Droits TV de la Ligue 1 : le projet de la chaîne de la LFP "ne semble pas viable sur le long terme", estime un économiste du sport

La Ligue de football professionnelle envisage de créer sa propre chaine pour diffuser le championnat de France. Pour Jean-Pascal Gayant, ce projet risque de fragiliser la situation économique des clubs français.
Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
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Temps de lecture : 8min
Un cameraman filme lors d'un match de Ligue 1 au stade Louis II de Monaco, le 2 octobre 2023. Photo d'illustration. (JEAN FRANCOIS OTTONELLO / MAXPPP)

La LFP va-t-elle créer sa propre chaîne ? Alors qu'elle est en train de négocier le montant des droits télévisés avec les différents acteurs pour la période 2024-2029, la Ligue de football professionnelle envisage sérieusement de lancer sa propre chaîne en cas d'échec des négociations avec notamment beIN et Canal+.

Cette chaîne serait à 25 euros par mois avec l'intégralité des matchs de Ligue 1 et diffusée via divers canaux : les fournisseurs d'accès à internet (FAI) et les plateformes de streaming. Jean-Pascal Gayant, économiste du sport et directeur de l'IUT de Saint Malo, doute de la pérennité d'un tel projet pour le football français et estime que le prix attendu pour la diffusion de la Ligue 1 est trop important pour les présidents de club.

franceinfo : Cette idée de la LFP d'avoir sa propre chaîne est-elle viable économiquement ?

Jean-Pascal Gayant : Il est toujours possible d'avoir une chaîne pour laquelle les recettes seraient supérieures aux coûts de production. Le problème, c'est que l'enjeu pour la LFP va être de générer des recettes considérables pour que les clubs puissent équilibrer leur budget et assumer leur masse salariale. Or, selon moi, les recettes qui peuvent être tirées de la mise en œuvre d'une telle chaîne ne permettraient sûrement pas d'atteindre les objectifs de la Ligue. Donc c'est pour moi une chaîne qui n'est pas viable en tant qu'instrument de long terme et pour le fonctionnement du modèle économique de la Ligue.

De combien la LFP a-t-elle besoin en termes de recettes ?

Évidemment le plus possible ! La LFP tablait sur plus d'un milliard d'euros de recettes, en incluant les droits internationaux. Mettons ces derniers à 150 millions d'euros, ce vers quoi on va, la LFP aurait besoin de 850 millions. Quand on reprend les calculs que Vincent Labrune [président de la LFP] avait faits quand il a contracté avec la société commerciale CVC pour les 13% des parts de la Ligue, il fallait avoir environ 850 millions d'euros de droits domestiques, en particulier pour qu'en 2024, on puisse déjà assumer les remboursements liés aux deux premières années à CVC. Ensuite, un accroissement des recettes vraiment net des clubs était envisagé et aussi une espèce de progression dans la hiérarchie, en particulier européenne, pour les clubs français.

Des chiffres de recettes inatteignables pour la chaîne de la Ligue ?

Je vois mal cette chaîne de la LFP parvenir à ce niveau de recettes, parce qu'il faut quand même avoir en tête que si l'affluence dans les stades est plutôt en progression, les audiences sur les écrans sont plutôt en diminution pour la Ligue 1. Donc on n'est pas du tout dans un marché qui est porteur. Au mieux, ça stagne ou sinon il y a plutôt une diminution des audiences.

Les expériences précédentes de chaînes ou d'opérateurs de cette nature ne laissent pas du tout entendre que cet objectif de 750 à 850 millions d'euros de recettes puisse être atteint. Amazon, avec 1,8 million d'abonnés à 13 euros, a atteint son un plafond de verre. Il est difficile d'imaginer qu'on puisse atteindre 2,5 millions d'abonnés, voire un peu plus avec un abonnement à 25 euros. Donc ça me paraît très illusoire.

Ce prix de 25 euros est trop élevé pour le consommateur ?

