: Reportage On a suivi un match de foot de la CAN de la Goutte d'Or, Ă Paris : "C'est notre Euro Ă nous"
Sur le modèle de la Coupe d'Afrique des nations, ces tournois de football locaux se multiplient à travers la France depuis trois ans. Dans le quartier de la Goutte d'Or, à Paris, la compétition prend du galon, mais tient à rester familiale.
Sifflet Ă la main, Mamoudou Camara s'impatienterait presque. Il est un peu plus de 19 heures, en ce dĂ©but de mois de juillet. Les Ă©quipes s'Ă©chauffent mais ne sont pas encore au complet sur le terrain du square LĂ©on, dans le 18e arrondissement de Paris. Les supporters, eux, sont bien en place. MassĂ©s autour du rectangle grillagĂ©, ils sont une grosse centaine Ă attendre le premier match de la soirĂ©e : un Gambie-Cameroun qui s'annonce "très serrĂ©". Si Mamoudou Camara fronce les sourcils, ce n'est pas tant parce qu'il arbitre cette rencontre, mais surtout parce qu'il en est l’organisateur.Â
"Il y a toujours un peu de retard, ça fait partie du jeu", sourit-il, en surveillant les alentours. PlantĂ©e Ă ses pieds, une grosse enceinte portative fait vibrer les grilles du terrain synthĂ©tique, sur lesquelles sont Ă©pinglĂ©s les drapeaux de plusieurs pays africains, ainsi que celui de la France. "C’est la nouveautĂ© de cette annĂ©e, du jamais-vu, la France est invitĂ©e Ă la CAN !" s’exclame l'homme de 24 ans, qui a grandi dans le quartier populaire de la Goutte d'Or, oĂą se dĂ©roule le tournoi.Â
Alors que les amoureux de football ont actuellement les yeux tournés vers l'Euro 2021, cette CAN, c’est la Coupe d’Afrique des nations (le rendez-vous footballistique incontournable du continent africain) que Mamoudou a voulu recréer dans son quartier. "On a organisé la première édition en 2019 (...) c'était un bon moyen de s'occuper pendant le ramadan, raconte-t-il. On voulait surtout créer un événement qui rassemble."
Pour "Babette", figure du quartier, le pari est réussi. "Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas tous vus comme ça, c'est bon pour le moral", explique-t-elle, appuyée contre la grille. Si elle avoue "ne pas bien connaître les maillots", la sexagénaire assure que ce n'est pas un problème. "J'encourage tout le monde, tous les petits jeunes que j'ai vus grandir."
Des tournois qui dépassent les quartiers
L'événement est populaire, à l'image des autres tournois organisés partout en France, de Clermont-Ferrand à  Amiens, sur le même modèle. En banlieue parisienne, les villes d'Evry et de Créteil se disputent joyeusement la paternité du concept, qui séduit même les stars de la discipline. La CAN d'Evry a ainsi reçu le soutien de l'ex-international ivoirien Didier Drogba et de Karim Benzema, entre autres. Au Mans, l'édition 2020 du tournoi a pris une autre dimension avec l'apparition surprise de Pierre-Emerick Aubameyang, attaquant star d'Arsenal. Et membre de la sélection du Gabon.
A la Goutte d'Or, on se félicite du soutien des célèbres rappeurs Koba LaD, Tayc, ou de l'ex-attaquant du Sénégal Khalilou Fadiga. Pour le reste, le tournoi garde une dimension modeste : seize équipes s’affrontent dans des matchs à 5 contre 5 de 30 minutes. L'édition 2021, lancée le 9 juin, voit s'affronter des équipes représentant l'Algérie, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, les Comores, le Congo, la Gambie, la Guinée, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Sénégal, la Tunisie, la France et une équipe baptisée "Reste du monde". Le tout sur un terrain qu’il a fallu "bricoler" pour l’occasion.
"On a réparé les trous dans le grillage, mis des barrières aux entrées, remplacé les filets qui manquaient sur les côtés des buts, énumère Mamoudou Camara. C'était la mission !" Avant chaque match, le jeune homme assure lui-même le nettoyage du terrain synthétique à l’aide d’un souffleur électrique. Il peut heureusement compter sur une dizaine d’amis, tous bénévoles.
On se bouscule pour les matchs
A 19h30, le coup d'envoi est imminent. Les proches des joueurs quittent le terrain, emmenant avec eux l'enceinte dont la musique continue de résonner dans le square. Dans le public, des jeunes, des plus vieux, quelques familles. Le visage collé au grillage, bien ravitaillés en glaces et boissons fraîches, Metogara, Doudou et Mohamed, 12 ans, sont aux premières loges. Les trois garçons savent qu'il faut arriver tôt pour avoir une bonne place. "On suit la CAN depuis le début, on a raté seulement trois matchs", lance fièrement Metogara, supporter de l'équipe de Côte d'Ivoire locale. "Mais t'es fou, c'est le Mali qui va gagner !" réagit son camarade, sans se retourner. Et pour cause, le match vient de commencer.
