont les premiers touchés.” Mohamed Tria, à la tête du club de Lyon-La Duchère depuis 2008, sait de quoi il parle. Sa structure consacre près d’un tiers de son budget dans des actions - de retour à l’emploi, de citoyenneté… - qui dépassent bien souvent le cadre du ballon rond. “Mon interrogation, c'est vraiment de savoir comment ça va repartir sans que la fracture sociale ne s'accentue encore plus.”

Le club, à la fois une association sportive qui compte 700 licenciés et une SASP (société anonyme sportive professionnelle) avec une équipe première évoluant en National, s’apprête aussi à se serrer la ceinture. Pas sûr de voir la centaine de partenaires de l’association venir apporter de nouveau leur soutien à la rentrée. Et au niveau de la SASP, le budget va baisser de l’ordre de 30 à 40%. Une quarantaine d’employés sont actuellement au chômage technique.

  (JORGE MANTILLA / NURPHOTO)

"Cela pose la question, au-delà des dégâts du virus, de comment rebâtir du lien pour les jeunes privés d'écoles et privés de sport ?" (David Vergnault, directeur sportif du Cercle des nageurs de Niort)

À la mi-mars, les bassins ont également fermé leurs portes. Finies les longueurs pour les 500 adhérents du Cercle des nageurs de Niort. Là encore non sans conséquences financières. "Si en septembre moins de 60% des effectifs reviennent, on tiendra jusqu'à début janvier 2021 en maintenant nos cinq employés, pas plus", prévient son directeur sportif, David Vergnault.

Mais plus que l'impact économique que fait redouter cette fermeture prolongée des piscines, ce sont aussi les conséquences sur les jeunes licenciés qui l'interpellent. "Je me rends compte dans les discussions que j'ai avec les ados avec lesquels je travaille, ce qui ressort c'est cette fin brutale de leur scolarité. Des 3es ou des terminales qui ne reverront peut-être pas les camarades avec lesquels ils sont depuis 7-8 ans, c'est difficile. Des ados qui ne peuvent pas exprimer leur mécontentement, libérer leur énergie par le biais du sport. Tous ces lieux de vie que sont les associations sportives sont à l'arrêt. Cela pose la question, au-delà des dégâts du virus, de comment rebâtir du lien social pour ces jeunes-là ?"


Une enquête a été réalisée par le Conseil social du mouvement sportif (CoSMoS), organisation représentant exclusivement tous les employeurs du sport issus du secteur associatif, commercial ou du sport professionnel, afin de comprendre l'impact du coronavirus sur le secteur. Sur les quelque 3 000 structures ayant répondu à l'enquête au 7 avril 2020, près de 50% d'entre elles estiment qu'elles vont subir de 10 à 30% de pertes de budget ou de chiffre d'affaires.

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