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Rugby : pourquoi il n'est pas si facile de sponsoriser le maillot du XV de France

Pour la première fois depuis plus d'un siècle, le nom d'une entreprise figurera sur la tunique des Bleus, lors du match contre l'Italie, samedi.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le deuxième ligne des Bleus Sébastien Vahaamahina lors du match France-Ecosse, le 12 février 2017, au Stade de France à Saint-Denis. (STEPHANE ALLAMAN / AFP)

La France va rompre une tradition de 111 ans, samedi 11 mars. Face à l'Italie, à Rome, lors de la quatrième journée du Tournoi des six nations, les tricolores arboreront un maillot portant le nom d'un sponsor. Une petite révolution, car les Bleus étaient la dernière nation majeure à arborer une tunique vierge. La fin, pas vraiment assumée, d'une exception culturelle. Et le début du parcours du combattant pour trouver la perle rare. On vous explique pourquoi ce sujet a été et reste très compliqué.

Parce que le maillot, c'était un "symbole"

Comme le village d'Astérix, le XV de France résistait encore et toujours à l'appel du capitalisme. Quand toutes les grandes nations du rugby ont vendu leur tunique dès les premiers jours du professionnalisme, la France a cultivé sa différence. La tunique bleue frappée du coq vendue à un marchand de lessive ? Jamais !

Le maillot, c'est l'identité. Ce serait vraiment l'ultime, ultime recours que de vendre les bijoux de famille.

Pierre Camou, ancien président de la Fédération française de rugby

au "Figaro", en novembre 2012

Plutôt que de se résoudre à vendre son maillot au plus offrant, la FFR, alors en déficit, préférait chercher d'autres modes de financement, comme le Grand stade de Ris-Orangis, mort-né. Sans avoir lancé aucune démarche, elle avait reçu des candidatures spontanées en 2015, pourtant pas une année faste sur le plan des résultats. Des dossiers aussitôt jetés à la corbeille. "Le maillot de l'équipe de France est un symbole", balayait Bernard Godet, ancien directeur marketing de la fédé, dans L'Equipe"Une sorte de drapeau", justifiait-il dans les colonnes du Monde.

On a une conception de notre pays qui fait qu’on se voit mal mettre sur ce “drapeau” telle marque de café, telle marque de voiture ou de je ne sais quoi, d’huiles d’olive, j’en passe et des meilleures .

Bernard Godet, ancien directeur marketing de la FFR

au "Monde", en février 2016

La donne a changé avec  l'arrivée de Bernard Laporte à la tête de la FFR, en décembre 2016. Cet enfant du professionnalisme a affiché la couleur dans son programme : hors de question de se priver de la manne du maillot des Bleus pour donner un coup de pouce aux clubs amateurs. Sur le papier, le plan était de trouver un sponsor durable, comme l'Angleterre avec Cellnet, puis O2. Sans aller jusqu'aux 14 millions d'euros qui tombent chaque année sur le compte courant de la fédération néo-zélandaise, la tunique des Bleus pouvait espérer se hisser au niveau de l'Angleterre ou de l'Irlande, qui touchent autour de 5 millions d'euros annuels. 

Parce que le sujet est encore (très) sensible

Sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des articles qui annoncent l'arrivée d'un sponsor, les gardiens du temple se déchaînent. Le maillot immaculé faisait partie du noyau des fameuses valeurs du rugby. Les footballeurs ne se sont pas vendus, mais c'est parce que la Fifa l'interdit. Les handballeurs ont l'air de coureurs cyclistes, avec six sponsors (qui rapportent quand même 5 millions d'euros annuels), au point qu'il n'y a plus que l'arrière de leur short qui soit vierge de toute publicité. Le rugby, c'était différent. Plus maintenant.

Le 7 mars, la FFR a finalement annoncé le nom de l'heureux élu, le groupe Altrad, propriétaire du club de Montpellier. Sans jamais utiliser le mot qui fâche, "sponsor". Le nom de cette entreprise de BTP va s'afficher en dessous du logo de la candidature de la France à la Coupe du monde 2023.

