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Reportage Drame de Furiani : 30 ans après, le traumatisme toujours présent en Corse

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La stèle en hommage aux victimes du drame de Furiani du 5 mai 1992, devant le stade Armand-Cesari, en février 2021. (XAVIER GRIMALDI
BASTIA / MAXPPP)

Les années passent mais le drame reste bien présent dans les esprits de celles et ceux qui ont vécu l'effondrement d'une tribune au stade de Furiani. Plusieurs commémorations ont lieu sur l'île afin de ne pas oublier les victimes.

"Si je me souviens du 5 mai 1992 ? Bien sûr, j'y étais. C'est gravé à vie." Attablé au bar qui jouxte la place du village de Speloncato, à deux pas de la fontaine centrale, Eugène Osborne, dit "Ginou", n'est pas le seul à garder en mémoire de vifs souvenirs de la catastrophe de Furiani. Dans cette commune de Balagne (Haute-Corse) nichée à 550 mètres d'altitude et taillée dans la roche, personne n'a oublié cet événement qui constitue, encore aujourd'hui, les heures les plus sombres du sport français.

"On était une bande, peut-être huit ou neuf, sur place", se rappelle Jean-François Poli, le maire de la petite municipalité de moins de 300 habitants. "Je m'étais chargé des places, il y en avait à 500, 400 et 300 francs. Celles à 300 étaient celles tout en haut de la tribune pré-fabriquée. Comme c'était une demi-finale de Coupe de France (entre Bastia et l'OM) et qu'il n'y en a pas tous les jours à Furiani, j'avais pris les billets à 400. Avec du recul, on peut se dire qu'on a eu de la chance : nous étions trois rangées en-dessous de la partie qui a cédé..."

Les spectateurs de Furiani tentent de quitter la tribune qui vient de s'effondrer, le 5 mai 1992. (TOUSSAINT CANAZZI / AFP)

"On faisait attention de ne pas écraser ceux qui étaient en bas. Il y avait eu le drame du Heysel quelques années plus tôt, on savait que cela pouvait être dangereux d'être vers les grillages"

Eugène Osborne, un habitant de Speloncato présent à Furiani en 1992

à franceinfo: sport

Tous se remémorent leur impression au moment d'arriver sur la quatre voies qui mène au stade Armand-Cesari. Après avoir parcouru les presque 100 kilomètres qui séparent Speloncato de Furiani, par la route territoriale 30, ils se trouvent face à un édifice monumental, dépassant allègrement les 15 mètres, qui contraste avec la taille de l'enceinte du club corse.

À 20h23 ce mardi 5 mai, le pire se produit. "J'ai eu le temps de me retourner, j'ai vu la tribune tomber de la gauche vers la droite comme un château de cartes, en une fraction de seconde", témoigne Eugène. L'homme de 58 ans se souvient être descendu pour apporter son aide aux blessés, tandis que d'autres se tenaient la main pour créer un couloir sanitaire permettant aux ambulances de circuler. 

Coupée du monde, la Corse bascule dans le chaos

Jean-François Poli, lui, s'est senti partir en arrière, "peut-être 50 ou 70 centimètres", avant de pouvoir revenir sur ses pieds. Celui qui était technicien télécom à l'époque se rappelle avoir croisé un collègue, en charge de l'installation des lignes téléphoniques et des liaisons pour les journalistes présents sur place, dans les décombres. "Je le revois, l'œil complètement hagard, se tenant le bras", explique-t-il. Surtout, il n'oublie pas le décès de son chef de centre des services techniques. Parti s'assurer que tout était bien opérationnel avant le coup d'envoi, il est l'un des premiers à être tombé de l'échafaudage géant.

Quelques minutes après la catastrophe, le central est saturé et il n'est plus possible de téléphoner pour rassurer ses proches. La Corse vient de basculer dans l'horreur. Les conséquences physiques - 2 357 blessés et 18 morts (19 après la disparition d'un homme des suites de ses blessures, en 2015) - mais aussi psychologiques seront nombreuses. "Pendant plusieurs mois, je n'étais pas bien lorsqu'il y avait du monde, je me demandais presque pourquoi", raconte Eugène. Le maire du village balanin avoue ne pas être retourné au stade pendant des années. "J'avais toujours ce sentiment de vertige, de me retourner et de voir le vide et le chaos derrière moi."

