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Jean-François Brocard : "Avec un fonds de secours, l'UEFA veut permettre aux clubs européens de survivre, avant de serrer la vis"

Selon les informations dévoilées mercredi par le "New York Times", l'instance européenne prépare un plan de soutien de plusieurs milliards d'euros pour soutenir les clubs en difficultés financières. L'économiste du sport Jean-François Brocard livre un éclairage sur ce projet qui soulève de nombreuses questions.

Article rédigé par Célia Sommer, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 4 min
Selon le "New York Times", l'UEFA souhaiterait mettre en place un fonds de secours pour venir en aide aux clubs européens, durement touchés par la crise sanitaire. (ROLF VENNENBERND / DPA via AFP)

Un projet dans les cartons qui pose question. L'UEFA envisage, selon les informations dévoilées mercredi 18 août par le New York Times, de créer un fonds de secours qui pourrait atteindre 6 milliards d'euros. Avec pour objectif d'aider financièrement les clubs de football européens, dont les dettes s'accumulent depuis le début de la crise sanitaire.

Jean-François Brocard, enseignant-chercheur au Centre de droit et d'économie du sport à Limoges, revient pour franceinfo: sport sur l'endettement actuel des clubs, ainsi que sur les enjeux que soulève ce fonds de secours qui s'apparenterait à un plan Marshall pour le football européen.

Franceinfo: sport : pour quelles raisons l'UEFA choisirait-elle de créer un fonds de soutien aux clubs européens ?

Jean-François Brocard : L'objectif, c'est de faire face à la conjoncture très compliquée. Les clubs avaient des dettes avant la crise liée au Covid-19 et ont continué de les creuser. Les clubs de football professionnels ont toujours connu des difficultés à atteindre l'équilibre financier. Il est très rare qu'ils y parviennent. La crise sanitaire est venue enfoncer le clou pour la plupart des clubs, qui étaient déjà en difficulté financière. Dans ce contexte-là, l'UEFA souhaite aider les clubs à se sauver, pour ensuite instaurer des règles plus contraignantes, afin de leur permettre d'avoir une gestion financière plus saine et pérenne. L'instance avait mis en place un fair-play financier pour limiter les déficits. Mais certains continuent d'en faire. 

Quels problèmes cela pose-t-il que les clubs soient si endettés ?

Cela pose des soucis de continuité de leur activité et de leur exploitation. La plupart des clubs ont toujours des problèmes de trésorerie et n'ont jamais les fonds nécessaires pour rembourser leurs prêts. Ils négocient très souvent les transferts sur plusieurs années. Beaucoup de clubs vivent en déficit d'exploitation et le compensent grâce à des revenus liés aux transferts. C'est le cas de la France ou de l'Italie, par exemple. Mais également de tous les clubs qui disposent d'un important vivier de talents, comme ceux d'Europe centrale ou d'Europe de l'Est dont nous ne parlons que très peu et qui ont l'habitude de vendre leurs joueurs dans des championnats majeurs. Sauf que tous les clubs sont en difficulté cet été. Par conséquent, le marché des transferts est très atteint et beaucoup de clubs ne peuvent pas compenser leurs déficits par des revenus de transferts. En mettant en place ce plan de relance, l'UEFA remet de l'argent dans le circuit et permettra aux clubs de reconduire leurs activités : acheter pour certains et vendre pour d'autres. 

Mais en empruntant à l'UEFA, ne risquent-ils pas d'augmenter leurs dettes ? 

La plupart des clubs n'ont pas accès au marché bancaire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains sont directement vendus à des fonds d'investissement. Les dettes que possèdent actuellement les clubs sont anciennes, ou très chères auprès du secteur financier. Il va donc à présent se rajouter la dette qu'ils devront à l'UEFA. Mais nous sommes en droit de nous interroger : quelle sera la capacité des clubs à rembourser cette dette ? Ils sont en grande difficulté, ils sont très mal gérés et auront toujours une motivation supplémentaire à dépenser de l'argent pour acheter un joueur, plutôt que pour rembourser un prêt. Il va falloir que l'UEFA soit très solide sur la capacité qu'elle aura à contrôler et à faire respecter leurs engagements.

En quoi emprunter à l'UEFA est-il plus avantageux pour les clubs ? 

Lorsque je dis que les clubs n'ont pas accès au marché bancaire, c'est soit que les banques ne veulent pas leur prêter d'argent, soit qu'elles leur en prêtent à des taux prohibitifs. Car le taux justifie les risques. Les clubs sont connus pour être de mauvais payeurs, les banques ne veulent plus leur prêter d'argent. Ou alors à un taux très élevé. Au contraire, les banques font confiance à l'UEFA : il y a très peu de risque qu'elle disparaisse, ou que, par exemple, la Ligue des champions n'existe plus. Alors qu'un club peut très bien descendre de division et perdre des revenus. Le risque de prêter à l'UEFA est beaucoup moins important. L'instance offre ainsi la possibilité aux clubs d'emprunter à un taux bas : "On vous connaît, vous êtes nos membres, on vous fait ce cadeau-là, sinon vous ne pouvez pas emprunter".

La révélation d'un plan de soutien arrive juste au moment où neuf des douze grands clubs ayant participé au projet de Super Ligue réintègrent l'ECA (l'association des clubs européens). Est-ce, pour l'UEFA, une façon de répondre à ce qu'il s'est passé au printemps ? 

Il y a d'énormes conflits politiques entre les différents acteurs du football européen. Ce n'est pas nouveau. Mais la conjoncture actuelle a ravivé les tensions. Pendant longtemps, chacun des acteurs cachait son jeu. Aujourd'hui, on est rentré dans une confrontation directe, puisque les clubs se sont ouverts à tout le monde en déclarant qu'il étaient prêts à quitter l'UEFA. Je pense que la guerre est ouverte, tout en sachant que l'UEFA ne peut pas envisager d'exclure ces clubs-là. D'ailleurs, elle a besoin de ces clubs, elle n'est pas une instance indépendante. Elle est donc obligée de composer avec eux. L'UEFA doit désormais réagir. Mais pour instaurer des règles très strictes de gestion, c'est compliqué. Dans un premier temps, elle veut leur permettre de survivre, et ensuite elle resserrera la vis. Elle se positionne en tant que "prêteur en dernier ressort", au cœur du système avec un rôle de régulation très fort. C'est une manière de dire aux clubs : "Regardez l'importance qu'on peut avoir quand vous avez besoin de nous". Le message politique est très fort. 

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