On vous explique pourquoi il y a de plus en plus de chutes dans le cyclisme professionnel

De nombreuses chutes ont émaillé le début de la saison, et font réagir tous les acteurs du cyclisme, qui s'inquiètent pour la sécurité des coureurs.
Article rédigé par Mateo Calabrese
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Belge Liam Slock, égratigné après sa chute sur la classique Bruges-La Panne, le 20 mars 2024 entre Bruges et La Panne. (SHUTTERSTOCK/SIPA)

Trois favoris du Tour de France à terre. L'image de la lourde chute survenue jeudi 4 avril sur la quatrième étape du Tour du Pays basque, qui a provoqué entre autres les abandons de Jonas Vingegaard (fracture de la clavicule et de plusieurs côtes, pneumothorax), Remco Evenepoel (fracture de l'omoplate et de la clavicule) Primoz Roglic (aucune fracture), a cristallisé une tension latente au sein du peloton.

Les coureurs craignent de plus en plus pour leur intégrité physique. Une autre chute sur la même course, vendredi 5 avril, a provoqué l'abandon de quatre autres coureurs, dont Mikel Landa, évacué sur civière comme Vingegaard.

Un nombre record de chutes et de blessures en 2023

L'année dernière, les cyclistes professionnels ont subi un total de 295 blessures, selon le site Procyclingstats, dépassant le record déjà établi en 2022 (247 blessures), et dans la continuité d'une constante augmentation depuis 2020. Ces dix dernières années, les fractures de la clavicule représentent un tiers des blessures (648 sur 1 993), signe des lourdes chutes que subissent régulièrement les coureurs.

"En ce moment, les coureurs sont sacrément traumatisés", déplorait, mardi, Thierry Gouvenou, directeur de Paris-Roubaix, au moment d'annoncer l'ajout d'une chicane avant la mythique trouée d'Arenberg, à la demande du syndicat des coureurs (CPA). 

Neutralisé après l'incident qui a causé l'abandon de 11 coureurs, le Tour du Pays basque est la quatrième course arrêtée temporairement après une chute massive en moins de trois semaines (après le Cholet Agglo Tour, la Roue Tourangelle, et Paris-Camembert). "Il n'y a pas une seule explication, mais une conjugaison de paramètres", suggère Thomas Voeckler, sélectionneur de l'équipe de France masculine et consultant pour France Télévisions.

Certains parcours mis en cause

Les tracés de certaines courses sont particulièrement fustigés par les coureurs. Selon l'organisme SafeCycling, qui collabore avec l'organisation de nombreuses courses majeures (Paris-Nice, Tour des Flandres, Milan-San Remo...), Jonas Vingegaard lui-même "avait déjà mis en garde avant le début de la saison contre cette descente spécifique [celle du col d'Olaeta, dans laquelle le Danois a chuté] et quelques autres dans cette course". "Ce n'est pas vrai" a démenti dans la foulée Frans Maassen, le directeur sportif de la Visma-Lease a bike, dans les colonnes du média belge Sporza.

La société norvégienne avait, par ailleurs, installé des matelas oranges dans les virages dangereux de plusieurs descentes du Tour de France et de Paris-Nice, protégeant les coureurs du mobilier urbain, des fossés et des éléments en béton en bordure de route. Lors de la chute massive sur le Tour du Pays basque jeudi, plusieurs coureurs ont heurté des rochers, certains finissant dans une évacuation d'eau en béton en sortie de virage. Aucune protection n'avait été installée sur ces obstacles.

Pour Marc Madiot, directeur de l'équipe Groupama-FDJ joint par franceinfo: sport, l'urbanisation complique effectivement les tracés des courses cyclistes, avec des "aménagements urbains de plus en plus nombreux" et "conçus pour ralentir la circulation, donc difficilement compatibles avec les courses cyclistes"

Sur A travers la Flandre, la chute collective qui a provoqué l'abandon de Wout van Aert est survenue dans la descente menant au Kanarieberg. Les coureurs avaient déjà signalé sa dangerosité, demande prise en compte par les organisateurs du Tour des Flandres, qui l'avaient retirée de leur tracé. 

"C'est nous, les cyclistes, qui créons le danger"

Un consensus se dégage pour trouver les explications : le danger s'est accru ces dernières années car les coureurs roulent plus vite. Grâce à l'amélioration du matériel et du niveau global des coureurs, mais aussi parce que ces derniers prennent plus de risques, de leur propre aveu : "Nous sommes arrivés trop vite [dans la descente]. La chute doit nous faire réfléchir, nous les cyclistes, car c'est nous qui créons le danger", a ainsi réagi l'Espagnol Pello Bilbao à l'arrivée de la quatrième étape du Tour du Pays basque, qui a vu l'abandon des trois favoris du Tour de France. 

