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Mondial 2019 : pourquoi y a-t-il autant d'écarts de salaires entre les hommes et les femmes ?

Malgré une exposition médiatique de plus en plus importante, les salaires des femmes dans le foot restent un sujet qui fâche. Entre des fédérations qui jouent plus ou moins le jeu et un marché toujours éloigné de celui très lucratif des hommes.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Les Australiennes lors du match contre l'Italie à Valenciennes (Nord), le 9 juin 2019. (BERNADETT SZABO / REUTERS)

La même passion, mais pas les mêmes revenus. L'équipe qui sera sacrée championne du monde au terme du Mondial féminin - les Etats-Unis ou les Pays-Bas qui s'affrontent en finale dimanche 7 juillet à Lyon (Rhône) - remportera quatre millions de dollars. Soit dix fois moins qu'il y a un an pour les hommes en Russie (38 millions). "C'est le sport où il y a peut-être le plus d'inégalités, mais c'est aussi le sport qui est le plus visible"estimait au début de la compétition la ministre des Sports française, Roxana Maracineanu. Au-delà des primes décernées lors d'un événement comme le Mondial, le combat pour l'égalité salariale dans le football est très vif au sein de certaines fédérations, mais beaucoup moins dans d'autres.

Peu de femmes dans le monde sont payées à des niveaux comparables à ceux de leurs homologues masculins et, au sein même de chaque pays, les écarts de salaires peuvent être conséquents entre les joueuses. Selon une étude de la FifPro, syndicat international des footballeurs, citée par L'Equipe, 35% des footballeuses ne sont pas rémunérées lorsqu'elles jouent pour leur sélection nationale. Explications.

Rémunérées par les fédérations

Il n'y a pas de ligue professionnelle chez les femmes, leur rémunération dépend donc de la fédération de leur pays. Souvent montrée en exemple, la fédération norvégienne fait figure de pionnière en matière d'égalité hommes-femmes. En 2017, les capitaines des sélections féminine et masculine norvégiennes ont symboliquement signé un accord instaurant l'égalité salariale entre les deux équipes. Pour y parvenir, la fédération a décidé de reverser une partie des recettes de sponsoring récoltées pour l'équipe masculine à la sélection féminine. Les joueurs ont eux-mêmes consenti une baisse de leurs revenus annuels (550 000 couronnes, presque 60 000 euros) pour que les joueuses atteignent un niveau de rémunération parfaitement similaire (six millions de couronnes pour les deux sélections, soit environ 650 000 euros annuels).

Un choix légitime puisque les Norvégiennes, qui comptent un titre mondial (1995), deux titres de championnes d'Europe (1987 et 1993) et un titre olympique (2000), font partie du gratin mondial. Ce qui n'est pas le cas de leurs homologues masculins.

En Australie, les joueuses ont dû se battre. Le 7 mai, elles ont remporté une victoire grâce à un nouvel accord collectif qui leur permettra de bénéficier de la même rémunération minimale que leurs collègues masculins. Le salaire annuel de base des joueuses de la W-League, le championnat australien féminin qui dépend de la fédération, a ainsi été augmenté de 33%, à 16 344 dollars australiens (environ 10 100 euros), note L'Equipe. 

En France, une joueuse de D1 gagne en moyenne moins de 2 500 euros brut mensuels, contre près de 110 000 euros pour un joueur de Ligue 1, selon les chiffres rapportés par L'Equipe en février dernier. Un gouffre, même s'il convient de pondérer ce montant pour les messieurs, eu égard aux salaires astronomiques des joueurs du PSG, treize des quatorze plus grosses rémunérations du championnatCet écart abyssal s'explique notamment par l'absence de ligue pro. Sur les 290 joueuses de Division 1, seules 160 disposent de contrats fédéraux qui leur permettent d'être rémunérées, explique Libération. Et la moitié de ces joueuses seulement disposent de contrats à plein temps.

