F1 : après le "choc" des premières courses, Alpine prépare sa traversée du désert

Le début de saison quasi-catastrophique de l'écurie française force à la patience, malgré des résultats en berne, des pilotes en fin de contrat et plusieurs remaniements successifs.
Article rédigé par Mateo Calabrese, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
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Temps de lecture : 6 min
Esteban Ocon au volant de l'A524 d'Alpine sur le circuit de Sakhir lors du Grand Prix de Bahreïn, le 29 février 2024. (DPPI / DPPI MEDIA)

"Nous avons maximisé le potentiel qu’on avait entre les mains… et même plus." C'est le constat amer dressé par Esteban Ocon après sa 13e place au Grand Prix d'Arabie saoudite, le 9 mars dernier. Amer, car les voitures Alpine semblent dans l'incapacité de s'approcher du top 10 - synonyme de points - en ce début de saison, alors que l'écurie française avait fini à la 6e place du classement des constructeurs l'an passé. Les perspectives de progrès sont floues, au moment d'aborder le troisième rendez-vous de la saison à Melbourne, dimanche 24 mars pour le Grand Prix d'Australie.

Les premières sorties officielles ont confirmé les inquiétudes : la voiture rose et bleue est la moins rapide du plateau. En conséquence, plusieurs changements ont été réalisés dans la direction sportive, avec deux démissions et trois nominations annoncées début mars. Une seconde lame qui fait suite à un premier remaniement en août dernier, et qui illustre surtout la difficulté à trouver de la continuité dans le projet sportif depuis plusieurs années. D'autant que les deux pilotes en place, Esteban Ocon et Pierre Gasly, sont en fin de contrat au terme de la saison, et l'écurie française ne sait pas encore qui sera assis dans le baquet en 2025.

Reculer pour mieux sauter ?

Après un exercice 2023 en retrait, avec une voiture dont les performances plafonnaient et deux places perdues au classement des constructeurs, Alpine a décidé de repartir d'une feuille blanche pour sa livrée 2024, dans l'espoir de combler son retard sur les meilleures écuries. "Nous n'avons gardé que le volant", résumait Pierre Gasly au micro de Canal + après les essais hivernaux sur le circuit de Sakhir (Bahreïn). Cyril Abiteboul, ancien directeur de l'écurie Renault-Alpine (2016-2021) et consultant pour France Télévisions, acquiesce : "Si on n'est plus capable de faire évoluer la voiture, il est tout à fait légitime de vouloir changer de direction, notamment en observant les autres équipes." 

Incapables de tenir le rythme des écuries qu'elles devançaient l'année dernière, les Alpine traînent leur misère depuis le début de saison. "De temps en temps, il faut faire des pas en arrière pour être capable de refaire de plus grands pas en avant, illustre Cyril Abiteboul. Mais attention, ce n'est pas une garantie." L'A524, qui devait représenter un virage à cent quatre-vingt degrés par rapport à la voiture de l'an dernier, est finalement mal née, et Alpine marche à reculons.

La livrée 2024 partait avec un handicap notable : un moteur estampillé Renault moins puissant que celui de tous ses concurrents. "Si on enlève l'aileron arrière, on va aller très vite dans les lignes droites, donc tout est possible", ironisait Pierre Gasly au micro de la RTBF à Bahreïn. C'était une faiblesse connue, et dont il faudra encore s'accommoder la saison prochaine, puisque le développement des moteurs est gelé jusqu'à la nouvelle réglementation de 2026.

Problème, le nouveau concept aérodynamique ne permet pas de compenser ce déficit de vitesse, et n'offre pas non plus l'adhérence espérée. Ajoutez à cela quelques kilos en trop sur la balance, et vous obtenez la voiture la moins performante du plateau, avec une marge de progression limitée : "La règle générale, c'est que la voiture prend de la masse pendant l'année, explique Cyril Abiteboul. Quand on apporte des évolutions aérodynamiques, généralement, elles rajoutent du poids même si elles améliorent la compétitivité. Il est difficile de travailler sur les deux fronts."

