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ENTRETIEN. "C'est difficile d'empêcher les joueurs de faire leur métier", témoigne Mécha Bazdarevic, membre de la sélection yougoslave exclue de l'Euro 1992

L'ancien joueur et entraîneur de Sochaux a été privé de participation à l'Euro 1992. Il revient sur cet événement, quelques jours après l'exclusion de la Russie pour la Coupe du monde 2022.

Article rédigé par Elio Bono, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Mécha Bazdarevic, alors sélectionneur de la Bosnie-Herzégovine, le 6 octobre 201 6. (BRUNO FAHY / BELGA / AFP)

C'était une des plus belles sélections du début des années 1990. Quart-de-finaliste du Mondial italien, la Yougoslavie avait la faveur des pronostics à la veille de l'Euro 1992, disputé en Suède. Mais dix jours avant la compétition, le Conseil de sécurité de l'ONU votait un embargo empêchant la participation yougoslave à toute manifestation sportive. 

Trente ans plus tard, ce cas fait forcément écho à l'exclusion de la Russie des barrages de qualification au Mondial 2022, décidée par la FIFA lundi 28 février. Alors joueur de Sochaux, Mécha Bazdarevic (54 capes), était un cadre de sa sélection. Actuellement en mission auprès de l'UEFA pour développer le football en Bosnie-Herzégovine, il a accepté de revenir sur ce "rêve écroulé".

Franceinfo: sport : Cette exclusion de la Russie pour la prochaine Coupe du monde vous a-t-elle rappelé des souvenirs ?

Mécha Bazdarevic : Un petit peu, oui. Mais là, c’est arrivé très vite, au bout de quelques jours. Pour nous, ça s’est quand même préparé, on s’attendait à être exclus. On voyait que des choses anormales survenaient dans notre pays. Mais on pensait qu’en disputant le championnat d’Europe, on allait empêcher ces tragiques événements dans notre pays. On voulait montrer qu’on pouvait continuer ensemble. J’étais convaincu que c’était possible.

A titre personnel, comment avez-vous appris que la Yougoslavie ne disputerait pas l'Euro 1992 ?

A la fin des qualifications, on voyait que certains joueurs se retiraient de la sélection, notamment les Croates. Ils n’ont pas participé au dernier match de qualification, en Autriche. Mais en aucun cas on ne s’attendait à ce que notre rêve prenne fin. Nous, les Bosniaques, comme le coach, on s’est retirés, car Sarajevo était bombardée. Mais l’équipe est partie quand même, et ils ont appris l’exclusion dans leur camp d’entraînement en Suède. Ils ont été obligés de rentrer.

C'était donc une décision personnelle ?

On était cinq de Bosnie, dont Faruk Hadzibegic [ancien joueur et entraîneur de Sochaux], en plus du coach [Ivica Osim, ancien joueur de Sedan et Strasbourg]. On est allés saluer le groupe à Zurich avant de partir en Suède. On a fait tout ça, mais on a décidé de ne pas y aller car au-delà du football, il y avait des choses plus importantes. Il commençait à y avoir des morts. C’était très difficile à vivre.

La sélection yougoslave, en bleue, lors de sa dernière Coupe du monde, en 1990. (SVEN SIMON / AFP)

Sur le seul plan du football, c'est lourd de conséquences car un joueur n'a pas beaucoup de possibilités de jouer un Euro ou une Coupe du monde...

Ça arrive parfois une fois dans une carrière… Certains jeunes auront des opportunités, mais d’autres ont bataillé pendant 15 ans pour jouer ce genre d’événements, et là... (il soupire). C’est tout un projet de vie, comme des Jeux olympiques. C’est très difficile d'empêcher les joueurs de faire leur métier et de réaliser leurs rêves. Mais bon, encore une fois, il y a des choses plus importantes et plus graves. 

"A un moment, on se rend compte que ce n'est que du foot. Je donnerais tout ce que j’ai fait dans ma carrière pour sauver quelques vies."

Mécha Bazdarevic

franceinfo: sport

Considérez-vous juste d'exclure une sélection au nom des agissements d'un président ?

Les footballeurs, les basketteurs et les tennismen russes n’y sont pour rien. Ils ont des amis dans tous les pays, en Ukraine, en France…  Qu’est-ce qu’on peut reprocher à un sportif disqualifié car le président russe l’a décidé ? Les joueurs russes, s’ils vont à une compétition, vont se faire frapper mais ils n’y sont pour rien.

Justement, avez-vous subi ce genre d'actes sur le terrain en "représailles" des événements en Yougoslavie ?

Vis-à-vis de moi, non, car on était des victimes. Mais des Serbes… Ils se faisaient insulter, cracher dessus. Ce n’était pas eux qui faisaient la guerre ! Je ne connais pas un joueur au monde qui signera pour faire la guerre, qui va inciter les gens à y aller. La plupart des sportifs ont envie de rassembler, de batailler et de faire la guerre sur le terrain. Mais à la fin du match, basta !

Avec le recul, estimez-vous que cette non-participation est un tournant dans votre carrière ?

Je pense. J’avais 31 ans, c’était le meilleur moment pour gagner un titre. J’étais un des meilleurs joueurs à mon poste en Europe. Ce championnat d’Europe devait confirmer ma superbe période. C’était pareil pour [Dragan] Stojkovic [Dejan] Savicevic, [Zvonimir] Boban. Je négociais avec Barcelone à ce moment-là, ils voulaient me voir au championnat d’Europe avant... C’est ensuite devenu plus dur dans ma vie, avec la guerre en plus.

L'exclusion peut sembler d'autant plus amère que le Danemark, que vous aviez battu en qualifications, a gagné l'Euro après vous avoir remplacé...

(Il coupe) On ne les avait pas battus, on les avait balayés ! [La Yougoslavie l'avait emporté 2-0 au Danemark, mais s'était inclinée 2-1 à domicile] C’était une grosse nation avec [Peter] Schmeichel, [Michael] Laudrup… Mais nous, on était trop forts, on avait passé dix ans ensemble ! Quand on a vu qu’ils étaient champions d’Europe, c’était la double peine. C’était un rêve qui s’écroulait, car on était favoris pour ces championnats d’Europe. C’était difficile, car on savait qu’on ne serait plus jamais ensemble.

Les Danois Brian Laudrup, Kim Christofte et Peter Schmeichel après la victoire finale à l'Euro 1992. (BERND WEISSBROD / MaxPPP)

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