"Il faut que tu m'écoutes, ce soir, on joue la qualification", lance l’entraîneur du Cameroun à l’un de ses joueurs. Sur le terrain, les gestes sont précis, les visages concentrés. Souvent, les joueurs se connaissent de longue date. "Grâce à la diversité du quartier, on a réussi à créer dix équipes de joueurs originaires du même pays", se félicite Mamoudou Camara. Les sélections se sont faites "au talent", même s'il y a eu "des négociations" pour certaines équipes très demandées comme l'Algérie, le Sénégal ou le Mali.
"Ce n'est pas vraiment l'Ă©quipe qui est importante, mais comment tu y joues."
Lamine Tandianmembre de l'organisation
"Le Mali, c'est sûrement le pays le plus représenté dans le quartier, souligne Lamine Tandian, installé sous la tente blanche de l'organisation. Ce sont aussi les favoris de cette CAN." Le commentaire fait sourire Boubou Bagayoko, 24 ans, qui joue justement pour cette équipe. "Je n'aime pas dire qu’on est favoris, mais c'est vrai qu'on a une équipe au-dessus des autres, glisse-t-il dans un éclat de rire. Et puis nos supporters mettent la meilleure ambiance." Sur ce point, la dizaine de personnes réunies devant la tente semble s'accorder.
CĂ´tĂ© terrain, le Cameroun domine progressivement la Gambie. AppuyĂ©es sur un parapet en bĂ©ton, Omnia, SoukaĂŻna et Goundoba ne perdent pas le ballon des yeux. Les trois copines, âgĂ©es de 23 Ă 24 ans, ont grandi dans le quartier. Les joueurs sont "presque tous des amis" ou des tĂŞtes familières. "On les connaĂ®t bien, c’est drĂ´le de les voir si concentrĂ©s", sourit Omnia, qui travaille "Ă Â trente secondes du terrain" pour une association d’aide Ă la jeunesse.Â
Après l'Ă©limination de l’équipe de France Ă l’Euro 2021, la jeune femme ne compte pas rater la suite de la CAN du quartier. "Ils assurent le spectacle, c'est notre Euro Ă nous !" se rĂ©jouit celle qui soutient la Gambie. "Ce ne sont pas du tout mes origines, mais c'est mon Ă©quipe de cĹ“ur", confie-t-elle. MalgrĂ© ses encouragements, les Scorpions (leur surnom) perdent 3 buts Ă 1 et quittent la compĂ©tition.Â
Des airs de grand tournoi
Pour la deuxième édition, après une annulation en 2020 pour cause de pandémie de Covid-19, les organisateurs de la CAN de la Goutte d'Or voient les choses en grand. Sur les réseaux sociaux, Mamoudou Camara et son équipe ont d'abord organisé un tirage au sort en direct, digne des compétitions officielles. Et pour ceux qui ne peuvent pas assister aux matchs, chaque rencontre est diffusée en direct sur Instagram, ainsi qu'en replay.
"C'est sĂ»r, c'est une grosse organisation", reconnaĂ®t Lamine Tandian, qui est "heureusement en vacances" pour cette fin de tournoi. L'investissement est nĂ©anmoins bĂ©nĂ©fique pour tout le monde. "Ça nous permet de casser la routine, la CAN est un bon prĂ©texte, explique-t-il, ça montre qu'on peut se rassembler autour d’un beau projet."Â
Lors de cette CAN maison, des tuniques spécifiques ont même été conçues du côté de Maison Château Rouge, une marque du quartier. De "vrais maillots" pour pousser les joueurs à "mériter leurs couleurs", avance Lamine Tandian. Autre collaboration de poids, le trophée qui sera remis aux gagnants cette année est l'œuvre de la maison JP Leconte, qui a notamment créé la coupe du vainqueur des 24 heures du Mans et de la Pro D2 de rugby. Une manière d'imposer son style, et de "rayonner au-delà du quartier", espèrent les organisateurs.
Bientôt une Coupe du monde des quartiers ?
Ce soir-là au square Léon, l'équipe des Comores rejoint finalement la Gambie sur le banc des éliminés, après un cuisant 6-0 concédé contre la Côte d'Ivoire, tenante du titre. Le tournoi se poursuit, avec une finale prévue mi-juillet. Et après ? "A chaque fois, on essaie de faire mieux, mais là , ça va être très dur", prévient Mamoudou Camara.
"On veut aussi éviter que l'événement parte dans tous les sens, confie Lamine Tandian, il faut que ça reste accessible." Avec une attention particulière pour les plus jeunes, qui gravitent autour de lui. "On le fait d’abord pour eux, parce qu’ils sont toujours là pour nous aider à porter du matériel ou à organiser, justifie-t-il. On leur doit beaucoup."
"Le rêve, ce serait d'organiser à l'avenir une réplique de la Coupe du monde au quartier, lance-t-il. Normalement, il y a assez de monde à Paris pour chaque équipe." Construite de toutes pièces, la CAN de la Goutte d'Or pourrait bientôt compter sur le soutien de la mairie du 18e arrondissement de Paris, qui dit vouloir "mieux accompagner l'évènement" pour les futures éditions. "Depuis le début, tout ce qu'on veut montrer, c'est que rien n'est impossible", répète de son côté Mamoudou Camara. Sur les grilles du square Léon, il reste en tout cas de la place pour beaucoup d'autres drapeaux.
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