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Jeux olympiques : la lutte pour sauver la lutte a commencé

Des Etats-Unis à la Turquie, la communauté des lutteurs se mobilise pour sauver ce sport, menacé de ne pas être au programme des JO de 2020.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un combat de lutte lors des Jeux olympiques de Londres, le 7 août 2012.  (KIM KYUNG HOON / REUTERS)

La sentence est tombée mardi 12 février. La commission exécutive du Comité international olympique (CIO) excluait la lutte des vingt-cinq sports sûrs d'être présents aux Jeux de 2020. Ce sport millénaire se retrouve ainsi en concurrence avec sept sports, dont le karaté ou le wushu, pour décrocher l'unique place encore libre dans le programme olympique. Cette décision inattendue a déclenché une onde de choc mondiale. 

La machine de guerre américaine

Aux Etats-Unis, les pro-lutte ont déjà montré leurs muscles : 25 000 signatures déposées sur le site de la Maison Blanche, soit déjà un quart du total requis pour obtenir une réponse des conseillers de Barack Obama ; plus de 30 000 signatures sur le site de pétitions Change.org ; 60 000 fans sur la page Facebook "Save olympic wrestling" ("sauvons la lutte aux JO") ; et plusieurs députés qui vont porter l'affaire devant le Parlement, raconte USA Today (en anglais). La mobilisation en faveur de la lutte a tout de suite pris outre-Atlantique. La lutte est en effet un sport suivi aux Etats-Unis : 270 000 pratiquants, une place dans le top 10 des sports universitaires, et des stars qui se mobilisent sur Twitter pour inonder d'e-mails le CIO. La conjoncture s'y prête : le comité olympique va changer de président en septembre.

Comme le résume Michael Novogratz, ancien lutteur qui dirige un fonds d'investissement, cité par Bloomberg (en anglais) : "il y a un proverbe qui dit qu'il ne faut pas provoquer un lutteur, sinon il va vous botter les fesses. Nous allons nous assurer que la lutte sera aux JO de 2020, en y mettant l'argent et le temps nécessaires." Et les défenseurs de la lutte ont démarré au quart de tour, ce qui leur vaut l'admiration du président de la fédération de base-ball, sport exclu des Jeux en 2005, cité par USA Today (en anglais) : "il n'y avait pas eu une telle réaction [pour défendre le base-ball] à l'époque"

La France joue petit bras

Dans le monde, 80 millions de personnes pratiquent de près ou de loin la lutte... dont 20 000 en France. Forcément, à la fédération hexagonale de lutte, on n'espère pas remplir les Champs-Elysées. "La mobilisation est beaucoup plus forte aux Etats-Unis, mais c'est logique vu le nombre de pratiquants qu'il y a là-bas. C'est comme si on avait supprimé le judo des Jeux pour la France." Une première action est néanmoins envisagée, lundi 18 février, dans toutes les régions. "L'idée est de réaliser une flashmob avec des licenciés, des lutteurs, des amis de la lutte, d'autres sportifs, puis de faire une vidéo virale", explique un des organisateurs de l'événement. Reste qu'à quatre jours du rendez-vous, aucun lieu n'était fixé dans la plupart des régions... 

Retard à l'allumage côté français ? La pétition pour sauver la lutte postée sur le site Change.org ne rassemble que 500 signatures, soit 600 fois moins que la version britannique. "Si tous les présidents de club avaient fait signer les lutteurs et leur entourage, on serait au moins à 15 000, peste Damien Jacomelli, du club de Lyon-Saint-Priest, à l'origine de la pétition en VF, contacté par francetv info. La pétition n'est même pas en lien sur le site de la fédération." 

"On réfléchit surtout à faire quelque chose au mois de mai, quand aura lieu la réunion où sera définitivement entérinée la décision, reconnaît-on à la fédération. Mais on peut d'ores et déjà dire que la décision a touché du monde. Nous avons été plus sollicités par les médias que pour une médaille olympique."

Les valeurs de l'olympisme à la rescousse

La mobilisation en faveur de la lutte cherche à éviter de stigmatiser d'autres sports, jugés moins nobles. Seuls le pentathlon moderne et le taekwondo en prennent pour leur grade, protégés par des pontes qui siègent à la commission exécutive du CIO. Ces considérations politico-financières qui priment sur l'aspect sportif et historique
– on a retrouvé récemment un règlement de ce sport rédigé il y a 2 200 ans – énervent au plus haut point Jean Cohen, entraîneur au club de lutte de Paris, qui lâche : "A la limite, si j'étais à la place du CIO, je construirais un circuit de Formule 1, car ça attire du monde et ça rapporte du fric !"

Des sportifs ont apporté leur soutien aux lutteurs privés de JO, comme la sprinteuse reconvertie dans le bobsleigh Lolo Jones, sur Twitter. "La gymnastique avec un ruban, le ping-pong, le trampoline ou la marche devant la lutte ? (...) Mon cœur est brisé pour la lutte. Merci pour ces médailles gagnées pour les Etats-Unis durant toutes ces années. #saveolympicwrestling."

En France, seul le triple sauteur Teddy Tamgho a pour le moment pris position.  

Un espoir nommé Istanbul

Autre moyen de pression, la possible désignation d'Istanbul comme ville-hôte des Jeux en 2020. La Turquie est l'une des nations majeures de la lutte, qui lui a rapporté deux tiers de ses médailles dans son histoire olympique. Les autorités turques ont fait savoir que les Jeux sans la lutte étaient "absolument impensables". Même maintenu, le sport pourrait néanmoins se voir amputer de la lutte gréco-romaine (devenue minoritaire par rapport à la lutte libre) et de quelques catégories de poids. Plusieurs gouvernements majeurs, comme l'Inde et l'Iran, ont fait valoir leur opposition à la décision du CIO, et comptent bien peser de toute leur influence pour l'inverser. 

Le président de la fédération japonaise de lutte, en larmes, à l'annonce de la décision du CIO de retirer la lutte des sports olympiques majeurs, le 13 février 2013.  (TORU HANAI / REUTERS)

Le nom de la ville organisatrice des JO d'été 2020 sera dévoilé en septembre 2013. Si une autre ville qu'Istanbul est désignée, les lutteurs auront perdu une bataille. L'Espagne, candidate via Madrid, n'est pas un pays de lutte. Et même pas sûr que le Japon, qui compte beaucoup de licenciés, fasse pression pour réintégrer ce sport quand il pourrait récupérer le base-ball, autre discipline très populaire dans l'archipel nippon. Les Jeux de Rio, en 2016, pourraient donc avoir des airs de lutte finale.

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