Des écarts conséquents entre les joueuses

Parmi les joueuses évoluant en France, il existe de très fortes disparités salariales. Quelques joueuses de l'Olympique lyonnais, la meilleure équipe d'Europe, et du PSG disposent de salaires annuels conséquents (à six chiffres). Parmi elles, les trois joueuses les mieux payées au monde évoluent à l'OL, titré pour la quatrième fois consécutive en Ligue de champions il y a quelques semaines : la Ballon d'or en titre Ada Hegerberg et les stars de l'équipe de France Amandine Henry et Wendie Renard, qui gagnent environ 30 000 euros par mois, détaille BFMTV

Comparé aux hommes, ces sommes sont dérisoires. La rémunération des joueuses de l'OL les mieux payées est plutôt comparable au salaire moyen dans des équipes masculines de Ligue 1 de milieu de tableau comme Montpellier ou Strasbourg. Selon L'Equipe, les investissements des clubs sont aussi très éloignés : 3,5 millions d'euros sont dédiés aux joueuses de l'OL, le plus gros budget de Division 1, contre 285 millions pour leurs homologues masculins. 

Au niveau mondial, le salaire combiné de toutes les joueuses des sept ligues de football féminin parmi les mieux dotées financièrement dans le monde - 1 673 footballeuses très exactement - serait égal à celui d'un seul footballeur masculin, Neymar. Soit l'équivalent de 36,7 millions d'euros pour la saison 2017-2018, selon les chiffres de l'enquête annuelle réalisée par Sporting Intelligence et citée par The Guardian (en anglais).

Peu de structures s'engagent pour réduire ces inégalités

Malgré de récentes évolutions salariales, les choix et moyens investis par les fédérations restent très différents d'un pays à l'autre. Il y a l'exemple vertueux de la Norvège, que nous avons évoqué plus haut. Mais il y a surtout de multiples cas de discorde. Le 8 mars, aux Etats-Unis, lors de la journée internationale des droits des femmes, les championnes du monde en titre américaines ont porté plainte contre leur fédération pour discrimination devant un tribunal de Los Angeles. Motifs de leur démarche : les primes plus faibles qui leur sont accordées et les conditions d'entraînement moins bonnes que les hommes, malgré un palmarès impressionnant (trois victoires en Coupe du monde), sans commune mesure avec les performances modestes des garçons en grande compétition. 

En 2015, la fédération coréenne de football (KFA) a été critiquée publiquement pour avoir fait voyager l'équipe nationale féminine en classe économique, pendant que les hommes avaient droit à la classe affaires. "Les joueurs apportent beaucoup plus d'argent à la fédération", avait alors réagi la KFA. 

Le marché n'est pas là parce que peu de gens veulent payer pour regarder le football féminin. Et cela tient en partie au sexisme, qui existe bel et bien sur la scène sportive en Corée du Sud.

Choi Dong-ho, chercheur sud-coréen

à l'AFP

A cause de ce sexisme, le championnat féminin sud-coréen n'a pas trouvé de sponsors et les joueuses, semi-professionnelles, ont des salaires à des années-lumière de leurs homologues masculins. 

Un marché moins lucratif que celui des hommes

Dans le foot comme dans n'importe quel autre sport, l'évolution des salaires dépend des sponsors et des droits TV. Plus un sport est médiatisé et attire les investissements, plus les revenus sont importants pour les clubs, et donc les joueuses. "Je préfère qu'on mène le combat de convaincre les partenaires de s'engager et faire le pari de l'économie du foot féminin. De faire en sorte que le sport féminin rapporte de l'argent pour enclencher ce cercle vertueux. Après, il n'y aura plus le souci d'égalité salariale", avait souligné la vice-présidente de la fédération française, Brigitte Henriques, en février.

Le football féminin se développe mais les Bleues ne produisent pas de revenus comparables à ceux de leurs équivalents masculins, qui génèrent 90 millions d’euros par an.

Un membre de la FFF

au "Parisien"

Par exemple, la Coupe du monde masculine organisée au Brésil en 2014 a rapporté 4,8 milliards de dollars à la Fifa, alors que la Coupe du monde féminine de 2015 organisée au Canada n'a elle rapporté "que" 300 millions de dollars, étaye Le HuffPost. Autrement dit, les sommes reversées aux joueuses ne peuvent donc pas égaler celles des hommes.

"Le sport féminin a une énorme valeur commerciale", a toutefois estimé Ruth Holdaway, la directrice générale de l'organisation caritative Women in sports au Guardian (en anglais). Il s'agit de faire en sorte que les marques reconnaissent qu'elles peuvent exploiter le pouvoir du sport féminin. Il y a une énorme demande d'un public, mais il s'agit d'exploiter ce marché et de le faire fonctionner pour les deux parties."

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