>> 5 mai 1992, Furiani : retour sur un drame à jamais gravé dans la mémoire du sport français

Des policiers présents à Furiani évacuent des spectateurs blessés après l'effondrement de la tribune du stade Armand-Cesari, le 5 mai 1992. (ERIC CABANIS / AFP)

"Le stade avait été agrandi pour accueillir quasiment 20 000 personnes. Or, à l'époque, il y avait 250 000 habitants. Cela veut dire que 8% de la Corse était réuni dans un même lieu. Personne n'en est sorti indemne"

Josepha Guidicelli, la présidente du collectif des victimes du 5-mai 1992

à franceinfo: sport

Sur l'île, on dit que tout le monde connaît quelqu'un qui a vécu, de près ou de loin, la catastrophe de Furiani. Pas une commune, ou presque, ne recense, a minima, un blessé. "Ça a été un traumatisme pour les Corses. Pour ceux qui étaient présents dans la tribune qui s'est effondrée, évidemment, mais aussi pour ceux devant leur télé, dans l'angoisse totale", raconte Josepha Guidicelli.

Présidente du collectif des victimes du 5 mai 1992 depuis 11 ans, celle qui a perdu son père Jean, technicien de Radio France, il y a 30 ans, continue d'orchestrer le travail de mémoire à travers plusieurs commémorations. Des moments importants pour ne pas oublier ce qui s'est produit et pour sensibiliser les plus jeunes générations, pleinement associées aux manifestations dans différents collèges de Bastia et dans les villages.

D'autant que cette année, pour la première fois, aucun match professionnel de football ne sera joué en France, jeudi 5 mai. Cette décision fait suite à l'adoption d'une proposition de loi, en octobre, qui a inscrit cette date dans le code du sport. "Cela a été un soulagement énorme pour tout le monde, c'était la dernière étape après des années de lutte pour retrouver de la sérénité et de l'apaisement", ajoute Josepha Guidicelli.

Malchance du calendrier, une rencontre - européenne - aura bien lieu au Vélodrome entre l'OM et le Feyenoord Rotterdam. Le club olympien a par ailleurs demandé la mise en place d'un protocole auprès de l'UEFA en mémoire des victimes. Une minute de silence sera observée, les joueurs porteront un brassard noir et des messages commémoratifs seront projetés sur les écrans du stade.

Les supporters de l'OM tiennent une banderole "pas de match le 5 mai pour Furiani" au stade Vélodrome, le 4 mai 2013. (GERARD JULIEN / AFP)

Un court-métrage mémoriel sur l'avant-match

Beaucoup de reportages et de documentaires retraçant cette soirée de cauchemar sont nés, au fur et à mesure des années. La réalisatrice Corinne Mattei a, elle, décidé de produire une œuvre de fiction. Baptisé sobrement "5 mai 92", son court-métrage de 26 minutes revient sur l'avant-match : les préparatifs des fans qui se rendent au stade, l'ambiance de fête qui règne autour d'Armand-Cesari...

"Je voulais montrer des images différentes. Des images de tous ces jeunes qui allaient assister à un événement historique, explique-t-elle. J'ai perdu mon frère ce jour-là, il faisait partie de ces supporters qui n'allaient pas systématiquement au stade. Ce film raconte aussi comment la jeunesse a pu se réunir pour vivre ensemble ce moment de joie et comment cela a pu basculer dans l'horreur." 

Le documentaire "5 mai 92" de Corinne Mattei revient sur l'avant-match de la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et Marseille, avant l'effondrement de la tribune à Furiani. (PIERRE MURATI)

Mardi 3 mai, le film a été présenté en avant-première à l'Espace culturel Charles-Rocchi de Biguglia, à cinq minutes à peine de l'enceinte du Sporting. Une projection émouvante à laquelle d'anciens joueurs présents au moment du drame ont pu assister. "Une marque de soutien importante", souligne Corinne Mattei.

Après une diffusion à Furiani le 4 mai, en amont de la rencontre entre les anciens du Sporting et de l'OM, le court-métrage va poursuivre sa tournée à Ajaccio, puis dans le village de San Giuliano avant de mettre le cap sur le continent. Avec en point d'orgue le festival de Cannes, le 24 mai. Une reconnaissance pour la réalisatrice, pour les familles des disparus, et une preuve supplémentaire qu'en Corse, même 30 ans après, les victimes ne seront jamais oubliées.

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