Grand entretien "Jouer une Coupe du monde à la maison, ce n'est pas de la pression, c'est un privilège", estime l'ancien All Black Dan Carter

L'ancien joueur des All Blacks est présent en France pour la Coupe du monde. Un pays qu'il connaît bien, lui qui a évolué d'abord à Perpignan puis au Racing 92.
Article rédigé par Maÿlice Lavorel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'ancien All Black Dan Carter avant la cérémonie des World Rugby Awards à Monaco, le 20 novembre 2022. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

Double champion du monde (2011 et 2015), trois fois désigné meilleur joueur de la planète, Dan Carter a marqué l'histoire du rugby néo-zélandais et mondial. De passage à Paris pour la Coupe du monde en France, l'ancien All Black présente son livre, L'art de vaincre paru en août aux éditions Marabout. Il y tire les leçons d'une carrière qui l'a mené dans le monde entier, et entend en faire profiter les gens dans leur quotidien. 

Franceinfo: sport : En France, on qualifie la retraite sportive de "petite mort". Comment avez-vous vécu ce passage dans votre vie ?

Dan Carter : Je n'aime pas beaucoup toute la terminologie autour de la fin d'une carrière. Même le terme de retraite, en tant que sportif, tu es dans la vingtaine, dans la trentaine, et tu parles de retraite, ce n'est pas un mot que tu devrais utiliser avant d'être dans la soixantaine. Mais c'est compliqué de passer à côté puisque les gens autour de toi en parlent tellement. Ça n'aide pas. J'aimerais qu'on voit ça de manière beaucoup plus inspirante. Nous ne sommes pas définis par les sports auxquels nous avons joué. Nous sommes des êtres humains, nous sommes notre propre personne. Et souvent, quand nous arrêtons de jouer, nous avons un très beau futur devant nous. Personnellement, je crois que depuis que j'ai arrêté de jouer au rugby, je suis sur une nouvelle ligne de départ, et c'est très excitant puisque j'ai toute l'expérience et les connaissances que j'ai apprises en jouant au rugby professionnellement pour m'aider à faire de la suite un chapitre encore plus grand. Beaucoup de sportifs, en partant à la retraite, estiment que les meilleurs jours de leur vie sont derrière eux, qu'ils ne vivront plus jamais l'adrénaline ou le succès. Mais c'est comme ça, c'est juste différent. Tu dois l'accepter et travailler sur ce qui te fera aller de l'avant.

Pourquoi avoir décidé d'écrire ce livre et de raconter votre histoire sous forme de leçon, de conseils ?

J'étais dans une période de transition hors du rugby, je venais de finir ma carrière et je me sentais un peu perdu. Quand je jouais, j'avais des objectifs très clairs, comme être le meilleur joueur possible. C'était ce qui me motivait tous les jours. Après avoir arrêté, j'ai commencé à me demander qui j'étais, maintenant que je n'étais plus Dan Carter le rugbyman. J'avais besoin de retrouver du sens pour aborder ce prochain chapitre de ma vie. C'est ce qui a mené à l'écriture de ce livre. Je voulais partager toutes ces réflexions parce que ce n'est pas que dans le sport, c'est dans la vie de manière générale, tout le monde doit faire face à des changements. On en tire des leçons. De mon côté, j'ai réalisé que j'étais obsédé par la victoire, le fait de gagner et de mener, le leadership. Je voulais partager cette expérience et ces leçons, pour aider les gens.

Vous revenez sur toutes les grandes leçons de votre carrière professionnelle, si vous ne deviez en retenir qu'une, laquelle choisiriez-vous ?

L'un des chapitres les plus importants pour moi, c'est la résilience. Si je suis là aujourd'hui, ce n'est pas grâce à mes victoires, ce n'est pas grâce à mes Coupes du monde. Je pense que la personne que je suis aujourd'hui vient de tout ce que j'ai appris dans les mauvais moments, les blessures, les échecs, les déceptions de ne pas pouvoir atteint mes objectifs. Ces moments m'ont rendu plus fort. Ce que je suis aujourd'hui est venu de ma capacité à rebondir.

Dan Carter avec le trophée de la Coupe du monde, à Twickenham, le 31 octobre 2015. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Vous parlez d'inspiration, vous êtes en train d'inspirer un joueur en ce moment-même, Romain Ntamack, victime d'une grave blessure avant le Mondial. Il a révélé que vous avez discuté avec lui. Que lui avez-vous dit ? Avez-vous parlé de votre propre expérience de manquer une Coupe du monde à la maison sur blessure (en 2011) ? Est-ce important pour vous de continuer à aider et inspirer les plus jeunes ?

