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Il n'y avait eu qu'un seul France-Pérou dans l'histoire et les Bleus avaient perdu : les joueurs nous racontent la défaite surprise de 1982

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le capitaine français Michel Platini serre la main de son homologue péruvien, lors d'un match amical à Paris, le 28 avril 1982.  (GEORGES BENDRIHEM / AFP)

Avant la rencontre à Ekaterinbourg ce jeudi 21 juin, la France n'avait affronté qu'une seule fois le Pérou. C'était en amical, au Parc des Princes, en avril 1982. Les Bleus n'ont pas gardé un grand souvenir de cette rencontre ; les joueurs de la Blanquirroja, eux, n'ont rien oublié.

"Un match des Bleus, même amical, même contre le Pérou, ça ne se rate pas." Et peu importe si 700 kilomètres vous séparent du Parc des Princes. Ce mercredi 28 avril 1982, Pascal Collardey part de Mont-de-Marsan (Landes) et monte à la capitale en voiture pour voir jouer Michel Platini et sa bande. Il a 18 ans, et la Coupe du monde doit commencer deux mois plus tard en Espagne. Pour la France comme pour le Pérou, la rencontre est "l'une des dernières occasions de se tester avant d'aller affronter la planète", se souvient celui qui est aujourd'hui quinquagénaire. C'était aussi, jusqu'à ce jeudi 21 juin et la victoire des Bleus (1-0), le seul et unique face-à-face de l'histoire entre les deux équipes.

Comme lui, 46 429 spectateurs prennent place ce soir-là dans l’enceinte de la Porte d’Auteuil. "Nous avons eu droit aux habituelles envolées de petits papiers blancs à l'entrée des équipes, au brouhaha traditionnel pendant l'hymne péruvien et à une Marseillaise plus braillée que chantée", écrit L'Equipe. C'est une tout autre époque. Le short se porte court, la moustache fournie est à la mode, le Stade de France n’existe pas encore. Même sur plan. Antoine Griezmann n’est pas né, Didier Deschamps va sur ses 14 ans. Côté people, on note la présence dans le stade de l’actrice Marie-Josée Nat et du comédien Victor Lanoux, futur héros de la série Louis la Brocante.

Billet du match amical de football entre la France et le Pérou, le 28 avril 1982. (COLLECTION / PASCAL COLLARDEY)

"Les Bleus en conquistadores"

À quelques mètres, dans la cabine télé, Thierry Roland – sans Jean-Michel Larqué, mais avec son acolyte Bernard Père – se prépare au direct sur Antenne 2. A priori, le match ne présente pas un grand suspense. La France fait partie des favoris au titre mondial, quand le Pérou est une équipe "attachante", mais "qui ne s’occupe pas trop de défendre", ironise le commentateur. "Les Bleus en conquistadores", titre même L’Equipe du jour, ne voyant pas comment ils peuvent buter sur cette sélection Blanquirroja. "Hidalgo avoue lui-même qu'il n'a pas vu le Pérou en action depuis 1978, ni en peinture ni au magnétoscope", écrit le quotidien sportif.

Capture d'écran de la une du journal "L'Equipe" du 28 avril 1982. (L'EQUIPE)

"À l’époque, je ne connaissais pas un joueur adverse, avoue Bruno Bellone, ancien ailier gauche tricolore, aujourd’hui conseiller technique aux Sports à la mairie du Cannet (Alpes-Maritimes). Ou peut-être un, de nom..."  L'enjeu est ailleurs pour les Bleus.

Le coach, Michel Hidalgo, en a profité pour passer en revue les joueurs susceptibles d'entrer dans le groupe qui allait partir à la Coupe du monde. Chez certains Bleus, il y avait un peu de stress. Moi, j'étais serein, je pensais bien y être.

Bruno Bellone, ailier gauche de l'équipe de France

à franceinfo

En face, on est beaucoup plus détendu. "Pour nous, c'était une fête, se remémore Jaime Duarte, le défenseur péruvien. On visitait pour la première fois la France. La veille de la rencontre, je suis allé acheter des flacons de parfum dans une boutique de la capitale avec d'autres joueurs."

