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Le K.O. de Samuel Ezeala mérite une vraie réflexion dans le rugby

Le spectaculaire K.O du jeune joueur de Clermont Samuel Ezeala, dimanche face au Racing 92, met une nouvelle fois en lumière les risques engendrés par le rugby moderne. Toujours plus grands, toujours plus puissants, toujours plus lourds, les rugbymen d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux que l’on a connus il y a une quinzaine d’années. Si la réglementation a il est vrai évolué, les instances de l’ovalie devraient sans doute encore réfléchir à des moyens de protéger encore un peu plus l’intégrité physique des joueurs.
Article rédigé par Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
 

En 1987, le trois-quarts de l’équipe de France Philippe Sella pesait 84 kg. Au même poste, Mathieu Bastareaud pèse environ 120 kg. Le professionnalisme est passé par là. Préparateurs physiques, diététique, apports énergétiques et temps de récupération ont peu à peu remplacé la fameuse troisième mi-temps. Et le profil-type des joueurs a sérieusement changé. « On donnera toujours plus de chance à un mec qui fait 2m et 120kg. Même s’il n’est pas bon, on peut en faire quelque chose », expliquait le directeur du rugby et de la formation du Racing 92 Christophe Mombet à Francetvsport.

De nouveaux protocoles plus stricts ont en effet été mis en place depuis ces dernières années, dont un, pas plus tard que cet été par le World Rugby. Devant le nombre répété d’incidents du même type que celui qui s’est déroulé à l’U Arena, la plus haute instance du rugby et la Ligue Nationale de Rugby ont en effet décidé de modifier le règlement concernant le protocole commotion (HIA 1). Dorénavant, un joueur qui a quitté le terrain à la suite d’un choc, doit attendre 10 minutes avant de pouvoir reprendre le match.

35 % de commotions en plus

Si ce type de mesure va dans le bon sens, d’autres pistes doivent encore être étudiées. Samuel Ezeala qui a perdu connaissance après avoir percuté Virimi Vakatawa disputait son tout premier match de Top 14, Clermont faisant face à une véritable hécatombe parmi son effectif. La limite d’âge fixée à 18 ans est-elle suffisante lorsque l’on observe la puissance dégagée lors des impacts ? Même si le jeune clermontois n’a rien d’un gringalet, son corps n’a pas encore atteint la maturité physique d’un homme. Par ailleurs, un joueur plus expérimenté saura indéniablement éviter plus facilement de se mettre en danger dans ce genre d’actions.

Mais sans doute faut-il encore aller plus loin dans les mesures, et cela bénéficiera à la fois aux joueurs, mais aussi au rugby, qui va finir par perdre des licenciés... La saison 2016-2017 de Top 14 a enregistré une hausse de 35 % du nombre de commotions par rapport à la précédente ! Pour la seule finale du championnat, il y avait eu pas moins de cinq commotions. Les protocoles n’empêcheront jamais les impacts toujours plus rugueux, il faut donc sans doute en passer par de nouvelles règles dans le jeu, visant à réduire les chocs dangereux, tout en préservant le charme de ce fabuleux sport. Faut-il encore que les dirigeants du rugby mondial en aient la volonté.

"Arrêter le massacre"

Dans un entretien accordé à Franceinfo, le neurochirurgien Jean Chazal lançait un cri d’alarme sur la situation. Professeur au CHU de Clermont-Ferrand et doyen de la faculté de médecine, il fustigeait la recrudescence de traumatismes subis par les joueurs de rugby. « Il faut tirer la sonnette d’alarme, il faut arrêter le massacre et faire de la prévention. On nous dit que ce n’est pas possible, que les joueurs sont de plus en plus grands et de plus en plus gros... Mais il n’y a qu’à adapter les règles et, surtout, sensibiliser les arbitres ! », déclarait-il.

Jean Chazal déplorait par ailleurs le peu d’intérêt suscité par la Fédération française de rugby par le premier Grenelle de la santé des joueurs, initié par la Ligue nationale et qui s’est déroulé le 5 septembre dernier. « Je suis allé à la réunion, il n’y avait ni la Fédération, ni les arbitres, ni les médecins de la Fédé, assurait-il. C’est incroyable, c’est même effrayant. Ça veut dire que pour des luttes d’égo, de pouvoir ou de conflits d’intérêts qui nous échappent, on met de côté la santé des joueurs. »

Un sport de combat

Et si l’on écoute Jacky Lorenzetti, on se rend compte que les mentalités seront difficiles à faire évoluer. « On ne peut pas remplacer les crampons par des chaussures de danse », estime le président du Racing à Rubyrama. « Et puis, le rugby est-il plus dangereux que le ski ? Plus dangereux que le vélo, où il y a des morts tous les ans sur les routes ? Plus dangereux que l'équitation, où les commotions cérébrales sont légion ?, ajoute le dirigeant. « Le rugby est un sport de combat. Cela implique des risques et il nous appartient, à nous organisateurs, de les minimiser, relève-t-il toutefois. Sans pour autant dénaturer le sport en question. »

Parmi les différentes pistes visant à protéger les joueurs, un gros travail d’éducation devrait être mis en place, et ce, dès le plus jeune âge. Le nombre de commotions a en effet été divisé de moitié en Grande-Bretagne, où les joueurs sont bien plus sensibilisés à ces risques. Mais là encore, il faut une vraie prise de conscience et une volonté politique –et financière- pour changer la donne. Il ne faut pas attendre un drame pour prendre de telles décisions. Samuel Ezeala va mieux, « son scanner n’a rien montré d’inquiétant », c’est déjà ça.

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