Football : les histoires d'amour avec Marcelo Bielsa finissent mal, en général
L'Argentin a surpris joueurs et supporters en annonçant sa démission de son poste d'entraîneur de l'Olympique de Marseille, en pleine conférence d'après-match. Ce génie tactique a l'habitude de claquer la porte.
Demandez à Pep Guardiola. Pour lui, le meilleur entraîneur du monde, c'est l'Argentin Marcelo Bielsa. "Bielsa peut diriger n'importe quelle équipe au monde et je suis sûr qu'il la rendrait meilleure", affirme le technicien du Bayern Munich, cité dans Marca (en espagnol).
Ce génie tactique a surpris joueurs et supporters, samedi 8 août, en annonçant sa démission de son poste d'entraîneur de l'Olympique de Marseille, en pleine conférence d'après-match. L'Argentin quitte le club après seulement un match de la saison 2015/2016, une défaite contre Caen (1-0), évoquant un désaccord "d'ordre privé" sur les termes du renouvellement de son contrat. Surprenant ? Pas forcément. Car avec Marcelo Bielsa, les histoires d'amour finissent mal, en général.
Avec les Newell's Old Boys, écœuré par un mariage
C'est dans son club de toujours, les Newell's Old Boys, à Rosario (Argentine), que Marcelo Bielsa hérite de son surnom : "El Loco", le fou. C'est aussi là qu'il met en place les méthodes qui feront son succès au début des années 1990. Son 3-1-3-3 révolutionnaire, l'obligation de la polyvalence des joueurs, les entraînements à l'isolement dans une base militaire et les entraînements XXL. Petit aperçu de sa méthode : "Si le type ne va pas sur l’un des 220 centres que je lui fais, je le tue. Je dois lui faire sentir que c’est comme s’il avait violé une femme. Parce que ce ballon qu'il n’est pas allé chercher nous a enlevé notre argent, notre victoire, notre gloire et notre vie."
Comment ça s'est (mal) fini. A l'issue de son second titre de champion d'Argentine avec le club, en 1992, il donne l'autorisation à ses joueurs de se rendre à un mariage. A une condition : que tout le monde soit rentré à 1 heure du matin. Un match de coupe est en effet programmé quelques jours plus tard. Les joueurs font la fête jusqu'à 5 heures passées. Mécontent, Bielsa demande au club de les sanctionner sévèrement. Le club fait la sourde oreille. Pas l'entraîneur argentin, qui démissionne sur-le-champ, raconte le Guardian (en anglais). Plusieurs années plus tard, le club tentera de faire revenir l'enfant du pays. En vain. Bielsa n'est pas du genre à renoncer à ses principes.
Avec l'équipe d'Argentine, trahi par la nature humaine
En 1999, Marcelo Bielsa est choisi pour redresser l'équipe d'Argentine, après une série de résultats décevants. Au pays, "El Loco" a construit sa légende avec les Newell's Old Boys, puis l'a consolidé avec un nouveau titre obtenu en tant qu'entraîneur des Vélez Sarsfield, en 1998. Pour convaincre les dirigeants du club de l'engager, il était arrivé avec 51 cassettes vidéos sous le bras pour leur expliquer son projet de jeu, raconte le livre Inverting the Pyramid (en anglais). Cette saison-là, on l'interroge sur ses plans pour les fêtes de fin d'année : "Deux heures pour m'entretenir physiquement, et 14 heures à regarder des vidéos de matchs." La presse argentine enquête : ce perfectionnisme forcené lui viendrait de sa mère, qui classe encore pour lui les exemplaires du journal El Grafico : "L'influence de ma mère est fondamentale pour moi. Pour elle, aucun effort n'est suffisant", témoigne Bielsa.
Comment ça s'est (mal) fini. "Si mes joueurs n'étaient pas humains, je ne perdrais jamais", a un jour prophétisé Bielsa. Quelques années plus tard, il devient sélectionneur de l'Argentine, présentée comme archi-favorite de la Coupe du monde 2002 au Japon et en Corée du Sud. Las, l'Albiceleste sort par la petite porte dès le premier tour. Et pourtant, c'est l'équipe qui s'est créé le plus d'occasions de toute la compétition. Bielsa conserve curieusement son poste... et part avec fracas deux ans plus tard, après une finale de Copa America perdue d'un cheveu face au Brésil et trois semaines après le titre olympique décroché par l'Argentine à Athènes. "Les raisons de ma décision sont simples : je ne dispose plus de l'énergie que requiert ce poste", déclare pudiquement Bielsa face à la presse. En réalité, il ne supporte plus l'ingérence du président de la fédération, Julian Grondona, dans son travail. Il part au sommet de sa gloire.
