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"Douleurs insupportables", "fatigue", "peur de la tache"... Quand le cycle menstruel vient perturber les performances des athlètes

Avoir ses règles en pleine compétition devient souvent un casse-tête pour les sportives de haut niveau. Franceinfo: sport consacre un dossier sur la question, en donnant la parole à plusieurs sportives de haut niveau.

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Si le sujet reste encore largement passé sous silence dans le milieu sportif, les répercussions du cycle menstruel existent bel et bien.  (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

"Dans ce match, c'était assez difficile de montrer mon niveau aujourd'hui, parce que j'avais très mal au ventre, je n'avais pas l'énergie nécessaire. (…) Vous voyez, ce sont des petites choses de filles !" Après avoir bousculé la numéro 1 mondiale, et future gagnante du tournoi, en remportant le premier set, la Chinoise Zheng Qinwen (47e à la WTA), s'est écroulée contre la Polonaise Iga Swiatek, en huitièmes de finale de Roland-Garros, le 30 mai. En conférence de presse, la joueuse mentionne, sans la nommer, son autre adversaire du jour : les règles.

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Largement passées sous silence dans le milieu sportif, les répercussions du cycle menstruel existent bel et bien. Troubles du sommeil, fatigue, hypersensibilité exacerbée, ballonnement, prise de poids, maux de ventre et de dos, crampes musculaires... Ces symptômes, différents selon les athlètes et les cycles, peuvent avoir un effet non négligeable sur la performance des athlètes.

"Tout change ce jour-là"

"Il n'a pas été démontré que les règles induisaient une baisse de la performance chez l'athlète, sauf si elle a des troubles du cycle, c'est-à-dire des règles très douloureuses. Et si elle a des règles très abondantes, cela peut être source d'anémie, donc de fatigue", explique Carole Maître, gynécologue à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), qui forme les futurs champions tricolores.

Ces symptômes apparaissent généralement dans les jours qui précèdent l'arrivée des règles. "Alors que tu réalises une belle performance quelques jours avant, tout change", raconte la joueuse de tennis Marine Partaud. La mésaventure lui est arrivée au tournoi W25 à Périgueux, fin juin. Après avoir accédé aux demi-finales, le début de son cycle a tout bouleversé. "Je me suis réveillée le samedi matin, je n'étais pas en forme. Mon échauffement était totalement différent des jours précédents", explique celle qui figurait à la 319e joueuse mondiale au 20 juillet.

"J'avais de mauvais déplacements, les jambes lourdes et mal à la tête. J'étais très tendue, moins réactive, moins énergique et moins concentrée. J'étais plus émotive et plus nerveuse, et on sait qu'au tennis c'est compliqué si tu ne contrôles pas tes émotions."

Marine Partaud, joueuse de tennis

à franceinfo: sport

Marine Partaud s'est inclinée 6-3, 6-1 en demi-finale du tournoi face à sa compatriote Selena Janicijevic. "Ça a réduit mes capacités, estime-t-elle. Si j'avais été comme la veille ou l'avant-veille, sans ces symptômes, il y aurait clairement eu plus de match."

"C'est toujours un désavantage", confirme la gymnaste Marine Boyer. "Quand je les ai et que j'ai en même temps une compétition, j'essaie de me persuader que je suis tout aussi performante. Mais la semaine avant, tout arrive d'un coup : la fatigue, l'irritabilité, et le fait de ne plus arriver à faire un enchaînement, alors qu'une semaine plus tôt, tu le réalisais facilement", raconte la médaillée de bronze à la poutre et d'argent au concours général par équipes, aux championnats d'Europe en 2018.

Outre la douleur, la gêne

Au-delà des douleurs physiques et de la fatigue, il y a aussi "cette gêne" décrite par les athlètes. "Mentalement, au lieu d'être à 100 % sur ta compétition, tu as toujours cette crainte en tête que, quand tu mets un coup puissant, tu sens que ça coule. Et si je me fais une tache, je suis exposée, car sur le ring, tout le monde me regarde. Cela te parasite", témoigne l'ancienne boxeuse Sarah Ourahmoune, vice-championne olympique aux Jeux de Rio 2016, et championne du monde en 2008.

