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ENTRETIEN. Cycle menstruel : "J'ai eu des coachs masculins qui ne considéraient pas du tout la question", confie l'escrimeuse Ysaora Thibus

Depuis qu'elle a arrêté la pilule, la championne du monde doit certes gérer des symptômes prémenstruels plus importants, mais apprécie de se réapproprier son corps sans assimilier ses règles "à quelque chose de complètement négatif".

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La Française Thibus Ysaora lors de l'épreuve par équipe de fleuret féminin des Jeux olympiques de Tokyo, le 29 juillet 2021. (CROSNIER JULIEN / AFP)

Elle a longtemps mis de côté la question des règles et du cycle menstruel. Mais il y a deux ans, la fleurettiste Ysaora Thibus, récente championne du monde et médaillée d'argent par équipes aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021, a décidé d'agir, jusqu'à arrêter la pilule qu'elle prenait depuis près de 15 ans. 

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Dans le cadre du dossier de franceinfo: sport sur la question, la sportive de 30 ans se confie sur ce changement radical, non sans conséquence sur son corps, et sur ce tabou qu'il faut briser.

Franceinfo: sport : Beaucoup d'athlètes doivent composer entre l'enchaînement des compétitions et leurs règles, ce qui est loin d'être évident quand celles-ci sont douloureuses. Est-ce votre cas ?

Ysaora Thibus : Oui, j'ai commencé à prendre la pilule très tôt, à l'âge de 14 ans, car j’avais des règles très douloureuses. Depuis, j'avais des cycles réguliers, et j’arrivais à m’entraîner sans gêne. Mais j’avais l’impression de ne pas vraiment connaître mon corps. C’est pourquoi j’ai décidé d’arrêter la pilule, il y a deux ans maintenant.

Depuis, j’ai des cycles très irréguliers, plus longs ainsi que des douleurs plus fortes. Ça a été (et ça l’est encore) tout un réapprentissage afin de comprendre comment mon corps fonctionne, comment je dois adapter mes entraînements, et dans la vie de tous les jours aussi.

A l'époque, la pilule représentait la seule solution à vos yeux ?

Oui, j’ai commencé le sport de haut niveau très jeune en sport études, avec beaucoup de compétitions. Souvent, j'enchaînais les plaquettes pour ne pas avoir mes règles en compétitions. Mon but était de ne pas être dérangée par mes règles. En fait, je n'avais pas envie de l'intégrer comme une problématique dans ma vie. Je les ai mises au maximum de côté.

"J’ai appris à tout sacrifier et à tout mettre en œuvre au profit de la performance. A cette époque, être une femme était un peu vu comme un point faible au niveau de la performance."

Ysaora Thibus, championne du monde au fleuret

à franceinfo: sport

Car ce qui était attendu dans le haut niveau, c’était de s’entraîner comme les hommes, dans la quantité, l’intensité, la combativité, l’ambition et la gestion de ses émotions.

Pourquoi avez-vous finalement décidé d’arrêter votre pilule ?

J’ai eu une grosse remise en question sur ce sujet. Pourquoi je prends la pilule ? Quels sont les effets sur mon corps ? J’ai eu cette réflexion avec Anne-Laure Morigny, la première femme coach que j’ai eue à mes côtés, et qui s’occupe de ma préparation physique à l’Insep depuis deux ans. C’est la première personne à m’avoir parlé du cycle menstruel, du périnée, des fuites urinaires et de la maternité.

"J'aurais souhaité qu'on me parle de tout cela plus tôt, qu'on me dise que les règles sont quelque chose qui peut être pris en compte."

Ysaora Thibus, championne du monde au fleuret

à franceinfo: sport

Alors j'ai arrêté la pilule pour redécouvrir mon corps de femme, et en reprendre le contrôle. Je voulais me le réapproprier, avec tout ce que cela signifie, et ne pas assimiler mes règles comme quelque chose de complètement négatif, qu’on doit absolument supprimer ou contrôler par des médicaments, alors que cela fait partie de nous. 

Aujourd’hui, comment gérez-vous les symptômes de vos règles lors de grandes échéances sportives ?

Je ressens en effet des symptômes prémenstruels [avant l’arrivée des règles]. Je suis assez notamment fatiguée. Aujourd’hui, je n’ai pas vraiment trouvé de solution, mais je m'en accommode.

Est-ce devenu une angoisse d’avoir des cycles plus douloureux, et plus irréguliers, et donc plus compliqués à anticiper, à l'approche d'une compétition ?

C'est un paramètre en plus à gérer. Et je le découvre encore. Par exemple, lors des derniers championnats d'Europe [en juin], j'ai eu mes règles entre les individuels et l’épreuve par équipes. J'étais incapable de m'entraîner parce que j'étais vraiment K.-O.

La Française Ysaora Thibus (à gauche) affronte la Russe Larisa Korobeynikova, dans le combat pour la médaille d'or du fleuret féminin par équipes lors des Jeux olympiques de Tokyo, le 29 juillet 2021. (MOHD RASFAN / AFP)

Au départ, comme je ne m’attendais pas à les avoir à ce moment-là, je ne savais pas si la fatigue était liée à mes règles, ou à la compétition en elle-même. Mais quand elles sont arrivées, le soir, j’ai mieux compris. Et je me suis dit : "Ok, tu dois faire avec demain". Et j’ai fait avec, même si ce n’était pas ma meilleure journée.

C'est pourquoi il est important d'étuder le fonctionnement des cycles, et leur lien avec la performance. C'est ce que j'ai commencé à faire avec une des gynécologues de l'Insep, afin de savoir si, sur certains cycles menstruels, on peut peut-être faire des efforts plus courts mais plus intenses et sur d'autres, on sera plus sur de l'endurance, avec plus de charge. 

Y a-t-il aujourd’hui moins de tabou pour les athlètes autour de ce sujet ? 

Bien qu’il reste encore du chemin à faire, je trouve que le sujet est plus visible. On en parle plus, c'est une certitude, ce qui peut permettre d’ouvrir un débat sur les solutions et les options qu’on peut trouver. Il y a quelques années, il n'y avait même pas de discussion sur l'effet que les règles pouvaient avoir sur la performance. Pendant longtemps, j'ai eu des coachs masculins qui ne considéraient pas du tout la question.

"Ce n’était pas envisageable de pouvoir leur dire que je ne me sentais pas bien car j’avais mes règles, où même qu’il fallait adapter les entraînements en fonction de mon cycle."

Ysaora Thibus, championne du monde au fleuret

à franceinfo: sport

Le problème est que, comme beaucoup ne savent pas comment l'aborder, ils n'en parlent pas. D’ailleurs, beaucoup de jeunes athlètes arrêtaient aux portes du plus haut niveau dans certains sports pour cette raison. Sans parler de cette tenue blanche, qui peut être très gênante quand on a ses règles, ou de la position de squatts qu’on doit garder en permanence en escrime. Ça a pu être une barrière. Mais je pense qu’aujourd’hui, il faut se dire que les règles font partie du corps de la femme et qu’on peut mettre en place des choses pour aider à une pratique dans de meilleures conditions.

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