Ils sont peut-être 800 000 à un million de foyers prêts à payer ce prix-là. Ce sont des gens qui sont absolument passionnés de foot et qui prendront de toute façon les abonnements. Mais le problème, c'est d'arriver à 2,5 millions. Il y a une clientèle qui va être beaucoup plus volatile. On aura beaucoup de mal à atteindre même un chiffre au-dessus de 1,5 million d'abonnés que l'on peut atteindre en régime de croisière, avec quelque chose à stabiliser si la production des matchs est bonne, attractive, bien scénarisé, etc. 

"Cela paraît compliqué en France, étant donné l'appétit des téléspectateurs français pour le football et tout un tas d'éléments de contexte. Notamment les jeunes, qui ont peut-être davantage de mal à regarder les matchs en entier et qui sont à la recherche de formats de spectacle différents."

Jean-Pascal Gayant, économiste du sport

à franceinfo

Je suis assez pessimiste et on peut estimer qu'il y a dans cette proposition de chaîne quelque chose qui ressemble à une tentative désespérée de ramener Canal+ et beIN sur une proposition qui serait acceptable par la Ligue. À mon avis, Maxime Saada [président du directoire du groupe Canal+] attend et ne bougera pas d'un iota sur ce qu'il est prêt à mettre pour la Ligue 1.

Est-ce qu'on peut penser que c'est un coup de bluff de la LFP dans les négociations avec Canal+ ?

On est dans un registre où aussi les présidents de club ont besoin d'être rassurés. On leur dit de construire des budgets et d'être en capacité de présenter à la DNCG, dans quelques jours, le financement prévu pour ce budget. Les présidents de club se disent, mais surtout ceux qui sont très dépendants des droits télévisés, qu'ils n'ont aucune capacité à se projeter et ne savent pas du tout ce qu'il va y avoir comme recettes. Il faut donc donner une perspective, qu'elle soit réaliste ou non.

Deuxièmement, dans la négociation, qui continue, il faut un petit peu apporter un élément qui puisse faire bouger Canal+ en disant : "Si vous ne venez pas, nous on va faire la chaîne et puis vous serez perdant." Étant donné les circonstances, le différend et la façon dont les choses se sont passées, Canal+ estime être en mesure de se priver de la Ligue 1 et a décidé d'imposer son prix. La Ligue va devoir choisir : soit elle ravale sa fierté et retourne vers Canal+ pour accepter leurs conditions, soit la Ligue va jusqu'au bout en disant : "On se débrouille tout seuls comme des grands." Le danger est que cela tourne à une espèce de catastrophe industrielle parce que je ne crois pas du tout à cette à cette possibilité de chaîne. En tout cas, le bras de fer est là et Canal+ est en position de force.

Pourquoi la LFP n'arrive pas à vendre au prix qu'elle désire ?

Des présidents de clubs s'imaginent que la Ligue 1 vaut un milliard, c'est vraiment de l'ordre de l'incantation. Maxime Saada lors de son audition à la commission d'enquête parlementaire sur le fiasco Mediapro démontrait, chiffre à l'appui, que la Ligue 1 valait environ 650 millions. Il n'y a pas un marché en France avec des consommateurs prêts à débourser les montants qui conduiraient à un milliard de recettes. Les fondamentaux du marché français sont différents de ceux de l'Angleterre, de l'Espagne de l'Italie ou de l'Allemagne. Il y a un ensemble de paramètres qui sont liés aux clubs, la qualité du spectacle, les horaires des matchs et les activités alternatives disponibles. 

Quels sont les risques pour Ligue de football professionnel ?

Il y a un risque de se retrouver avec des clubs qui vont avoir des déficits gigantesques et qui seront aux limites de la faillite. Ils ont des engagements avec des joueurs déjà sous contrat, avec une masse salariale donnée, et ils ne vont pas pouvoir payer les salaires dans le courant de la saison prochaine, voire d'ici la fin de saison. C'est un vrai risque parce que s'il n'y a pas assez d'argent provenant des droits télévisés, on a des clubs qui vont se retrouver en très grande difficulté.

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