Un constat partagé par le champion du monde Mathieu van der Poel : "L'élément le plus dangereux du cyclisme, ce sont les coureurs eux-mêmes. On prend les risques et c'est le problème principal. Tout le monde veut être devant au même endroit et ce n'est pas possible", a déploré le favori de Paris-Roubaix, vendredi en conférence de presse avant l'Enfer du nord. Thomas Voeckler précise : "Avant, les coureurs ne prenaient pas de risque sur les courses de préparation. Aujourd'hui, toutes les courses sont importantes, les enjeux sont accrus." 58% des chutes ont d'ailleurs lieu dans les 40 derniers kilomètres des courses, d'après l'UCI, preuve que la tension est l'une des principales causes des incidents.

Au-delà des conditions de course, l'évolution de la physionomie du peloton pourrait expliquer une partie des chutes. Les coureurs arrivent chez les professionnels de plus en plus jeunes, avec souvent moins d'expérience de la course en peloton : "Certains viennent d'autres sports et ne sont pas passés par les différentes strates des écoles de vélo, avance Paul Brousse, sélectionneur de l'équipe de France féminine. Ils ont de gros potentiels physiques, mais aussi parfois des vraies lacunes techniques".

Selon lui, certains coureurs "perdent un peu leurs repères" en privilégiant désormais les stages d'entraînement aux courses de préparation : "Quand on revient dans le peloton après plusieurs semaines sans compétition, on n'a plus nos habitudes et on a un peu peur", témoigne celui qui a aussi été coureur professionnel pendant trois ans.

Le matériel, gage de performance mais pas de sécurité

Le matériel, gage de performance accrue, pourrait aussi être moins sécurisant. "L'évolution du matériel a fait gagner quelques kilomètres par heure, confirme Thomas Voeckler. Qui dit plus haute vitesse, dit risque plus élevé de chute." Les freins à disque, souvent pointés du doigt, constituent l'une des principales innovations généralisées au cours des dernières années. Paul Brousse se montre mesuré sur la question : "Ces freins permettent d'atteindre des vitesses plus élevées, parce qu'on retarde le freinage. Mais c'est aussi plus fiable qu'avec des patins, où il était parfois difficile de s'arrêter sous la pluie". Une opinion partagée par la plupart des anciens coureurs et directeurs sportifs interrogés.

"Les intérêts de chacun empêchent d'avancer sur la question. Les directeurs sportifs ne veulent pas enlever l'oreillette, les organisateurs de courses veulent absolument faire l'arrivée à tel ou tel endroit, les marques de cycles veulent utiliser des freins à disque..."

Marc Madiot, directeur de l'équipe Groupama-FDJ,

à franceinfo: sport

Les braquets, de plus en plus importants, utilisés par les cyclistes augmentent aussi la vitesse dans les portions rapides. Le président du syndicat français des coureurs, Pascal Chanteur, résume, dans un entretien à l'AFP : "Aujourd'hui, on met du 56x10. Ils roulent à 80 km/h dans les faux plats descendants. Quand ça tombe, vous n'avez aucun moyen de vous en sortir".

Des coureurs moins concentrés ?

Evidemment, le serpent de mer des oreillettes ressurgit dans le débat. Si les coureurs soulignent souvent leur importance pour être avertis de certains dangers, nombreux sont ceux qui, comme Paul Brousse, décrivent une "perte d'attention" à cause des communications radio. Un point de vue partagé par Thomas Voeckler qui ajoute que les oreillettes augmentent "la tension dans le peloton et la pression mise sur les coureurs".

Les mêmes critiques sont émises à propos des compteurs, que les coureurs consultent de plus en plus souvent, qui ne sont plus uniquement des capteurs de puissance mais de véritables écrans permettant de consulter le parcours et les ravitaillements : "Quand on a le regard sur son compteur, on ne l'a pas sur la route et les coureurs devant", illustre Paul Brousse.

Face à un défi qui fait réagir tous les étages du monde du vélo, beaucoup attendent des mesures. Pascal Chanteur, au nom du syndicat français des coureurs, a demandé la tenue d'"Etats généraux sur la sécurité pour faire des propositions claires". De son côté, l'UCI avait annoncé, en juin dernier, la création de SafeRoadcycling, "un organisme indépendant destiné au renforcement de la sécurité des compétitions", qui devrait rendre son premier rapport trimestriel prochainement.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.