Le grand remaniement

Conséquence de ce début de saison catastrophique, ou réorganisation planifiée, Alpine a décidé de trancher dans le vif. D'un communiqué, dégainé le 4 mars dernier, l'équipe a annoncé deux démissions, dont celle du directeur technique Matt Harman, et trois nominations. La voiture a été mal conçue, il faut changer de têtes pensantes. C'est en substance ce que Bruno Famin a expliqué quelques jours après ce remaniement, en Arabie saoudite : "Se retrouver sur la dernière ligne lors des qualifications a été un choc [les Alpine sont parties 19e et 20e à Bahreïn], pour être honnête, et cela a confirmé la nécessité de changement dans notre équipe".

Depuis deux saisons, tout a changé dans l'organigramme, et même plusieurs fois à certains postes. Laurent Rossi a laissé son siège de PDG d'Alpine à Philippe Krief à l'été 2023. Au même moment, Bruno Famin est devenu directeur d'équipe à la place d'Otmar Szafnauer, qui avait lui même succédé à la doublette Marcin Budkowski-Davide Brivio début 2022. Les directeurs techniques de Viry-Châtillon (usine moteur) et Enstone (usine châssis) ont déjà changé d'identité deux fois depuis 2021.

Dans le sport automobile, le changement est fréquent, certes, mais rarement aussi frénétique. Surtout, les équipes à succès suivent une autre recette : Christian Horner est directeur de l'équipe Red Bull depuis son entrée en F1 en 2005, et Mercedes fait confiance à Toto Wolff depuis 2013.

La main invisible de Renault

En Formule 1, le succès vient à point à qui sait attendre. "Être un constructeur, c'est aussi une pression supplémentaire, on le sent pour Alpine depuis de nombreuses années et je l'ai connu, confie Cyril Abiteboul. C'est un projet qui doit se construire dans la durée." Chez Renault, les réorganisations successives ont parfois privé de temps ceux qui en demandaient. Otmar Szafnauer, ancien directeur de l'écurie tricolore pendant une saison, confiait ainsi à ESPN après son départ d'Alpine l'été dernier : "J'avais un calendrier en tête pour changer l'équipe, la rendre meilleure. Je pensais que ce calendrier était réaliste, car je sais le temps que cela prend. Je l'ai déjà fait auparavant. Je pense que certains membres de la direction de Renault avaient un calendrier plus court à l'esprit."

"La gestion du temps, des inerties et de la pression du temps court à tous les échelons, c'est ce qu'il y a de plus difficile à gérer dans le sport automobile."

Cyril Abiteboul, ancien directeur de Renault F1 et consultant pour France Télévisions

à franceinfo: sport

Le nouveau patron de l'écurie, Bruno Famin, doit incarner une vision enfin pérenne, en dépit des mauvais résultats cette année. Lui-même semblait peu goûter l'interventionnisme de Renault, dans son entretien à L'Equipe le 4 mars dernier : "J'ai beaucoup de respect pour Luca de Meo [PDG de Renault], mais je crois qu'ici à Viry, comme à Enstone, personne n'a besoin d'une pression supplémentaire. On sait très bien qu'on ne peut pas rester là où nous sommes."

La promotion d'ingénieurs issus de l'écurie, qui se voient confier la direction technique d'Enstone, semble s'inscrire dans une nouvelle stratégie de développement interne pour rapidement revenir dans la course. "Quand on fait venir quelqu'un de l'extérieur, on en prend pour quelques années avant qu'il puisse avoir un impact, explique Cyril Abiteboul. Dans le cas d'Alpine, ce sont plutôt des gens qui viennent de l'intérieur, et c'est raisonnable. Ils connaissent l'équipe, ses forces et ses faiblesses. Le calendrier va plutôt se décliner en mois qu'en années." De quoi redresser la barre en vue de la nouvelle réglementation, qui rebattra les cartes en 2026 ?

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