On est allés au musée du Louvre, on a vu la Tour Eiffel... On avait tous entre 18 et 25 ans, on était comme des touristes dans les rues. Disons qu'on a bien profité !

Jaime Duarte, défenseur péruvien

à franceinfo

Les joueurs de la Blanquirroja se sentent vite chez eux. Au bar du Sofitel Sèvres, où loge l'équipe, "il y en avait un qui réussissait toujours à se retrouver en charmante compagnie", rigole un membre de la délégation, qui préfère garder l'anonymat. 

"Qu'elle était chiante à jouer, cette équipe !"

Sur le terrain, les assauts tricolores dès les premières minutes confirment la différence de niveau entre les deux équipes. Ses fameuses lunettes-jumelles sur le bout du nez, Thierry Roland s'époumone sur "une bonne frappe" de Jean-François Larios à la 8e minute. Rebelote deux minutes plus tard, avec cette fois un coup-franc de Bernard Genghini "qui passe juste à côté du but de Quiroga", "le gardien péruvien, qui était battu". 

Les occasions françaises pleuvent. Mais le tableau d'affichage reste bloqué. Le public du Parc des Princes comprend qu'il va rentrer à la maison avec "un bon vieux 0-0 des familles", ronchonne Jean-François Larios à franceinfo. Avant de se lâcher, au sujet du Pérou : "Qu'est-ce qu'elle était chiante à jouer, cette équipe, un peu tricheuse même...". L'ancien milieu de terrain des Bleus ne semble toujours pas avoir digéré le penalty pour les Bleus non sifflé à la 37e minutelorsque son compère de Saint-Etienne Dominique Rocheteau se retrouve à terre après un tacle dans la surface de réparation... 

Les footballeurs français Manuel Amoros, Dominique Baratelli et Michel Platini pendant l'hymne national, lors d'un match amical contre le Pérou à Paris, le 28 avril 1982.  (GEORGES BENDRIHEM / AFP)

En face, le meneur de jeu Julio César Uribe, dont Thierry Roland trouve qu'il a "des allures de Mohamed Ali", fait quelques misères à la défense française. 83e minute, patatras. Juan Carlos Oblitas part en contre-attaque sur le côté gauche, et ajuste Dominique Baratelli "dans un angle complèèèètement impossiiiiiible", s'étouffe Thierry Roland à l'antenne. 1-0 pour le Pérou. Score final. Le revers n'était pas prévu au programme.

On était très déçus d’avoir perdu. Normalement, on marquait des buts au Parc des Princes. Et là, rien, zéro. Ils jouaient tous les contres, et nous on se cassait les dents.

Bernard Genghini, milieu de terrain de l'équipe de France

à franceinfo

Le lendemain, le bilan du Monde est sévère. "Le manque de fraîcheur physique des Français, sans doute marqués par les efforts répétés dans l'ultime phase du championnat et de la Coupe, leur naïveté face aux truquages et au métier des Péruviens, excessivement regroupés en défense, ont laissé aux spectateurs un goût d'inachevé", écrivent-ils. Juste à côté, dans le kiosque à journaux, L'Equipe barre sa une d'un "Pas vraiment le Pérou, ces Bleus-là !" et évoque "un échec qui jette un froid." 

France-Pérou, avril 1982
France-Pérou, avril 1982 France-Pérou, avril 1982

Trente-six ans après, ces mots résonnent encore dans la tête de Bernard Genghini. "J'essaie encore de comprendre comment la France a pu perdre ce match", lâche-t-il. "C'est clair qu'on pensait marquer des buts", s'agace l'ancien joueur de Sochaux et de Saint-Etienne, qui a toujours "dans [sa] cave le maillot d'un joueur péruvien". Manuel Amoros, l’un des meilleurs Français contre le Pérou, avance une explication.

