Athlétisme : Meba-Mickaël Zeze, derrière ses chronos canons, des conditions idéales
Dans un contexte très favorable, le sprinteur tricolore a battu deux barres mythiques de l'athlétisme français en signant deux chronos en-dessous des 10 secondes au 100m et des 20 secondes au 200m.
Trois chiffres s'affichent sur le chronomètre : 9"99. Un court silence parcourt le stade puis c'est l'explosion de joie. Avec moins de 10 seconde au 100m (+1,6), le Français Meba-Mickael Zeze a affolé les compteurs, dimanche 3 juillet, lors du meeting de La Chaux-de-Fonds (Suisse). Une performance majuscule qui l'a propulsé dans le top 4 des meilleurs Français sur la distance. Une demi-heure plus tard, le sprinteur de 28 ans remettait le couvert. Cette fois, sur le 200m (19’’97, +1,2), devenant le 15e homme à tomber sous les deux barrières mythiques du sprint le même jour.
Entre les alpages helvétiques, la ligne droite de La Chaux-de-Fonds est devenue la Mecque des sprinteurs en recherche de chronos supersoniques. Décryptage.
Un "paradis du sprint"
Comme pour le surf, le sprint a ses spots. Des meetings et compétitions qui se sont forgés des images de faiseurs d'or en matière de chronos. Il y a Clermont aux Etats-Unis, Sundsvall en Suède mais aussi La Chaux-de-Fonds, en Suisse. Perché à 980m d'altitude (la limite d'homologation des records est fixée à 1 000 m pour de nombreuses fédérations), le stade réunit des caractéristiques pour aller vite.
"C'est une combinaison de plusieurs facteurs : il y a l'altitude, il y a le vent qui flirte avec la limite - parfois au dessus parfois en dessous -, il y a la piste qui est faite d'un revêtement très conductif et puis il y a des facteurs comme la densité de l'air, la pression, etc. Sans oublier le fait qu'on puisse s'échauffer tranquillement. Enfin, il y a l'aspect mythique. Maintenant quand on vient à La Chaux-de-Fonds on sait qu'on aura des bonnes conditions et ça ajoute de l'euphorie à l'athlète. C'est un petit paradis du sprint" énumère Pierre-Jean Vazel, fin technicien qui entraîna des pointures du sprint en France et en Chine avant de devenir l'entraineur du lanceur de marteau Quentin Bigot.
<10/20sec même jour
— PJ Vazel (@pjvazel) July 4, 2022
Calvin Smith ‘83
Ato Boldon ‘96
Mo Greene ‘97
Shawn Crawford 2002
Walter Dix 2010
Justin Gatlin 2014
Femi Ogunode 2015
Akani Simbine 2017
Christian Coleman 2017
Isiah Young 2018
Divine Oduduru 2019
Cravon Gillespie 2019
Fred Kerley 2021
Reynier Mena 2022
et: https://t.co/mAZRnEqqIg
Pour en prendre la mesure, il faut regarder du coté de la table de résultats. Ce week-end, cinq records sont tombés sur la finale du 100m et cinq sur le 200m. Parmi eux, Méba-Mickael Zeze, pilier du relais tricolore. Après être passé sous la barre des 10 secondes au 100m, ce dernier a rejoint sur 200m Christophe Lemaître, le seul Français jusqu’ici sous les 20 secondes (19’’80). "La performance en elle-même, c'est très fort. C'est une surprise de faire tomber les deux barrières du sprint et d'avoir trois sprinteurs sous les 10 secondes au 100m. C'est génial pour les athlètes", ajoute Pierre-Jean Vazel qui a également accompagné le sprinteur nigérian, Olusoji Fasuba, champion du monde sur 60m en salle en 2008. Enfin, autre vecteur de performance, il faut regarder du côté des chaussures où les évolutions des pointes permettent d'abaisser les chronos.
Un exploit sans changement de statut : la performance plus que le chrono
Si la barre est mythique, l'exploit n'entraîne plus, aujourd'hui, de changement majeur de statut pour le coureur : "Ronald [Pognon] était le premier Français à passer sous les 10 secondes, c'était quelque chose de retentissant, explique Pierre-Jean Vazel qui a été son entraîneur à partir de 2006, un an après sa première sous les 10 secondes lors du meeting de Lausanne. Quand Christophe Lemaitre l'a fait, c'était le premier blanc alors ça avait été beaucoup relayé. Mais quand Jimmy Vicaut l'a fait, en troisième, on n'en a pas trop parlé. Aujourd'hui, ça fait surtout plaisir à l'athlète. Mais ça ne le fait pas changer de dimension comme à l'époque de Ronald. Maintenant, ce qui compte ce sont les résultats en grands championnats. Même si l'athlétisme demeure un sport de chronomètres, de distance, au bout du compte c'est la performance que l'on retient."
"Si la barrière des 10 secondes est plus symbolique, celle des 20 secondes au 200m est beaucoup plus difficile. Peu d'hommes l'ont fait."
Pierre-Jean Vazel, ancien coach de Ronald Pognonfranceinfo: sport
A La Chaux-de-Fonds, ce n'est pas tant l'élite mondial qui vient fouler la piste que des sprinteurs de niveau continental en quête de minima ou de bons chronos. "C'est un petit meeting. D'habitude, les athlètes sont payés pour participer à ce genre de compétition. Là, il faut payer 10 francs suisse de sa poche pour participer. Les Jamaïcains, les médaillés mondiaux, Bolt, Blake, Gatlin ne sont jamais venus ici. Shelly-Ann Fraser-Pryce [9 médailles olympiques] pourrait battre le record du monde si elle venait courir." La Chaux-de-Fonds est un petit îlot de performance.
Le relais à Eugene avant les Europe à Munich
Le licencié à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) ne sort néanmoins pas de nulle part et ses deux records consacrent une progression amorcée cette saison. Le sprinteur de 28 ans a été sacré champion de France il y a deux semaines, à Caen, sur 200 m (20"41), juste devant son petit frère Ryan (20"46) également en finale à La Chaux-de-Fonds. Sur 100m, le pilier de l'équipe de France de relais s'était également illustré en remportant la médaille d’argent (10"20) derrière Mouhamadou Fall, le seul rescapé du sprint français à avoir été qualifié pour les Mondiaux d'Eugene (15-24 juillet).
En vertu du réglement, la fenêtre de réalisation des minima ayant été refermée le 26 juin avant que Meba-Mickaël Zeze ne réalise ses performances, l'athlète ne s'est pas qualifié pour les Mondiaux. Il prendra néanmoins part au relais 4x100m à Eugene, au sein d'une équipe dense, avec trois coureurs sous les 10"10 cette saison. Le relais français pourrait tirer son épingle du jeu après avoir réalisé un bon chrono en Diamond League.
En rentrant dans l’histoire, nul doute que Meba-Mickaël Zeze sera un peu plus sous les projecteurs à l'occasion des prochains championnats. Attendu ce soir au meeting de Sotteville, le Français a finalement décommandé pour se reposer après ses chronos historiques. "Par définition l'exploit est rare, il ne demande pas à être réitéré, tranche Pierre-Jean Vezel. C'est vrai qu'on attend encore mieux de lui dans le futur, mais ca n'invalidera pas ce qu'il a déjà réussi. Maintenant, il a des objectifs aussi en championnats et ce n'est pas la même chose. A Munich, on verra alors où il se situe au niveau européen."
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