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Accident de Jules Bianchi : peut-on améliorer la sécurité des pilotes de F1 ?

Le pilote français a été victime d'un terrible accident dimanche, lors du Grand Prix de Suzuka, au Japon. La sécurité des pilotes est-elle sacrifiée au profit du spectacle ? 

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le pilote de F1 Jules Bianchi reçoit les premiers secours après son accident à Suzuka (Japon), le 5 octobre 2014. (  MAXPPP)

L'accident de Jules Bianchi aurait-il pu être évité ? Le Français, victime d'un terrible accident dimanche, lors du Grand Prix de Suzuka (Japon), est toujours dans un état critique, lundi 6 octobre. Le pilote de l'écurie russe Marussia, âgé de 25 ans, s'est encastré sous une dépanneuse venue retirer la voiture d'un concurrent sorti de la route un tour plus tôt, sous une pluie battante. Concours de circonstances, faute d'organisation ou règles de sécurité insuffisantes ? En attendant les conclusions de l'enquête, francetv info a interrogé deux spécialistes de la discipline pour savoir si la sécurité pouvait être améliorée sur les circuits. 

Le cockpit : sécurité quasi maximale 

Depuis l'accident mortel d'Ayrton Senna à Imola (Italie), en 1994, beaucoup a été fait pour garantir au maximum la sécurité des pilotes en cas d'accident. Les cockpits,  qui laissent la tête du pilote à l'air libre, ont été renforcés, rehaussés et équipés du système de protection Hans, afin de réduire les risques de "coup du lapin". "La sophistication des protections va très loin, analyse pour francetv info Pierre Van Vliet, rédacteur en chef de F1i.com. Les casques sont fabriqués dans des matériaux très solides, qui amortissent des chocs importants. Les véhicules sont composés de feuilles de carbone qui répondent à des crash tests très performants. Il n'y a rien de mieux."

Après l'accident de Felipe Massa en 2009, touché à la tête par un débris de Rubens Barrichello, des renforts supplémentaires ont été apportés sur le dessus des visières pour empêcher que des objets ne pénètrent dans le casque. "Le stade suivant en matière de sécurité, ce serait de recouvrir les voitures, un peu comme les avions de chasse, poursuit Pierre Van Vliet. Mais lors d'une collision comme celle de Jules Bianchi, avec un engin aussi imposant qu'un tracteur, on ne serait pas à l'abri non plus. Et puis, on touche là à la philosophie de la Formule 1, où il n'y a jamais eu de toit couvrant. D'où la difficulté de l'imposer aux pilotes et aux écuries."

Emmanuel Touzot, journaliste à Nextgen-Auto.com, note tout de même une faiblesse dans la conception des formule 1, qui peut avoir joué dans le cas de Jules Bianchi. "La boîte à air située au-dessus du pilote est renforcée par un arceau de sécurité qui ne bouge pas habituellement, explique-t-il. Cet arceau est censé supporter des tonneaux ou des chocs contre un mur. Mais là, tout a été arraché car la voiture s'est encastrée sous un engin. L'arceau n'est pas conçu pour résister à ce genre de chocs." 

Le tracé des circuits : plus grand-chose à redire

Après la tragédie d'Imola, le tracé du circuit avait été modifié, avec notamment la création d'une chicane à la place de courbes rapides. Certains circuits sont-ils encore trop dangereux ? "Suzuka est un des anciens circuits, reprend Pierre Van Vliet. Il a du caractère, du relief, une topographie particulière. Les pilotes adorent. Avec Spa, c'est le circuit sur lequel ils s'éclatent le plus", même si les accidents sont fréquents. "Si vous dites aux pilotes qu'on va mettre une chicane ici ou là parce que c'est trop dangereux, ils n'en voudront pas. C'est comme en alpinisme : quand on commence à grimper un sommet, on ne demande pas qu'on rabote le col !"