Je suis très fier de pouvoir aider les plus jeunes, que ce soit la prochaine génération qui joue déjà, ou même les enfants. Cela me rend très satisfait de pouvoir partager ce que j'ai appris. Concernant Romain, c'est très difficile pour lui car c'est un super garçon. Je voulais juste lui dire que je pensais à lui, que je suis passé par la même chose, et que je m'en suis servi comme motivation pour revenir encore plus fort. En 2011, quand je me suis blessé au début de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, plus rien n'avait de sens. Mais quatre ans plus tard, j'ai été capable de jouer un rôle important pour aider les All Blacks à entrer dans l'histoire en remportant deux Coupes du monde de rang. C'est ce que j'ai appris de cette déception qui m'a rendu plus fort pour exceller. Donc même si c'est très difficile pour lui en ce moment, s'il continue à travailler dur et reste très positif, il reviendra plus fort et prêt pour de grandes choses qui arriveront dans la suite de sa carrière.

Dans votre livre, un chapitre s'intitule "La pression est un privilège". Jouer une Coupe du monde à la maison, c'est une pression ou un privilège ?

C'est définitivement un privilège. Sous la pression, vous devez changer votre état d'esprit. En 2011, tout le monde parlait de la pression autour de la Nouvelle Zélande. Mais en tant que joueur, tu vis les choses différemment. Tu y vas et tu joues. Si je pouvais choisir un seul endroit pour y disputer une Coupe du monde, lequel je choisirais ? N'importe quel joueur choisirait son pays. C'est un vrai privilège de jouer dans son pays, devant ses amis, sa famille, d'évoluer dans un environnement familier. Donc oui, c'est définitivement un privilège, en ce moment, pour les Français, de jouer une Coupe du monde en France.

Vous avez joué plusieurs années en France. Que vous a apporté cette expérience ? Comment cela vous a changé ?

Jouer en France m'a vraiment rendu ouvert aux autres cultures. Tu te rends compte que les gens peuvent faire les choses très différemment. La façon dont nous travaillons en Nouvelle-Zélande n'est pas forcément la meilleure façon. Il faut apprendre à s'adapter aux environnements qui t'entourent. Et c'est très important de ne pas être frustré de cette différence. J'ai appris à être patient, à découvrir cet environnement. Et une fois que vous avez gagné le respect des gens autour de vous, vous pouvez commencer à faire des suggestions, à progressivement implanter vos forces et votre manière de faire. Donc je serai éternellement reconnaissant du temps que j'ai passé en France et d'avoir joué ici. Puis je suis parti au Japon et j'ai aussi appris de nouvelles choses. Quand je regarde en arrière, je suis fier d'être sorti de ma zone de confort et d'avoir appris et vécu dans différents environnements et différents pays.

Dan Carter sous le maillot du Racing 92, face au Stade Français, le 30 avril 2017. (FRANCK FIFE / AFP)

Est-ce vous rêviez étant enfant que le rugby vous emmène partout dans le monde ?

Je n'aurais jamais imaginé quitter la Nouvelle-Zélande quand j'étais enfant. J'ai grandi dans un petit village de 700 habitants et je ne pensais pas du tout partir, pas aller plus loin que Christchurch, qui était la grande ville la plus proche. Et encore moins vivre à l'autre bout du monde, en France, partir et jouer au rugby dans le monde entier. C'est l'une des plus belles choses dans le fait de jouer de façon professionnelle : tu as la chance de voyager, de découvrir de nouvelles cultures.

Comment percevez-vous l'évolution du rugby, par rapport à l'époque où vous avez commencé votre carrière ?

Le rugby a beaucoup changé par rapport à mes débuts. C'était un sport professionnel, mais il était encore assez immature dans ce que nous faisions. Je pense à la culture de la boisson, par exemple, ou au fait qu'il n'y avait pas beaucoup d'importance accordée à la récupération. On avait des psychologues, mais on n'allait pas vraiment les voir. Même entre coéquipiers, on se disait que ce n'était pas très normal d'aller voir un psychologue. Maintenant, quand tu dis ça, c'est toi qui n'est pas normal, parce que ça aide tellement pour la préparation et la santé mentale. Aujourd'hui, une grande importance est accordée à la récupération, la rééducation, la nutrition, c'est ça qui a vraiment évolué par rapport à mon époque. C'est positif à voir.

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