Avec l'équipe du Chili, dégoûté par les politiques
Marcelo Bielsa ne court pas après le travail. Pour le débaucher, en 2007, les représentants de la fédération chilienne sont allés le voir dans sa tanière de Rosario, où il se ressource en campant devant sa télé pour décortiquer des matchs. Entre deux rencontres suivies dans son fauteuil, il parcourt l'un des 40 magazines sportifs du monde entier auquel il est abonné. Avec le Chili, la love story est immédiate. Présidente du pays à l'époque, Michelle Bachelet n'est pas insensible à son charme – malgré l'amour immodéré de Marcelo pour le survêtement et les lunettes à cordelettes. "Il est à la fois mignon et mystérieux, tout ce qui rend irrésistible auprès des femmes", confie-t-elle à El Mundo (en espagnol). Il qualifie le Chili dans un fauteuil pour le Mondial et les députés accordent à Bielsa la citoyenneté d'honneur pour avoir rendu sa fierté à la patrie.
Comment ça s'est (mal) fini. Après un Mondial 2010 réussi, Bielsa veut continuer l'aventure à la tête de la sélection, mais lie son avenir au président de la fédération, Harold Mayne-Nicholls. Ce dernier, qui se représente à l'automne, est battu, notamment à cause du vote du club de Colo-Colo. Club appartenant... au nouveau président de la République, Sebastian Pinera. Marcelo Bielsa donne sa démission en février 2011.
Sebastian Pinera est accusé de magouilles pour placer ses amis à la tête de la fédération. Sa cote de popularité s'effondre de 13 points après cet épisode, raconte La Prensa Grafica (en espagnol).
Avec l'Athletic Bilbao, usé jusqu'à la corde
Avec le club basque de l'Athletic Bilbao, la première saison (2011-2012) est un quasi sans-faute. Les joueurs délaissent leur traditionnel kick and rush pour le jeu de possession prôné par Bielsa. Le match contre le Barça de Guardiola se termine sur un fantastique nul (2-2) et une longue accolade entre les deux entraîneurs amis dans le rond central. Les joueurs l'adorent. Un journaliste du Guardian demande à Iker Muniain : "Est-ce que Bielsa est aussi fou qu'on le dit ?" L'attaquant répond dans un sourire : "Il est encore plus dingue !" Les résultats sont excellents : malgré un budget modeste, le club termine 5e du championnat et échoue en finale de la Ligue Europa.
Comment ça s'est (mal) fini. Le club basque est humilié en finale par l'Atlético Madrid (0-3). Le discours tenu par Bielsa à ses ouailles quelques jours après la rencontre fuite dans la presse. "Nous n’avons pas été à la hauteur de l’illusion que nous avons générée, fustige "El Loco". Malgré le jeu minimaliste que vous produisez, les supporters vous soutenaient toujours à la 80e minute. Il ne s’agit pas de ne pas avoir gagné, mais de comment on a perdu." Les joueurs terminent la saison essorés. Notamment l'attaquant Fernando Llorente, qui rejoint la sélection espagnole qui se prépare pour l'Euro 2012. Au premier coup d'œil, le sélectionneur Vicente Del Bosque se rend compte qu'il est hors de forme.
Il ne manquait plus guère qu'une intersaison pourrie par les retards de construction du centre d'entraînement pour noircir un peu plus le tableau. Bielsa raconte avoir enguirlandé quatre heures chaque jour le chef de chantier depuis son lieu de vacances, en Argentine. Grave erreur : le constructeur est proche du PNV, le Parti nationaliste basque, lié à l'Athletic Bilbao, note El Pais. Bielsa doit s'excuser, prendre sur lui, et disputer une saison pourrie, terminée dans l'anonymat du milieu de tableau, avant de quitter le club en catimini. Un dernier aphorisme "d'El Loco" pour la route : "Un homme avec de nouvelles idées est fou jusqu'à ce qu'il réussisse."
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