Le tracé du Grand Prix de Saint-Marin, près d'Imola (Italie), avant et après la modification du parcours. (WIKIPEDIA)

En cas de sortie de piste, les pilotes ne sont plus accueillis par du sable ou de la pelouse, mais par une matière abrasive qui empêche les formule 1 de glisser indéfiniment. Des aménagements ont été faits sur de nombreux circuits depuis 1994, notamment dans l'espacement entre la route et les murs de protection, mais pas au point de tout revoir. Là encore, c'est l'esprit de la F1 qui est en jeu, selon le journaliste spécialisé. "On peut toujours faire uniquement des grands prix dans le désert à Abu Dhabi où les spectateurs sont obligés d'apporter des jumelles pour voir quelque chose. Mais on pratique un sport automobile. Le risque zéro n'existe pas."

La météo : des aléas impossibles à maîtriser

Le Grand Prix de Suzuka s'est tenu alors que le typhon Phanfone menaçait le Japon. A plusieurs reprises, il a été question d'avancer la course à samedi ou à la matinée de dimanche, mais les spectateurs n'auraient pas eu le temps de se retourner. Improviser un tel chambardement à la veille de l'événement, c'était risquer de voir des tribunes aux trois quarts vides… "De toute façon, dans certains pays comme le Japon ou le Brésil, la météo varie très rapidement. Si la course avait été avancée à 13 heures au lieu de 15 heures, elle aurait aussi été noyée sous l'eau à un moment", commente Emmanuel Touzot.

Ce qui ne veut pas dire que la Fédération internationale de l'automobile (FIA) prenne ce problème à la légère. Au contraire, "on critique la FIA dès que la voiture de sécurité sort pour rien, rappelle Emmanuel Touzot. La FIA marche sur des œufs. D'ailleurs, Pirelli a fait un bon pneu pluie pour les grosses conditions météo, mais il n'est presque jamais utilisé : en général, la course est arrêtée et, quand elle reprend, la piste a suffisamment séché pour mettre d'autres pneus à la place."

L'organisation des secours : à améliorer

Prendre la décision d'arrêter une course en raison de la pluie est un choix lourd, qui revient à une seule personne : Charlie Whiting, le directeur de course de la F1. Ce dernier est en contact radio permanent avec les pilotes, qui lui indiquent s'ils souhaitent arrêter la course ou pas. Dimanche, Felipe Massa a plaidé pour, Lewis Hamilton contre. Lorsqu'Adrian Sutil est sorti de la route un tour avant Jules Bianchi, seuls les drapeaux jaunes annonçant un danger ont été sortis. Pas de safety car à l'horizon. "A l'impossible nul n'est tenu, ça s'est joué sur une minute", tempère Pierre Van Vliet. 

Désormais, toutes les critiques pointent la dépanneuse qui s'est rendue illico près de la piste pour dégager la formule 1 de Sutil. Certains proposent d'abandonner ce système dans les zones dangereuses et de le remplacer par des grues, comme à Monaco, où l'étroitesse du tracé empêche la présence de gros engins. Emmanuel Touzot suggère également de copier les 24 heures du Mans, où une "Slow Zone" a été créée cette année pour interdire aux pilotes de dépasser une certaine vitesse quand les drapeaux jaunes sont de sortie. 

Dernière interrogation, spécifique à l'accident de Jules Bianchi : le mode d'évacuation du blessé. Le Français a été transporté à l'hôpital de Yokkaichi par ambulance, et non par hélicoptère, comme le prévoit le règlement. En cause, le mauvais temps qui ne permettait pas à l'hélico de décoller. "Là, ça ne va pas, regrette Pierre Van Vliet. Quand un hélicoptère ne peut plus décoller, cela signifie normalement 'drapeau rouge' et au moins suspension de la course. C'est prévu dans le cahier des charges des Grands Prix. Il faudra déterminer pourquoi ça n'a pas été le cas hier."

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