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Grand talent ou grand méchant : qui est Earvin Ngapeth, la star du volley français ?

L'international tricolore comparaît devant la justice, lundi, pour l'agression d'un contrôleur SNCF. On aurait pourtant tort de le cataloguer comme le bad boy de son sport.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Earvin Ngapeth lors d'un match contre l'Italie, à l'Euro de volley-ball, le 11 octobre 2015 à Turin (Italie). (MAURO UJETTO / NURPHOTO)

Il fait les gros titres, aussi bien dans la rubrique des sports que dans celle des faits divers. Vedette de l'équipe de France de volley-ball, Earvin Ngapeth est attendu au tribunal, lundi 22 février, pour être jugé dans l'affaire de l'agression, en juillet 2015, d'un contrôleur de la SNCF en gare Montparnasse à Paris... deux jours après avoir gagné la Ligue mondiale, un exploit sportif retentissant. Docteur Earvin et Mister Ngapeth ? C'est un peu trop simple.

Une pause-pipi qui coûte cher

Earvin Ngapeth a grandi dans un monde de sportif. Son père lui a donné ce prénom en hommage à Earvin "Magic" Johnson, légendaire basketteur des Lakers. Petit, il brille au foot – à Fréjus (Var), il est titulaire alors que Layvin Kurzawa, futur défenseur international du PSG qui joue avec lui dans la même équipe, cire le banc.

Adolescent, il se concentre sur le volley-ball, comme son père Eric, international aux 200 sélections. "J’ai commencé à m’y mettre vraiment vers 13 ans, à Poitiers, car je voyais que j’avais des qualités et que cela me permettait de voyager dans toute la France", raconte-t-il à Africa Top Sports. Sa progression est fulgurante. Sous le maillot de Tours, il enchaîne les titres, et débarque en équipe de France avec l'étiquette de nouvelle star, en 2010. Il a 19 ans, et les ennuis commencent. 

Une banale histoire de pause-pipi va saborder son parcours en l'équipe de France. Earvin Ngapeth, pris d'une envie pressante, demande au sélectionneur l'autorisation de s'absenter du banc quelques instants, lors d'un match contre le Japon. Philippe Blain refuse. Les deux hommes s'attrapent dans le vestiaire, après la victoire : "Il m’a dit : 'T’as vraiment failli me pousser à me pisser dessus', se souvient le sélectionneur dans 20 Minutes. Je lui ai dit : 'Non pas là, la remarque tombe au mauvais moment'." Furieux, le jeune joueur explose son casque audio contre un mur.

Earvin Ngapeth, qui se sent incompris, lâche mentalement, rigole dans le vestiaire après les défaites, ne s'investit plus dans les entraînements... En creux, il ne comprend pas pourquoi la star de l'équipe, Stéphane Antiga, joue, alors qu'il s'est accordé des vacances au lieu de faire une partie de la préparation. La sanction tombe : exclusion des Bleus. Dans un documentaire diffusé sur Canal+ après l'élimination des Bleus (qui échouent à une peu reluisante 11e place), Earvin Ngapeth lâche : "Si l’équipe de France est mal gérée, je préfère faire ma carrière tranquille…"

Trois heures chez le coiffeur

L'histoire se passe trois mois après la retentissante affaire de Knysna, quand les joueurs de l'équipe de France de football ont décidé de faire grève durant la Coupe du monde en Afrique du Sud. Il n'en faut pas plus pour coller à Earvin Ngapeth l'étiquette d'"Anelka du volley". Pourtant, la comparaison ne tient pas. Contrairement au taciturne attaquant, le jeune volleyeur sourit souvent, et a le contact facile avec les médias. A lui seul, il représente 50% des demandes d'interviews de l'équipe de France : "Je travaille beaucoup là-dessus, pour être plus à l’aise", confie-t-il au Figaro. Il revient en équipe de France en 2011, après le changement de sélectionneur.

Quand il joue, impossible de le rater. "Il est l'image de l'équipe de France. Je trouve qu'il ressemble à une star NBA, avec son côté showman, fantaisiste",
explique le sélectionneur Laurent Tillie dans Stade 2. Toutefois, Earvin Ngapeth ne se compare pas encore à Tony Parker. "Quand on voit un mec comme Parker, c'est du 24 heures sur 24, observe-t-il dans Le Parisien. Il y a le basket, les médias, les associations... Il a tellement de responsabilités qu'il n'est plus seulement un basketteur. Ça me fait rêver, mais ça me fait flipper aussi." Niveau look, il est plus que prêt. Son coéquipier en Bleu, Pierre Pujol, se souviendra longtemps de la fois où Earvin Ngapeth l'a emmené chez le coiffeur : "En Italie, pendant un jour off de l’Euro, il m’a proposé d’aller chez le coiffeur, raconte-t-il dans Ouest-France. C’est la dernière fois, puisque nous y sommes restés 3 heures 30 pour qu’il puisse réussir sa crête bleue."

