Cet article date de plus de trois ans.

La Super Ligue européenne, nouveau symbole des rivalités entre la FIFA et l'UEFA ?

Comme révélé par Sky Sports la semaine dernière, la Super Ligue européenne pourrait voir le jour dans les années à venir sous l’égide de la FIFA. En cas de concrétisation du projet, il s’agirait d’un coup très dur porté à l’UEFA, généralement chargée d’organiser les compétitions entre clubs sur le continent européen. Les grands clubs, qui bénéficieraient des revenus de cette Super Ligue, semblent jouer sur les deux tableaux et profiter des rivalités entre les deux instances.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Infantino et Ceferin pourraient à nouveau s'affronter sur le projet de Super Ligue (MARKKU OJALA / COMPIC)

La Fédération internationale de football association (FIFA) s’apprêterait-elle à porter un coup fatal à l’Union des associations européennes de football (UEFA) dans la rivalité qui oppose les deux instances les plus puissantes du football mondial ? C'est ce qui pourrait arriver en cas de concrétisation du projet de Super Ligue européenne, compétition fermée organisée par la FIFA. Une implication inédite de l’instance du football mondial dans le football européen qui viendrait directement concurrencer la Ligue des champions, compétition phare de l’UEFA.

En cas d’émergence d’une Super Ligue, la C1 serait en effet reléguée au second plan et deviendrait de facto une sorte de Ligue Europa. "L’UEFA a tout à perdre et la FIFA tout à gagner si elle parvenait à concrétiser ce projet", soutient Raffaele Poli, responsable de l’Observatoire du football du Centre international d’étude du sport (CIES). Dans les faits, la matérialisation du projet de Super Ligue viendrait une fois de plus cristalliser les tensions qui existent depuis plusieurs années entre la FIFA et l’UEFA.

"L’UEFA veut dicter sa loi, et la FIFA aussi. C’est un problème d’hégémonie, même si l’UEFA est une émanation de la FIFA. Dans la mesure où les deux institutions ont beaucoup d’argent avec des velléités hégémoniques, une guerre s’installe entre les deux", assure Raffaele Poli. Avant l’évocation de ce projet de Super Ligue, jugé "égoïste" et "insensé" par Aleksandr Ceferin, la réforme de la Coupe du monde des clubs par la FIFA avait déjà passablement irrité le président de l’UEFA.

Le double jeu d'Infantino

Car depuis temps, et notamment depuis l’arrivée de Gianni Infantino à la tête de la FIFA en 2016, l’instance mondiale s’intéresse de près au football de clubs, qui fait généralement office de chasse gardée des six confédérations existantes (UEFA, Conmebol, AFC, CAF, OFC, Concacaf). "Depuis une dizaine d’années, la FIFA s’intéresse de manière croissante au football de clubs, à travers des projets de développement notamment", explique Kevin Tallec Marston, enseignant-chercheur au CIES. Mais avec le nouveau format de Coupe du monde des clubs, les tensions ont grimpé d’un cran entre UEFA et FIFA.

Alors qu'un seul club européen participait jusque-là à la Coupe du monde des clubs, huit équipes du Vieux continent y seront conviées à partir de 2022, au grand désarroi de Ceferin. Avec cette réforme, Infantino vise une globalisation du football de clubs, tout en espérant générer "50 milliards de dollars (42,15 milliards d’euros) en termes de commercialisation". Un projet colossal qui aurait, selon un article de février dernier du New York Times, mené à un conflit ouvert entre le président italo-suisse de la FIFA, et le dirigeant slovène de l’UEFA.

Gianni Infantino à Doha lors de la dernière Coupe du monde des clubs remportée par Liverpool (GIUSEPPE CACACE / AFP)

On le comprend : si le projet de Super Ligue était réellement piloté par la FIFA comme suggéré la semaine dernière par Sky Sports, la brouille entre les deux institutions pourrait se poursuivre, et s'accentuer. Malgré tout, il convient de nuancer puisque Infantino a rapidement nié les dernières informations dans le quotidien suisse Aargauer Zeitung : "En tant que président de la FIFA, je m’intéresse à la Coupe du monde des clubs, pas à la Super Ligue." Mais, rappelons-le, Infantino monte très régulièrement au créneau lorsque ce projet de compétition fermée est évoqué, comme en décembre dernier au Qatar. Ce qui ne l’avait pas empêché, une semaine plus tôt, d’assurer à Bruxelles que "la FIFA est une organisation démocratique avec laquelle on peut parler de tous les sujets."

Une manœuvre risquée

Un jeu trouble qui a le don d’agacer à Nyon, au siège de l’UEFA. D’autant plus qu’en soutenant un projet de Super Ligue, la FIFA et Infantino seraient en contradiction avec leur ambition affichée. Il y a moins d’un an, à Doha, Infantino affirmait qu’il "faudrait une cinquantaine de clubs de tous les continents plus ou moins au même niveau. Si nous voulons développer le football dans le monde entier - et c’est la raison d’être de la FIFA -, c’est une question à laquelle nous devons réfléchir". Bluff de la part du dirigeant italo-suisse, ou réelle volonté de développer le football à l’international ? Si la Super Ligue voyait le jour, le football européen accentuerait en tout cas son avance sur les autres parties du monde.

Selon l’avocat spécialisé dans le sport, Thierry Granturco, le pilotage par l’instance mondiale du projet de Super Ligue semble assez improbable : "C’est diplomatiquement compliqué parce que ça voudrait dire que la FIFA se paie l’UEFA. Or, les fédérations européennes pèsent très lourd à la FIFA, et peuvent faire ou défaire un président". Des jeux de pouvoir qui pourraient valoir cher à Infantino. "Il deviendrait très impopulaire. Et ce sont les présidents des associations qui votent, et non pas les dirigeants des grands clubs qui participeront à la Super Ligue", abonde Raffaele Poli.

Le poker menteur des grands clubs

En plus d’envenimer les relations avec l’UEFA, soutenir le projet de Super Ligue apparaît donc comme une manœuvre risquée pour Infantino. "Si certains voient en cette affaire une rivalité entre les deux institutions, elles sont pourtant capables de faire bloc en même temps. En revanche, il faut le voir sous une autre perspective : quand vous avez deux parents, parfois l’enfant malin fait jouer les parents l’un contre l’autre à l’insu de chacun", avance Kevin Tallec Marston. Autrement dit, les grands clubs, qui souhaiteraient voir aboutir le projet de Super Ligue, pourraient se trouver à l’origine d’un poker menteur visant à obtenir davantage de concessions de la part de l’UEFA.

"C’est toujours un argument pour faire avancer les choses", poursuit l’enseignant-chercheur au CIES, afin d’obtenir que la Ligue des champions se ferme de plus en plus, une tendance qui se réalise déjà depuis plusieurs années. Pourtant, Ceferin et Andrea Agnelli, président de la très influente Association européenne des clubs (ECA), ne semblent pas prêts à flancher : "Tant qu’Andrea Agnelli et moi serons à la tête de nos organisations respectives, il n’y aura pas de Super Ligue. Ce n’est pas une promesse, c’est un fait", avait déclaré Ceferin en février 2019.

Si le projet de Super Ligue ne se fait ni sous l’égide de la FIFA, ni sous l’égide de l’UEFA, les grands clubs, boudeurs, pourraient songer à une autre solution. À défaut d'attiser les tensions entre les deux institutions, ces mastodontes du football européen pourraient ainsi se tourner vers le soutien d’un investisseur privé, voire d’un pays désireux de s’impliquer dans le monde du sport, afin de financer ce projet dont la réalisation future semble inéluctable aux yeux de nombreux spécialistes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.