Dopage : compléments alimentaires contaminés, l'épineuse ligne de défense des athlètes

Le sprinteur Mouhamadou Fall avait plaidé une contamination accidentelle aux compléments alimentaires, mais a été suspendu neuf mois, lundi, ce qui devrait lui faire manquer les Jeux olympiques.
Article rédigé par Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
A chaque contrôle antidopage, un formulaire est complété avec diverses informations sur l'athlète. (FRANCK FIFE / AFP)

Paul Pogba, Simona Halep... La justification devient courante. Une fois notifié de son contrôle positif à une substance interdite par le code mondial antidopage, le sportif incrimine un complément alimentaire, plaidant une contamination involontaire. Dimitri Bascou, spécialiste français du 110 m haies médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Rio en 2016, a également évoqué cette piste après avoir appris qu'il avait été contrôlé positif aux stéroïdes fin janvier. Son camarade d'équipe de France, Mouhamadou Fall, positif à un stimulant, a invoqué la prise de complément alimentaire mais s'est vu notifier une suspension de neuf mois, lundi 29 avril, alors que l'Agence française de lutte antidopage (AFLD) avait requis quinze mois de suspension au lieu des deux ans normalement encourus.

Le 10 avril dernier, le sprinteur avait plaidé la contamination accidentelle devant la commission des sanctions de l'AFLD. Il avait présenté un rapport, produit par le toxicologue Jean-Claude Alvarez, selon lequel son résultat d'analyse positif – qui date de l'été 2023 – serait dû à une contamination par un des six compléments alimentaires qu'il consommait au moment du contrôle. 

"La charge de la preuve repose sur l'athlète. Elle est extrêmement difficile à apporter. La bonne foi ne suffit pas."

Jean-Jacques Bertrand, avocat spécialisé dans le droit du sport

à franceinfo: sport

"Il va falloir avancer des éléments pour diminuer la sanction. On peut apporter des factures, diligenter des expertises", détaille l'avocat. Une procédure coûteuse en argent comme en temps.

Des mois de procédure

" En matière de dopage, je ne connais pas de sanction qui ait été rendue en moins de six mois", avertit Jean-Jacques Bertrand. Début mars, l'ex-n°1 mondiale de tennis Simona Halep a vu sa suspension réduite à neuf mois par le Tribunal arbitral du sport (TAS), alors qu'elle avait été condamnée à quatre ans par le tribunal indépendant de la Fédération internationale de tennis en septembre 2023, pour un contrôle positif datant de... septembre 2022. Pour voir sa sanction réduite, la joueuse s'était également appuyée sur l'expertise de Jean-Claude Alvarez.

"Au moins deux ingrédients contenus dans ce complément alimentaire proviennent de Chine, expliquait alors auprès de franceinfo: sport Jean-Claude Alvarez, directeur du laboratoire de toxicologie du CHU de Garches. Il est probable qu'une même chaîne de production ait été utilisée, à la fois pour fabriquer des médicaments à base de roxadustat [la substance interdite retrouvée chez la Roumaine], et pour la production de collagène, qui a donc été contaminée. Des produits contaminés en Chine, malheureusement, il y en a énormément."

Selon le principe de "responsabilité objective" édicté dans le code mondial antidopage, le sportif est responsable de toute substance qui pénètre son organisme. Par conséquent, dans le cas d'une contamination d'un complément alimentaire, l'athlète ne pourra pas user de l'article 10.5, qui permet une "élimination de la période de suspension" lorsque la personne établit "l'absence de faute ou de négligence".

"Les sportifs ont été mis en garde quant à la possibilité de contamination des compléments", rappelle le règlement. En effet, selon des études scientifiques, près de 20% des compléments alimentaires vendus dans le monde contiennent des substances interdites, à la suite d'une contamination accidentelle, sur la ligne de production, ou volontaire. 

Prouver sa prudence

Pour espérer voir sa sanction réduite, charge alors à l'athlète de démontrer qu'il a fait preuve de prudence. "On va examiner si on peut faire valoir des éléments objectifs et subjectifs. Le degré de la faute est déterminé à partir des éléments objectifs. Si la faute est légère, la sanction peut être réduite de zéro à douze mois. Si elle est normale, la suspension durera entre douze et vingt-quatre mois", détaille Jean-Jacques Bertrand.

"Les éléments subjectifs permettent d'affiner la sanction dans cette fourchette. On regarde par exemple si le sportif est mineur, s'il a reçu suffisamment d'informations sur le dopage, s'il a pris des précautions", liste l'avocat. La sanction minimale est une réprimande sans suspension.

Mouhamadou Fall, en séries du relais 4x100 mètres, aux Mondiaux d'athlétisme à Budapest (Hongrie), le 25 août 2023. (LAURENT LAIRYS / AFP)

Dans le cas de Mouhamadou Fall, le représentant du collège de l'AFLD a estimé que le sprinteur de 32 ans aurait dû "faire preuve de davantage de vigilance, compte tenu de son niveau et de son expérience". Sans contester la thèse de la contamination, il est notamment reproché à l'athlète un achat imprudent sur internet.

Au-delà d'une vérification systématique du caractère autorisé de chacun des composants du complément alimentaire, l'AFLD recommande aux sportifs de se fournir uniquement en France, en pharmacie, avec des produits qui portent la norme Afnor 17444, affichée par les fabricants qui s'engagent à respecter certaines exigences pour que les compléments ne contiennent pas de substances interdites. Mais le risque zéro n'est pas garanti, car il ne s'agit pas d'une certification.

Des sportifs rarement disculpés

L'avocat Jean-Jacques Bertrand conseille également aux athlètes de prendre les devants, pour pouvoir mieux se défendre "au cas où". "Ils peuvent par exemple faire analyser en amont le produit par un expert. L'Agence mondiale antidopage suggère aussi d'acheter les pots en double : un pour sa consommation, dont on gardera la fin de côté, et un autre scellé. Ils pourront facilement être fournis pour analyses en cas de contrôle positif."

De son côté, le code mondial antidopage rappelle que "la réduction de la sanction pour absence de faute ou de négligence significative a rarement été appliquée dans les cas de produits contaminés, sauf lorsque le sportif avait fait preuve d’une grande prudence avant de prendre le produit contaminé". Parmi les actions appréciées par les juges de l'antidopage : l'autodéclaration de la consommation, sur le formulaire de contrôle, du produit qui s’est avéré par la suite avoir été contaminé.

"Beaucoup d'athlètes font appel à cette explication de produits contaminés. Mais ce n'est pas parce qu'on le dit qu'on est sorti de l'ornière. L'exemple de Paul Pogba le montre"

Jean-Jacques Bertrand, avocat spécialisé dans le droit du sport

à franceinfo: sport

Contrôlé positif à la testostérone, le footballeur français avait avancé l'argument d'une prescription par un médecin aux Etats-Unis. Une défense jugée insuffisante par le tribunal antidopage italien qui lui a infligé, fin février, quatre ans de suspension, soit la sanction maximale. Le joueur a annoncé vouloir faire appel devant le Tribunal arbitral du sport.

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