Klima instable

Son autre point commun avec Tony Parker, c'est le rap. Mais autant le basketteur n'a pas convaincu (si vous avez un doute, regardez ceci), autant le volleyeur s'en tire honorablement. Sous le pseudo de Klima, un sobriquet inventé par un camarade de classe résumant son tempérament versatile. Dès qu'il revient à Tours, il compose ou tourne un clip avec ses amis d'enfance. Deux albums, Klimatizason (2010) et L'Histoire se répète (2013), l'hymne de l'équipe de France, le fameux Team Yavbou, et quelques paroles révélatrices d'une fragilité pas évidente au premier abord : "Le talent m’aide à m’en sortir / Est-ce que ça va durer ? J’suis pas sûr, j’vais pas t’mentir"

Son style spectaculaire, ses points incroyables et sa balle de match marquée dos au filet en finale de l'Euro ont beaucoup fait pour sa notoriété. Ses dérapages aussi. Une rixe dans une boîte de nuit de Montpellier (Hérault) en 2013 lui a valu trois mois de prison avec sursis (il a depuis fait appel). Son départ précipité du club sibérien de Kouzbass Kemerovo pour assister à l'accouchement de sa femme, en France, sans jamais revenir, a fait jaser. Et pour cause : son propre père était entraîneur de l'équipe. Sur Facebook, chacun a livré sa version des faits. Ngapeth fils parle de promesses non-tenues. Ngapeth père de "coup de poignard dans le dos". "Treize joueurs et le staff laissés en plan. Le club, qui avait fait de lui une priorité en terme de recrutement, laissé en plan. Le public, qui ne comprend pas encore ce qui arrive. Le sponsor, qui a eu la main lourde sur le carnet de chèques, bouche bée", se désole Eric Ngapeth.

Earvin Ngapeth semble avoir trouvé un équilibre à Modène, un club puissant du très suivi championnat italien. Son jeu spectaculaire ravit les tifosi, les tee-shirts à son effigie s'arrachent et son maillot est affiché dans les vitrines de nombreux commerçants de la ville. Revers de la médaille : tous ses faits et gestes sont scrutés. Sa sortie de route en voiture dans la ville à 3h30 en novembre, où il a fauché trois piétons – qui se trouvaient au milieu de la chaussée – a fait grand bruit en Italie. S'il s'est aussitôt excusé sur sa page Facebook, les supporters adverses n'hésitent pas à utiliser l'affaire à grand renfort de banderoles moqueuses dans les tribunes. 

"Désolé si je t'ai fait du mal, qui que tu sois"

Mais l'affaire qui a mis le feu aux poudres s'est passée à la gare Montparnasse, à Paris, deux jours après le succès en Ligue mondiale. Le 21 juillet 2015, à 6h30. Earvin Ngapeth, son frère et un ami ne sont pas en avance pour attraper un TGV pour Poitiers. Ils veulent monter à bord sans billet, un contrôleur tente de les faire descendre manu militari sur le quai. La discussion s'envenime. L'agent de la SNCF ne veut rien savoir.

Quand Earvin Ngapeth tend sa carte bleue pour payer les billets et l'amende, le contrôleur aurait lâché un "c'est toujours pareil avec vous", raconte le volleyeur à L'Equipe Magazine. Le joueur lui montre la une de L'Equipe, où sa photo s'étale en manchette. "En réponse, il tape le journal et essaie de me donner un coup de pied. Je le repousse et il tombe sur le quai, fait son cinéma en se roulant par terre. C'est là qu'il s'est égratigné avant d'appeler la police au talkie-walkie", poursuit-il dans l'hebdomadaire.

Le contrôleur ne porte pas plainte tout de suite, mais la SNCF n'hésite pas. L'affaire éclipse totalement le succès historique des Bleus. "Je m'en suis tout de suite voulu. Pas pour moi, mais pour mes coéquipiers", reconnaît le joueur sur France 3, qui a perdu plusieurs gros contrats de sponsoring dans l'affaire.

Trop impulsif, Earvin Ngapeth ? A froid, il le reconnaît dans L'Equipe Mag : "Sur l’affaire de Montparnasse, j’aurais dû descendre du TGV et prendre le suivant. C’est la bonne solution, même si ça bout à l’intérieur." Dans son dernier clip, diffusé en janvier, on trouve une référence directe à l'affaire de Montparnasse : "Désolé si je t'ai fait du mal. Qui que tu sois / J'arrive pas à garder mon calme, à garder mes nerfs face à tous ces 'hagouns' (imbéciles, en arabe)."

Si la justice lui donne raison et que les Jeux de Rio sont une réussite, Earvin Ngapeth pourra se concentrer sur son nouveau combat : les subsides versés par la Fédération française de volley-ball : 60 euros par jour par international, et des joueurs format XXL obligés de payer de leur poche pour ne pas voyager en classe éco. Entre autres. "Il faudrait aussi faire un effort pour les hôtels, pointe Earvin Ngapeth. Souvent, les lits sont trop petits et on tombe par terre quand on se retourne. C’est grand un volleyeur !"

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