Championnats d'Europe de natation 2022 : des piscines rapides, des entraînements toujours plus pointus... Aux sources de la valse des records
Les nageurs bénéficient des progrès techniques des bassins et d'une plus grande professionnalisation de leur entraînement. Résultat : les records n'en finissent pas de tomber. De quoi s'attendre à du spectacle aux championnats d'Europe, qui démarrent jeudi.
Une moue de déception. A l'or mondial glané en finale du 100 mètres papillon, le Hongrois Kristof Milak espérait y ajouter un record du monde, exploit qu'il avait réalisé devant son public trois jours plus tôt sur le 200 m papillon, le 21 juin. Au total, lors des Mondiaux de natation à Budapest fin juin, deux records mondiaux, sept continentaux et cinq records du monde juniors ont été battus. A Tokyo déjà, une quinzaine de marques continentales et deux planétaires avaient été rabotées. Cette valse des chronos va-t-elle s'essouffler, alors que débutent les championnats d'Europe, jeudi 11 août ?
Dans l'eau chlorée, la plus ancienne meilleure marque mondiale date des Jeux olympiques de Pékin en 2008 (Michael Phelps, sur 400 m 4 nages). En bassin de 50 m, seuls 11 records du monde ont dix ans ou plus, sur 34 épreuves individuelles. La plupart de ces vieilles marques remontent d'ailleurs à 2009, année où les combinaisons en polyuréthane habillaient les nageurs. Ces dernières ont été interdites à partir de 2010, sans pour autant que les records réalisés avec ces maillots de bain "magiques" ne soient annulés.
La science mise à profit
Autre sport olympique phare, l'athlétisme connaît sur le sujet une trajectoire distincte. Quinze records mondiaux datent de la fin des années 1980, par ailleurs entachés de soupçons de dopage. "Différents articles scientifiques l'ont prouvé. La pente de progression a atteint son plateau en athlétisme, ce qui n'est pas le cas en natation", affirme Robin Pla, conseiller technique auprès de la Fédération française de natation (FFN). Pourquoi une telle différence ? "D'abord parce que la natation reste un sport qui n'a que 120 ans, l'athlétisme est beaucoup plus ancien", répond le référent scientifique. Il pointe en outre "une professionnalisation plus tardive" des nageurs.
Vice champion du monde!!!! Bravo @maximegrousset. un plaisir de suivre les performances des nageurs français et aider à optimiser leurs départs avec @anrNePTUNE @EcoledesPonts @Sciences2024 @RobiinRoad @INSEP_PARIS pic.twitter.com/vBWrZB9A95
— Remi Carmigniani (@remicarmigniani) June 22, 2022
"Les moyens scientifiques qui permettent de mieux calibrer l'entraînement sont également désormais plus performants dans l'eau", fait remarquer Robin Pla. Le chercheur cite les caméras sous-marines et les outils de mesures physiologiques (par exemple sur la présence d'acide lactique). "Cela permet d'être beaucoup plus pointilleux dans l'entraînement. Avant, les coachs avançaient davantage à tâtons. Il s'agit d'un autre aspect de la professionnalisation de la discipline." Robin Pla place au début des années 2000 l'émergence de la prise en compte des données scientifiques.
Phelps, un précurseur
A l'instar d'autres sportifs, certains nageurs commencent aussi à intégrer les enjeux liés au sommeil, à la diététique, l'hygiène de vie ou la préparation mentale. Robin Pla loue la rigueur de Michael Phelps qui, selon lui, a entraîné une évolution de la vision du métier. "On observe de plus en plus de nageurs maîtres de leur projet, comme Florent Manaudou. Et on voit que ceux qui réussissent ont un programme individualisé."
Le spécialiste des données explique aussi la valse des records continentaux par la "densification" de la discipline, portée par une diversification progressive des nations présentes. Néanmoins, l'expert s'étonne de la constante progression du 100 m papillon masculin et du 100 m dos féminin, alors que les chronos d'autres épreuves stagnent. Parmi les hypothèses qu'il soulève : une technique de nage améliorée sur ces distances. A la fin des années 1990, la tendance était à un nombre de coups de bras réduit. Aujourd'hui, les nageurs tendent à augmenter la fréquence sans perdre en amplitude.
Autre évolution notable, les coulées. Un art dans lequel excelle le Français Léon Marchand. En étudiant les références du top 8 mondial, Robin Pla a constaté que les meilleurs ne sont pas plus rapides dans leur nage "mais ils optimisent leurs coulées". Dans le bassin de l'Insep, un des pôles du sport de haut niveau en France, Maxime Grousset a pu affiner sa technique sous-marine sous l'œil avisé du conseiller technique de la FFN et le crible des nouveaux outils technologiques. "On a observé sa trajectoire, sa vitesse. On pouvait ensuite lui livrer des éléments objectifs comme l'angle précis, le nombre d'ondulations à faire, pour que sa coulée soit parfaite", illustre Robin Pla.
Des piscines... à la bonne taille
En outre, les nageurs bénéficient des évolutions des bassins. Vingt ans en arrière, il n'était pas rare qu'une piscine dépasse de quelques centimètres les 50 mètres réglementaires. Dans un sport où la victoire se joue au centième, cette différence a probablement pesé sur des distances comme le 800 ou 1 500 mètres. "Aujourd'hui, les piscines sont de plus en plus souvent temporaires et construites au millimètre près. Pour être homologué, un bassin doit donc mesurer 50,020 mètres auquels on ajoutera les plaques chronométriques d'un centimètre d'épaisseur de chaque côté", précise Basile Gazeaud, responsable des équipements à la FFN.
Autre innovation notable : les lignes d'eau brise-vagues, qui limitent les remous. Désormais, le règlement de la Fédération internationale impose que chaque couloir soit délimité par deux lignes d'eau. Ainsi, les nageurs placés aux extérieurs ne sont plus défavorisés en ayant un mur comme rebord. "Depuis cinq ans, à chaque nouveau projet de piscine, on demande à ce que soient conçus des points d'ancrage pour ces lignes supplémentaires afin d'être sûrs de disposer de huit couloirs équitables", détaille Basile Gazeaud.
Des plots plus ergonomiques
Dernier facteur de progression, les plots de départ comportent depuis 2009 un starting-block, permettant un meilleur appui et donc une plus grande explosivité des nageurs au coup de sifflet. Les dossistes bénéficient quant à eux de l'installation d'étriers depuis 2013. Ce rebord amovible antidérapant permet aux nageurs de mieux s'aggriper. Placé aux abords de la surface, cette plaque de deux centimètres maximum d'épaisseur est très légèrement inclinée, de manière à bloquer le pied.
Les futurs plots pour @Paris2024 pic.twitter.com/qrMxBc24l8
— Robin PLA (@RobiinRoad) June 22, 2022
En revanche, aucune donnée scientifique n'appuie le ressenti négatif des nageurs évoluant dans des piscines avec une profondeur différente d'un bord à l'autre. Si certains disent avoir le sentiment d'être aspirés, "c'est subjectif car seule une profondeur trop basse crée plus de retours d'eau", précise Basile Gazeaud. Un bassin à fond plat profond de 2,5 à 3 m représente pour le spécialiste la piscine idéale à la réalisation de bonnes performances.
En 2009, sous l'ère des combinaisons en polyuréthane, 43 records du monde étaient tombés dans la piscine de Rome, alors hôte des Mondiaux. Combien le seront dans cette même piscine, cette année, lors des championnats d'Europe ?
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