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À Taïwan, la reprise du sport met en évidence la bonne gestion de l'épidémie de coronavirus

Le week-end dernier, les championnats de football et de baseball de Taïwan ont lancé leur saison, alors que l’ensemble de la planète a suspendu le sport en raison de la pandémie de Covid-19. Très peu touché par celle-ci grâce à une gestion anticipée de la crise, Taïwan profite d’une visibilité accrue grâce à ces deux sports généralement peu médiatisés. Ce qui lui permet de mettre en avant le fait que le pays continue de vivre presque normalement, au contraire de son encombrant voisin chinois.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
 

Dimanche dernier, la première journée de la Taïwan Premier League a tenu toutes ses promesses : le triple tenant du titre – sur les trois éditions de ce championnat jouées jusque-là -, le Tatung FC, s’est incliné face à son dauphin des trois dernières années, le Taipower FC, dans les toutes dernières secondes de la rencontre (2-3). Un match à huis clos suivi en direct sur YouTube par plus de 10 000 personnes, dont une grande majorité de Taïwanais mais également des étrangers en manque de football professionnel.

Dans le monde, seuls cinq championnats de football se poursuivent : la Vysshaya Liga de Biélorussie, la Vysshaya Liga du Tadjikistan, la Liga Primera du Nicaragua, la Primus League du Burundi et enfin la Taïwan Premier League. Si dans les quatre premiers cas, ces compétitions se déroulent malgré les craintes d’une pandémie dans ces pays, la situation est différente à Taïwan. Dans cet État de près de 24 millions d’habitants, revendiqué par le voisin chinois, la reprise du sport professionnel est le signe que la crise a été bien gérée. Voire même extrêmement bien gérée : alors que Taïwan se situe à seulement 180 kilomètres des côtes chinoises, le pays n’a recensé depuis le début de l’épidémie que 395 cas, pour six décès et ce, sans confinement imposé.

Malgré ces chiffres, le gouvernement continue de se montrer prudent. Par conséquent, les six prochaines journées du championnat de football se joueront à huis clos. Mais en autorisant la reprise des compétitions, dont le début avait été reporté d’un mois, Tsai Ing-wen, la présidente du pays, envoie un message à sa population. "Ça donne du plaisir aux gens. Cela permet aux Taïwanais de reprendre une activité qui leur est chère et qui rappelle que le pays est assez sûr sur le plan sanitaire pour se le permettre", analyse Stéphane Corcuff, enseignant-chercheur à Sciences Po Lyon et sinologue.

Un pied de nez au régime chinois ?

En officialisant le début de ses compétitions sportives, Taïwan profite aussi et surtout d’une visibilité, dans un paysage sportif bien pauvre en ces temps de confinement, qui démontre à l’international que sa gestion de la crise était probablement l’une des meilleures. Tout cela sur fond de tensions avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), accusée à plusieurs reprises de s’être montrée trop complaisante avec la Chine. Taïwan, très informé dès le début de l’épidémie, avait adressé un courrier à l’OMS dès le 31 décembre pour la prévenir d’un risque de contagion interhumaine. Une lettre sans réponse de la part de l’organisation en charge de la santé.

"Taïwan a très rapidement réagi, a pris des mesures et maîtrisait la situation dès la mi-janvier", souligne Stéphane Corcuff. Depuis ce 31 décembre, à partir duquel tous les vols en provenance de Wuhan et à destination de Taïwan étaient contrôlés, le nombre de cas de coronavirus dans le pays a stagné, alors même qu’aucune mesure de confinement n’a été prise. "Même si toutes les personnes testées positives étaient systématiquement confinées et que celles qui avaient été en contact avec un porteur décidaient d’elles-même de rester chez elles", précise le spécialiste de Taïwan. Alors, quand le sport reprend du côté de Taïwan alors que son voisin est loin de pouvoir faire de même – la Chinese Super League de football devait aussi débuter mi-avril -, cela peut apparaître comme un pied de nez à l’égard du régime chinois.

Pourtant, aucune campagne de communication n’a réellement été mise en place autour de la Taïwan Premier League. Loin de là à en croire Olivier Vidal, co-rédacteur du site Taiwan Football News : "Ils n’ont pas du tout l’air de prendre conscience de l’intérêt qui leur est porté", analyse le passionné de sport taïwanais, dont le site a vu ses audiences exploser ces derniers jours. "Je ne pense pas que l’idée était d’utiliser les rencontres sportives pour faire de la promotion internationale de Taïwan", juge Stéphane Corcuff. "Mais finalement ça a un intérêt sur la scène internationale et ça tombe bien pour eux."

Le baseball, sport plus racoleur

Si le football n’est pas très porteur, en raison d’un "très faible niveau" selon Olivier Vidal, il permet indirectement à Taïwan de prouver l’efficacité de son modèle de gestion de la crise. Mais que dire du baseball ? Le sport national de l’île, "suivi par plus de 50% de la population" selon Stéphane Corcuff, a repris ses droits en même temps que le ballon rond, également à huis clos. La Ligue professionnelle chinoise de baseball (CPBL) a débuté le week-end dernier et s'est faite remarquer en plaçant des mannequins dans les tribunes en guise de supporter. Le baseball, sport "du Japon, allié de Taïwan, et originaire des États-Unis, autre allié de Taïwan", souligne Stéphane Corcuff.

Probablement consciente de cela, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a publié le week-end dernier sur son compte Twitter une mise en scène d’elle regardant le match d’ouverture de la CPBL. Un petit appel du pied qui a fait son effet puisque les prochaines rencontres de la Ligue seront diffusées et commentées en anglais sur la chaîne américaine Eleven Sports Network. Des matches que suivra peut-être Donald Trump, le président des Etats-Unis qui s’est dit "fatigué de regarder des rediffusions de matches de baseball vieux de 14 ans".

Un engouement amené à se tarir

Avec cette mise en avant non négligeable par le biais du sport, Taïwan met indirectement en avant sa gestion de la crise et l’inactivité de l’OMS, organisation au sein de laquelle elle ne peut plus siéger depuis 2016 en raison du refus de la Chine. Une critique également émise par le président américain, qui a décidé mercredi de suspendre la contribution des États-Unis à l’OMS, qu’il juge trop complaisante à l’égard du régime de Xi Jinping.

En plus d’une diplomatie du masque – le gouvernement taïwanais a annoncé la distribution de 10 millions de masques à travers le monde -, Taïwan peut donc compter sur le début de ses compétitions, dans un contexte où le sport professionnel est une denrée rare, pour montrer que le pays est l’un des seuls sur la planète à pouvoir vivre à peu près normalement. Loin du niveau footballistique de la Biélorussie ou des Ligues de baseball américaines ou japonaises, difficile de dire si l’engouement va prendre autour du sport taïwanais.  "Je ne sais pas si ça va durer plus d’un week-end", sourit Olivier Vidal. Mais ce qui est certain, c’est que Taïwan aura profité de cette visibilité temporaire.

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