"En compétition, nous sommes en justaucorps et tu ne veux pas que ton fil de tampon ou ta serviette dépassent. C'est gênant, car on devrait être focalisée sur notre performance, mais on pense forcément à cela", confirme Marine Boyer.

Récemment, au lendemain du début de l'Euro le 7 juillet, les footballeuses anglaises ont demandé à leur équipementier ne plus leur fournir de shorts blancs. "C'est très sympa d'avoir une [telle] tenue mais parfois ce n'est pas pratique cette période dans le mois", a précisé Beth Mead, l'attaquante d'Arsenal, dans les colonnes de The Telegraph (article en anglais).

La pilule comme solution privilégiée 

Pour beaucoup d'athlètes, et ce dès l'adolescence, la pilule s'impose souvent comme la meilleure solution, pour allier le mieux possible les cycles et la carrière de haut niveau. Les douleurs s'en trouvent généralement réduites, et les cycles plus s'avèrent plus réguliers et moins abondants. "Il faut prendre conscience que les symptômes liés aux règles doivent, au mieux, ne pas être présents, ou en tout cas, certainement ne pas gêner lors de la pratique. Si les douleurs sont moyennes où sévères, il faut aller en discuter avec un spécialiste", conseille Carole Maitre.

Pendant longtemps, Marine Boyer a souffert de "douleurs menstruelles insupportables, au ventre et au dos". "Je ne pouvais pas m'entraîner, ni même marcher. Cela pouvait durer la semaine de mes règles." A l'époque, la jeune athlète a longtemps hésité à prendre la pilule, par peur de prendre du poids dans un sport où chaque gramme compte. La persistance des douleurs l'a convaincue. "Aujourd'hui, j'ai encore des douleurs, mais ça n'a rien à voir par rapport à avant. Malgré ce qu'on pense, ce n'est pas normal d'avoir des douleurs menstruelles", dit, elle aussi, Marine Boyer.

Mais la pilule ne convient pas à toutes les athlètes. La patineuse Maé-Bérénice Méité, sextuple championne de France dans la catégorie élite, a dû faire face à des effets secondaires, apparus au bout d'une semaine. "J'avais pris du poids, dont deux tailles de soutien-gorge. Je me suis dit : 'Si je ne parviens pas à perdre ce poids, concrètement, je ne pourrai plus patiner'", se souvient-elle. 

Décaler son cycle...

En outre, la pilule n'empêche pas l'arrivée des règles, et donc des douleurs, même si elles sont moins intenses. Dès lors, des athlètes font le choix d'enchaîner les plaquettes pour retarder les menstruations. "Pour de grandes compétitions, nous avons la possibilité de faire en sorte que les règles soient décalées, pour que l'athlète ne soit pas gênée par des symptômes qui peuvent être exacerbés", souligne Carole Maitre.

La gymnaste Marine Boyer, lors des Internationaux de France, le 4 septembre 2019. (MAXPPP)

Sarah Ourahmoune a utilisé cette méthode pendant 15 ans, du fait de "règles douloureuses". "Très vite, ma solution a été de prolonger mes plaquettes de pilules quand je savais que j'avais un combat, parce que c'était ingérable. Je ne voulais pas arriver en stage ou en compétition sur une période de règles", confie-t-elle.

"Avec la boxe, on prend des coups intenses dans le ventre. Et à chaque fois qu'on en reçoit un, et qu'on a nos règles, on a des grosses contractions. C'est impossible à gérer lors d'un combat."

Sarah Ourahmoune, ancienne boxeuse

à franceinfo: sport

L'absence de basse saison dans sa discipline n'a pas arrangé les choses. "En boxe, on a cette peur du vide. Si je ne vais pas en compétition, une autre personne risque de prendre ma place", raconte Sarah Ourahmoune, qui a, malgré tout, eu peur que ces dérèglements répétés l'"empêchent de tomber enceinte".

Marine Boyer a, elle, opté pour ce compromis une seule fois dans sa carrière. "C'était pour les Jeux de Tokyo. Je n'avais pas le choix, je devais absolument être au maximum de mes capacités pour performer", glisse-t-elle. Une solution risquée ? "Pas si cela reste ponctuel", assure la gynécologue de l'Insep, Carole Maître.

