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JO d’hiver 2018 : discrétion, négociations, bluff... Comment des collectionneurs tentent de racheter les médailles à prix d'or

Au total, 777 médailles auront été distribuées aux Jeux olympiques de Pyeongchang. Mais certaines ne resteront pas longtemps au cou des athlètes. Des passionnés sont à l’affût pour les racheter.

Article rédigé par Raphaël Godet, franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le biathlète Martin Fourcade embrasse sa médaille d'or olympique décrochée sur la mass start à Pyeongchang (Corée du Sud), le 19 février 2018. (FRANCK FIFE / AFP)

Emmitouflée dans sa grosse doudoune, Catherine Salaün s’installe tranquillement sur les pentes de Yongpyong. Le slalom géant dames des Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang va débuter d’une minute à l’autre. Pour résister aux -15 °C qu’affiche le thermomètre ce jour-là, elle a enfilé un bonnet, deux paires de gants et deux paires de chaussettes. Tant pis pour le style, ce n’est pas le moment d’attraper froid. Une longue journée attend la Française de 61 ans, actuellement en Corée du Sud pour agrandir un peu plus sa collection d'objets olympiques.

Depuis les Jeux d’Albertville de 1992, je n’ai raté qu’une seule olympiade. Mes vacances sont tout le temps calées par rapport à ça.

Catherine Salaün

à franceinfo

La sexagénaire n'a pas de temps à perdre. Une fois l'épreuve terminée, elle doit filer jusqu'au podium pour assister à une nouvelle cérémonie de remise de médailles. "C'est comme pour un concert, le placement, c'est 80% de la réussite. Si je me retrouve coincée au milieu de la foule, c’est fichu, je ne pourrai pas bien travailler." Il faut être à l'affût, surveiller. A gauche, à droite, derrière. "En trente secondes, tu peux perdre la touche que tu avais pour un dossard d'athlète", explique-t-elle en habituée. 

Mais la Française n'a pas fait 9 000 km depuis sa Côte d'Azur uniquement pour des dossards, même portés par les meilleurs athlètes du globe. Comme elle, tous les collectionneurs ont un "rêve ultime" en tête : repartir avec une médaille olympique.

"Tout se fait discrètement, à l’abri des regards"

Oui, vous avez bien lu, certaines breloques ne restent pas longtemps au cou des vainqueurs. A chaque olympiade, quelques champions (rarement les plus médiatiques) acceptent de s'en séparer en échange d'un joli chèque. "N'allez pas imaginer que la transaction se fait aux yeux de tout le monde, précise celle qui exerce comme technicienne de laboratoire. Tout se fait discrètement, à l’abri des regards." 

C'est souvent un travail de longue haleine. Il faut approcher le sportif, ou au moins son entourage. Donner rendez-vous, sympathiser, bluffer, jouer des coudes, négocier, faire du charme, laisser une carte... A ce jeu-là, "les meilleurs sont les Américains, reconnaît, belle joueuse, Catherine Salaün. Après, certains ont des méthodes que je ne cautionne pas. Interpeller un athlète tout juste descendu du podium, je ne peux pas. C'est une question de respect." 

Il arrive aussi que l'opération capote ou que l’athlète se rétracte au dernier moment.

Catherine Salaün

à franceinfo

La vente peut en effet être très mauvaise pour l'image du sportif. La transaction se fait donc "rarement" pendant les Jeux. "On reprend contact lorsque tout le monde est rentré chez soi", détaille celle qui est membre de l'Afcos, l'Association française des collectionneurs olympiques et sportifs. 

"Je peux toucher une médaille d’or tous les jours"

Les trois semaines passées au pays du matin calme devraient coûter entre 3 000 et 3 500 euros à Catherine Salaün. Pour limiter les frais, elle partage un appartement avec sept autres personnes, des collectionneurs étrangers pour la plupart. Tous sont venus en Asie sans objectif précis. "On savait avant de partir que ce serait beaucoup plus compliqué qu’en été." C’est juste une question mathématique. A Rio il y a deux ans, 2 488 médailles ont été distribuées. A Pyeongchang, c'est trois fois moins, 777 exactement.

Conséquence, beaucoup de collectionneurs ont préféré ne pas se déplacer cette année. C'est le cas de Pascal Eppelé qui regarde les épreuves depuis son canapé en Alsace. "C'est beaucoup plus facile de négocier une fois que l'événement est terminé, au calme, sans brouhaha, croit savoir celui qui possède déjà une petite dizaine de médailles. Je vais attendre six ou sept mois avant de me repencher sur Pyeongchang." 

Sa stratégie a toujours fonctionné jusque-là. C'est ainsi qu'il a fini par récupérer la médaille d'argent de Shinichi Shinohara, le judoka japonais battu par David Douillet en finale des poids lourds lors des JO de Sydney (Australie) en 2000.