On faisait attention de ne pas se blesser. Ça m'aurait fait ch... de rater la Coupe du monde à cause d'un mauvais coup d'un Péruvien !

Manuel Amoros, ancien défenseur de l'équipe de France

à franceinfo

Mauvais perdants les Bleus ? Jaime Duarte s'en moque. "Au pays, c'était un mini-événement. Aujourd'hui, ça peut paraître bizarre. Mais à l'époque, il faut comprendre qu'il n'y avait pas tous ces moyens de communication. On était très fiers de notre coup, surtout que ce n'était pas attendu", savoure celui qui est aujourd'hui entraîneur de foot à Alianza Lima, l'un des clubs les plus populaires d'Amérique latine.

Un "incroyable" succès pour les Péruviens

Julio César Uribe, autre héros péruvien du Parc des Princes, qui a appris à jouer au football dans les barriadas (bidonvilles) de Lima en jonglant avec des balles de chiffon, ne dit pas autre chose.

Pour moi, ce sont des souvenirs inoubliables parce qu’on a gagné. Et pas contre n’importe qui. Contre l’une des meilleures équipes d’Europe de l'époque.

Julio César Uribe, ancien milieu de terrain du Pérou

à franceinfo

Il lui arrive encore de raconter cet "incroyable" succès dans les entreprises où il donne désormais des cours de motivation personnelle et de leadership. Le reste du temps, Julio César Uribe commente des matchs de foot sur Fox Radio Perú.

Trente-six ans plus tard, match retour

La date du 21 juin 2018 est "évidemment cochée" en noir sur son agenda. Ce jour-là, "normalement", il sera dans le stade d'Ekaterinboug (Russie) pour pousser les Péruviens face à la France, à l'occasion du deuxième match du groupe C de la Coupe du monde 2018. Il sourit : "C'est clair qu'il y aura de l’émotion, ce n'est pas un match comme les autres, ça me rappellera l’histoire de 1982."

Dans le pays, c'est un événement car notre équipe n'a pas participé au moindre Mondial depuis 1982. Ça fait trente-six ans, quand même !

Julio César Uribe

à franceinfo

Refroidis par ce qui leur est arrivé ce soir d'avril 1982, les anciens Bleus préfèrent ne pas trop se mouiller au petit jeu des pronostics. "La France est supérieure, mais il y aura une belle équipe en face", lâche Manuel Amoros. "Ce sera plus compliqué que prévu car c'est une équipe qu'on connaît assez peu, qui va jouer certainement jouer en contre, analyse Bruno Bellone. Il n'y aura pas 4-0 en tout cas." Quant à Bernard Genghini (qui porte toujours la moustache), lui voit "un petit succès tricolore" car "il y a beaucoup d'inconnues autour de ces Péruviens version 2018". 

Jaime Duarte se refuse à tout pronostic. "Ça porte malheur, vous savez." Fair-play, Julio César Uribe reconnaît que les Bleus ont "une meilleure équipe que le Pérou." Mais il rappelle, taquin, que "tout est permis dans le football." Juan Carlos Oblitas, l'homme qui crucifia les Bleus sur la pelouse du Parc des Princes, sera lui aussi en tribunes, celle des VIP, en tant que directeur sportif au sein de la Fédération péruvienne de football. 

Quant aux autres acteurs sud-américains de cette folle soirée parisienne d'avril 1982, pas certain qu'ils se retrouvent tous autour d’un ceviche. Beaucoup sont fâchés aujourd'hui. En cause : une brouille autour d'un possible match truqué. José Velásquez Castillo accuse l'ancien gardien de but Ramón Quiroga (et cinq autres joueurs) d'avoir laissé filer un match de la Coupe du monde 1978 contre l'Argentine en échange d'argent. Quarante ans après, un procès en diffamation (article en espagnol) est toujours en cours. "Disons que je n’ai pas gardé de contact avec tout le monde", nous répond poliment (mais gêné) Julio César Uribe. 

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