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Coupe du monde 2018 : blessure, élimination et "citoyenneté honorifique tchétchène"... Le cauchemar de Mohamed Salah en Russie

Le Mondial de la star de Liverpool a pris fin mardi, après un mois de galères médicales, sportives et même diplomatiques.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'attaquant égyptien Mohamed Salah (en blanc) est accompagné par le leader tchétchène Ramzan Kadyrov (en survêtement vert et blanc), le 10 juin 2018, en marge d'un entraînement de l'Egypte à Grozny (Russie). (KARIM JAAFAR / AFP)

Mohamed Salah a fêté son 26e anniversaire le 15 juin, jour du premier match de l'Egypte dans la Coupe du monde en Russie. Ce soir-là, de retour à l'hôtel après avoir assisté à la défaite des siens depuis le banc des remplaçants (1-0 face à l'Uruguay), l'attaquant de Liverpool a eu droit à une surprise : un immense gâteau de 100 kg aux couleurs de son pays, surmonté d'un soulier en or. Il s'en est approché avec le sourire, a soufflé quelques bougies, puis est reparti. Un bon résumé de son Mondial, qui s'annonçait plein de promesses et qui est vite devenu fumeux, pour finir sur une sortie prématurée.

Vous en avez davantage entendu parler avant que pendant la compétition : Mohamed Salah, auteur d'une saison exceptionnelle avec Liverpool, allait être la star du tournoi. Adulé en Egypte, désigné meilleur joueur africain de 2017 et meilleur joueur de la Premier League 2017-2018, il attirait tous les regards pour le grand retour des Pharaons en Coupe du monde, après une absence de près de trente ans.

Et puis... les ennuis ont commencé, avant même de pouvoir toucher du doigt le gâteau du Mondial. A la fin mai, Mohamed Salah s'est blessé à l'épaule en finale de la Ligue des champions face au Real Madrid, ce qui l'a tenu éloigné des terrains pendant plusieurs semaines et l'a privé de préparation avec ses coéquipiers.

Deux petits buts et puis s'en va

Remis sur pied, l'attaquant a été aligné d'entrée pour le deuxième match de l'Egypte face à la Russie. Malgré un penalty converti par ses soins, le leader égyptien n'a rien pu faire face au pays hôte de la compétition, qui s'est largement imposé (3-1). Le lendemain, après la victoire de l'Uruguay face à l'Arabie saoudite, le couperet est tombé : avec deux défaites en deux matchs, l'Egypte était déjà éliminée, avant même sa troisième et dernière rencontre de groupe.

Mohamed Salah marque face à l'Arabie saoudite, le 25 juin 2018, à Volgograd (Russie). (JASON CAIRNDUFF / REUTERS)

Lundi 25 juin, celui qu'on surnomme le "Messi du Nil" a bien cru pouvoir finir sur une bonne note, en ouvrant le score face à l'Arabie saoudite à la 22e minute. Peine perdue : les Saoudiens ont égalisé juste avant la mi-temps et ont même arraché la victoire lors de la dernière action du match. L'Egypte, toujours en quête d'un premier succès en trois Mondiaux, repart donc de Russie avec trois cinglantes défaites au compteur.

Des photos souvenirs pour Kadyrov

S'il n'a pas ébloui les spectateurs lors de la compétition, Mohamed Salah a davantage fait parler de lui côté coulisses, bien malgré lui. Il n'a pas été aidé par sa fédération, qui a fait le choix de loger les Pharaons en Tchétchénie, une terre très majoritairement musulmane, loin des cités hôtes du tournoi. Une décision dénoncée dès février par des ONG comme Human Rights Watch (en anglais), qui a rappelé "la répression quasi absolue des opposants, journalistes et personnes LGBT" sur place.

Le 10 juin, dès le premier entraînement de l'équipe, auquel le joueur blessé n'a pas pris part, le leader tchétchène controversé, Ramzan Kadyrov, est lui-même parti le chercher à l'hôtel, le réveillant en pleine sieste, pour le faire venir sur le terrain. Les deux hommes, main dans la main, ont été acclamés par les 8 000 spectateurs présents dans le stade de Grozny, à coups de slogans rendant hommage au père de Ramzan Kadyrov.

Pas rassasié, l'homme fort de la Tchétchénie a de nouveau profité de la présence et de la popularité de Mohamed Salah pour s'afficher à ses côtés, le 22 juin. Lors d'un dîner organisé à Grozny, il s'est attablé avec le joueur le plus populaire d'Afrique. Le dirigeant, accusé de nombreuses exactions, lui a serré la main, lui a offert un maillot dédicacé, et l'a même fait – lui et seulement lui – "citoyen d'honneur de la République de Tchétchénie", avec badge et copie du décret officiel en guise de souvenir.

Ramzan Kadyrov a-t-il profité du tournoi et de la star des Reds pour séduire les investisseurs et les touristes, voire "pour tendre la main à de potentiels alliés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient", comme l'écrit Foreign Policy (en anglais) "Nous n'utilisons pas ce genre de choses pour la politique", a-t-il répondu à la BBC (en anglais), niant toute volonté de propagande. 

Je n'ai pas invité Mohamed Salah ou l'équipe égyptienne, ils nous ont choisis eux-mêmes.

Ramzan Kadyrov

à la BBC

Du côté de la fédération égyptienne, on nuance cette version et on évite de parler de politique. "Nous avons choisi à partir de la liste que la Fifa nous a donnée, avait déjà expliqué le manager général de l'Egypte au New York Times (en anglais)Si les gens ont un problème avec Grozny, il faut qu'ils s'adressent à la Fifa." 

Mohamed Salah, lui, a gardé le silence durant toute la compétition, malgré des résultats et une polémique pas faciles à avaler. Seul indice de ses états d'âme : il n'a pas fêté son but inscrit face à l'Arabie saoudite. Et cette citation d'un membre de son entourage interrogé par L'Equipe "Il est possible que Salah abandonne la sélection après le Mondial. Ç'a été le bazar pendant la compétition, il n'a pas été protégé des politiques." Cette Coupe du monde aura vraiment été un gâteau indigeste pour le joueur de 26 ans.

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