Le communiqué de la FFR constitue un modèle de contorsion sémantique : "La FFR est heureuse d’annoncer le soutien du groupe Altrad à la candidature de la France pour l’accueil de la Coupe du monde de rugby en 2023." Bernard Laporte s'est félicité sur Twitter d'avoir trouvé un partenaire qui défend "l'intérêt général du rugby".

Comme s'il s'agissait de plonger un doigt de pied dans le grand bain du grand capital, pour mieux y plonger tout entier par la suite. On a plus discrètement, mais beaucoup plus franchement, vendu le maillot de l'équipe des moins de 20 ans à BMW.

Le contrat signé avec Altrad ne court que jusqu'en novembre. A ce moment-là, le contrat de l'équipementier et d'un sponsor maillot seront remis en jeu. Après la désignation du pays-hôte du Mondial 2023. Le maillot sera donc entièrement libre pour le nouveau parrain du XV de France.

Parce que les candidats ne se bousculent pas

Les grandes marques sont de plus en plus réticentes à s'engager sur la durée avec des équipes nationales, aussi prestigieuses soient-elles. Ainsi, les Springboks sont sans sponsor fixe depuis plus d'un an, et enchaînent les contrats courts avec des marques qui cherchent un coup (de pub) d'un soir. "On doit être créatifs pour nos partenariats vu la crise économique qui frappe l'Afrique du Sud", reconnaît Jurie Roux, le patron de la fédération sud-africaine cité par Business Tech (en anglais).

Bernard Laporte avait proposé un modèle similaire aux cinq partenaires majeurs de l'équipe de France (BMW, Orange, Adidas, la GMF, la Société générale), qui déboursent de 2 à 6 millions d'euros par an pour associer leur nom aux Bleus via des publicités. En vain. Valorisé lors de la campagne électorale entre "cinq et dix millions d'euros", le prix plancher du sponsoring du maillot se situe désormais "entre zéro et trois millions", selon le vice-président de la FFR. Signe que la France a du mal à se faire à l'idée d'abandonner son exception culturelle. Ou que la cote économique du XV de France tarde à redécoller. A l'image de sa cote sportive depuis le début de l'ère Novès, alternant défaites magnifiques et victoires laborieuses.

Parce que seuls les All Blacks dictent leur loi

Les amoureux des All Blacks ont longtemps cru que le mirifique contrat avec Adidas les protégerait de toute incursion d'un sponsor sur leur tenue noire. Il y avait bien eu l'épisode Steinlager, une bière du cru, qui avait eu droit à un écusson microscopique sur la poitrine des joueurs, dans les années 1990. Mais, en 2012, la fédération a cédé aux avances à 14 millions d'euros par an de l'assureur américain AIG. Adidas avait même tenté de faire barrage pour conserver la tunique vierge, plus prestigieuse. En vain.

Le Néo-Zélandais Elliot Dixon fête un essai lors d'un test-match contre l'Italie, le 12 novembre 2016, au Stadio Olimpico de Rome. (GIUSEPPE MAFFIA / NURPHOTO / AFP)

Seuls les joueurs, très impliqués dans le fonctionnement de l'équipe, ont pu monter au créneau. "Quand nous avons vu le projet de maillot, avec le gros logo AIG entouré, nous avons trouvé ça beaucoup trop gros, raconte l'ex-international Kevin Mealamu sur le site Stuff.co.nz (en anglais). Nous sommes arrivés à un compromis avec la fédération pour réduire la taille du sponsor [à un tiers du maximum autorisé par World Rugby] et en enlever le liseré blanc." Du coup, ce sont trois petites lettres qui rapportent le pactole à la fédération, qui a pu imposer ses conditions. Il est loin d'être sûr que le maillot des Bleus sera autant préservé.

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