Les médailles d'or (au dentre), d'argent (à gauche) et de bronze distribuées aux Jeux olympiques d'hiver 2018 de Pyeongchang (Corée du Sud). (LUCY NICHOLSON / REUTERS)

S'il reconnaît avoir déjà déboursé près de 8 000 euros pour une médaille, Pascal Eppelé ne s'étalera pas beaucoup plus sur les sommes engagées. "On est des gens discrets, ce n'est pas écrit sur notre front. Moins on fait de bruit, mieux on travaille." Rien d'étonnant, donc, que plusieurs collectionneurs aient préféré décliner au dernier moment les interviews. "Ce qui nous unit, c'est qu'on est tous des dingues de sport, répète le viticulteur. Si je veux, je peux toucher une médaille d’or tous les jours, sans bouger de chez moi. Et ça, c'est un plaisir assez particulier."

Je collectionne les médailles olympiques comme certains collectionnent les timbres, chacun son plaisir.

Pascal Emmelé

à franceinfo

Toutes les médailles n’ont évidemment pas la même valeur. Plusieurs critères les différencient : le métal, la date, l'athlète et la discipline. En clair : une victoire sur 100 m d'Usain Bolt vaudra beaucoup plus que du curling à Sotchi en 2014. A ce jour, la plus chère de l’histoire est partie aux enchères pour 1,4 million de dollars (1,3 million d'euros). Elle avait été décrochée par le légendaire sprinteur américain Jesse Owens lors des JO de Berlin en 1936. Ce genre de transaction n'est pas à la portée de n'importe qui. Seuls des musées consacrées à l'histoire du sport ou des richissimes hommes d'affaires peuvent signer un chèque avec autant de zéro.

Une somme d'argent qui ne donne même pas le tournis à Emilie Le Pennec. Contactée par franceinfo, l'ancienne gymnaste française ne vendrait pour rien au monde sa médaille d'or décrochée à Athènes (Grèce) en 2004. "Ils seraient bien reçus ceux qui oseraient proposer de me la racheter !", s'emporte-t-elle. Avant de se calmer : "J’imagine que les athlètes qui vendent ont vraiment besoin de cet argent." 

"Fourcade, c'est entre 500 000 et 1 million"

C'est en effet rarement de gaieté de cœur que les sportifs se séparent de leur récompense. Parce qu'elle avait des problèmes financiers, l'ancienne gymnaste biélorusse Olga Korbut a monnayé ses deux médailles de Munich en 1972 contre un peu plus de 200 000 euros. Quant au nageur américain Anthony Ervin, il a vendu sa médaille d'or glané sur le 50 m nage libre à Sydney en 2000 sur eBay. Et a aussitôt reversé les 17 000 euros aux victimes du tsunami de 2004 en Asie. 

Il arrive aussi que les descendants des athlètes décident de faire un peu de place dans les placards. C'est ainsi que Catherine Salaün a pu récupérer les deux médailles du cycliste français Maurice Schilles obtenues lors des Jeux de Londres en 1908. Le lot était à 3 000 euros. 

Sa famille allait les jeter à la poubelle, j'ai donc sauté sur l'occasion.

Catherine Salaün

à franceinfo

Même si la vente est tout à fait légale, certains collectionneurs ont parfois quelques scrupules à racheter des médailles. "On ne peut pas faire comme si c'était un objet comme un autre, lâche Pascal Eppelé. Il y a une histoire derrière." Il affirme qu'il a déjà refusé une transaction pour cette raison-là.

L'argent ne peut pas tout acheter. La performance, ce n'est pas nous, c'est eux.

Pascal Eppelé

à franceinfo

Une médaille d'or et son coffret lors des Jeux olympiques de Pyeongchang (Corée du Sud), le 23 février 2018. (MARTIN BUREAU / AFP)

Assis dans son bureau de Düsseldorf (Allemagne), Bernhard Winter fait beaucoup moins dans le sentiment. Ce numismate professionnel est l'un des plus reconnus du milieu. Après chaque olympiade, il reçoit des demandes du monde entier. Il n'a même pas besoin de démarcher les athlètes, ils viennent directement à lui. "J'en ai encore reçu plusieurs pas plus tard que la semaine dernière". Des noms ? "Impossible, confidentiel, lâche-t-il au téléphone. Ils voulaient savoir combien je pouvais racheter leur médaille. Je vous dis seulement que ça allait de quelques milliers d'euros à plusieurs centaines de milliers d'euros." 

Martin Fourcade est d'ailleurs le bienvenu au numéro 41 de la Grafenberger Allee. Bernhard Winter a fait le calcul : "L'une des médailles d'or qu'il a obtenues à Pyeongchang pourrait partir entre 500 000 et 1 million d'euros."

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