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Mondiaux d'athlétisme : "Ce ne sont pas des talibans", réagit l'entraîneur français Damien Inocencio après l'imbroglio sur les visas pour les athlètes chinoises

L'entraineur de saut à la perche a dû faire des pieds et des mains pour que ses athlètes obtiennent un visa et puissent participer aux Mondiaux d'Eugene.

Article rédigé par Louise Le Borgne, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Xu Huiqin, perchiste chinoise, lors des Jeux de Tokyo (Japon), le 5 août 2021. (LUI SIU WAI / XINHUA / AFP)

Quand Damien Inocencio décroche au téléphone, vendredi 15 juillet, le coach français s'apprête à veiller tard dans la nuit pour suivre à distance ses athlètes, aux championnats du monde d'athlétisme à Eugene (Oregon). Entraîneur des perchistes Chinoises Xu Huiqin et Niu Chunge, l'ancien coach de Renaud Lavillenie n'a pas pu les accompagner aux Etats-Unis. Un imbroglio concernant les visas a bien failli empêcher les deux athlètes de se rendre sur place. Comme pour de nombreux sportifs qualifiés au Mondiaux, l'administration américaine a tardé à leur accéder à leur demande. Les deux perchistes sont arrivées in extremis, deux jours avant le début des qualifications du concours de saut à la perche, vendredi. Avec des fortunes diverses. Niu Chunge a été éliminée, vendredi, mais Xu Huiqin est parvenue à se qualifier pour la finale.

Franceinfo: sport : comment s'est déroulée la demande de visas pour les Mondiaux d'athlétisme aux Etats-Unis ?

Damien Inocencio : J'ai fait la demande pour mes deux athlètes le 8 juin sur un formulaire en ligne qui propose automatiquement une date de rendez-vous pour valider les passeports à l'ambassade. Le logiciel proposait un rendez-vous le 8 novembre 2023... Mais c'est habituel jusque-là. C'est classique, il y a un formulaire qui permet de faire une demande en urgence. Donc j'explique qu'elles ont les championnats du monde à Eugene, qu'elles ont besoin d'une dizaine de jours pour s'acclimater, et qu'il nous faudrait en gros un rendez-vous autour du 25 juin.

Mais là, pas de réponse. Voyant que ça bloquait, on a demandé à l'organisation des championnats du monde de pousser de son côté. Mais il ne s'est rien passé et, toujours sans visa au bout d'une semaine, on s'est dit que ça allait commencer à devenir un gros problème.

Comment avez-vous pu obtenir les visas à la dernière minute ?

On n'était pas au bout de nos galères. On a demandé à l'ambassade de Chine à Paris de communiquer avec l'ambassade des Etats-Unis. On a fini par avoir un rendez-vous, le vendredi 8 juillet. Elles sont donc parties à Paris à fond pour déposer les passeports. Après, normalement, il faut encore une semaine pour les récupérer. On s'est heureusement arrangés pour les récupérer le lundi matin. Donc on a tout de suite booké un vol pour mardi en début d'après-midi, ce qui est compliqué pour nous car il faut être sûr que l'avion puisse prendre les perches en soute. On a dormi à Paris à côté de l'endroit où on devait récupérer les passeports, mais, pas de bol, les visas étaient en fait dans un bureau spécial à l'ambassade qui ouvrait seulement à 14 heures. 

On a donc passé notre mardi à trouver de nouveaux billets d'avion pour que les filles puissent partir le mercredi. Pour ma part, j'ai un problème de santé et je devais voler en business pour éviter de rester assis pendant douze heures. Mais l'avion n'avait plus de place donc je suis resté sur le carreau. Les filles sont arrivées de leur côté à Eugene dans la nuit de mercredi à jeudi. Et il y a huit heures de décalage horaire ! Donc voyager pendant 24h et avoir 40h pour digérer le décalage horaire avant la compétition, c'est dur. 

On peut imaginer que la semaine de préparation a aussi été tronquée par le stress créé par ce problème...

La semaine de préparation les a beaucoup affectées. Lors de leur dernière compétition à Nancy, les filles se disaient que, de toute façon, la saison était déjà foutue. Il y a des attentes qui pèsent sur elles de la part de leurs provinces, de leurs sponsors, de leur fédération. Les athlètes ont besoin de financements à deux ans des Jeux de Paris et notamment dans un sport comme l'athlétisme qui est pauvre. Les athlètes payent souvent de leur poche pour leurs déplacements lors des championnats et pour celui de leur entraîneur.

"Une grande organisation comme celle d'un championnat du monde ne doit pas rater de telles choses."

Damien Inocencio, entraîneur français de saut à la perche

à franceinfo: sport

Cette situation arrive-t-elle régulièrement ?

Je travaille en Chine, je sais qu'en termes d'ouverture, c'est parfois compliqué, mais je n'ai jamais entendu un seul athlète qui a eu des problèmes de visa lors des Mondiaux en 2015. Et là on arrive aux Etats-Unis et ça ne fonctionne pas. C'est problématique qu'une organisation aussi importante qu'un championnat du monde, où plus de 5 000 athlètes viennent, n'ait pas assuré un accès direct auprès des affaires étrangères. Sur un événement comme ça, de haut niveau, ce ne sont pas des talibans qui viennent, ce sont des athlètes de 22 ans qui sont bloquées. On a dû faire des pieds et des mains avec la fédération chinoise d'athlétisme.


Comment vous êtes-vous organisé pour les coacher ?

Les sauts sont envoyés en visio et je transmets mes indications sur place à des gens qui parlent pour moi. Ça craint un peu sur une grosse compétition comme ça, mais ce sont des athlètes professionnels, elles sont habituées à voyager. Et pendant le Covid-19, on a été habitués à travailler en visio, notamment dans la préparation des Jeux de Tokyo. Au final, Huiqin Xu fait quand même 8e aux Jeux. C'est une athlète qui a de la bouteille, je ne suis pas inquiet. Mais ce sont des années de travail pour qualifier des athlètes et les amener à ce niveau-là, c'est décevant de suivre ça depuis son canapé. Mais l'important, c'est que les athlètes fassent partie de la fête. L'objectif, c'est Paris 2024, et elles vont engranger de l'expérience, même si ce n'est pas dans les meilleures conditions. C'est déjà ça.

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