… ou faire avec

Des athlètes tentent de se passer de la pilule. Il y a quatre ans, la handballeuse tricolore Estelle Nze Minko, championne olympique à Tokyo, a décidé d'arrêter la pilule. "Je voulais savoir comment réagissait mon corps sans pilule. Quel était mon vrai poids, mon vrai comportement, ou mes sensations sans hormones. J'avais envie de revenir à un état un peu plus naturel", livre la joueuse du club hongrois Gyori ETO KC.

Estelle Nze Minko lors de la finale du championnat du monde féminin, face à la Norvège, le 19 décembre 2021 à Barcelone (Espagne). (JAVIER BORREGO / AFP)

Progressivement, ses douleurs au ventre sont devenues plus fortes, son flux plus intense, et sa période de règle plus longue. Pour elle donc, impossible d'anticiper avant une grande échéance.

"Je regarde mon planning en permanence en espérant que mes règles ne tombent pas lors d'un match important. Mais c'est un peu moi et ma chance. Je serre les dents."

Estelle Nze Minko, championne olympique de handball

à franceinfo: sport

Maé-Bérénice Méité n'a, elle, jamais pris la pilule et a appris à composer avec son cycle. "Je le traque. Je note tout : mes dates de début et de fin de règles, mes symptômes... Quand j'ai mes compétitions à planifier, je peux identifier celles où je suis susceptible d'avoir mes règles, et anticiper par exemple une future prise de poids, moi qui suis très sujette à la rétention d'eau. Cela me permet d'arriver à chaque fois préparée physiquement et mentalement."

Malgré les douleurs du cycle, Maé-Bérénice Méité essaie de maintenir un entraînement "aussi normal que possible" lors de ses règles. "Car en compétition, je ne pourrai pas choisir", ajoute-t-elle.

Des encadrants masculins mal informés

Face à cette problématique, les athlètes sont encore trop souvent livrées à elles-mêmes, bien que certaines fédérations s'y intéressent de plus en plus. En boxe et en aviron des études sur le sujet ont été lancé. Mais des encadrements souvent très masculins constituent un frein, selon des athlètes. "Ce n'est qu'en fin de carrière que j'ai eu un entraîneur qui était à l'écoute, constate l'ancienne athlète Christine Arron, championne du monde du relais 4×100 mètres en 2003, et toujours détentrice du record d'Europe du 100 mètres. S'ils sont formés à l'entraînement, ils ne le sont pas forcément à la physiologie féminine. Et nous, nous n'osions pas en parler. Je me souviens de séances où il fallait serrer les dents. C'était une double peine."

Sarah Ourahmoune (à gauche) lors de la demi-finale des poids mouches aux Jeux olympiques de Rio, le 18 août 2016. (MAXPPP)

Sarah Ourahmoune abonde : "Etre en équipe de France était pour nous comme une faveur, car on représentait un sport qui n'était pas pratiqué par les femmes. Alors, on ne voulait pas forcément en parler, ni montrer qu'on était des femmes, pour ne pas qu'on nous dise ensuite : 'Voilà pourquoi on ne voulait pas de vous sur un ring'".

De son côté, Estelle Nze Minko ne constate aucune prise en compte du sujet dans son club. "Je ne demande pas forcément qu'il me dispense d'entraînement, mais simplement de me sentir écoutée, et moins jugée sur la performance du jour", lâche-t-elle.

Informer et étudier les cycles

Carole Maître mise sur l'information auprès "des athlètes, des entraîneurs et des cadres techniques, pour briser les tabous". En février, la gynécologue a "diffusé à tous" et publié sur le site de l'Insep un document d'information (PDF)"Une chose est sûre, c'est qu'il ne faut pas fermer les yeux sur le sujet", déclare Christine Arron, qui a eu un enfant durant sa carrière, à une époque où un tel événement semblait impossible pour une sportive de haut niveau.

"On est sans cesse en train d'essayer d'optimiser les performances, à l'aide de puces et de capteurs pour scruter nos séances, à travers notre endurance, notre vitesse, nos pulsations maximum, etc. Mais pourquoi ne pas étudier aussi le cycle menstruel des athlètes ?", demande Estelle Nze Minko. Selon la handballeuse, "on pourrait ainsi mieux adapter les entraînements, et même protéger des blessures".

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