A 100 jours des JO, l'eau de la baie de Rio toujours noire et sale
Daniel pose le pied sur le quai de la marina qui, dans trois mois, accueillera plusieurs centaines de navigateurs. Ce trentenaire à la peau burinée, revient d'un entraînement dans la baie. Le ciel est dégagé, le soleil radieux. A gauche, le Christ rédempteur, à droite le Pain de Sucre. Un paysage de carte postale jusqu'à ce que l'on baisse les yeux. "La mer est noire ici, je suis dégoûté de naviguer dans une eau aussi sale…"
Daniel connait Guanabara depuis qu'il est petit. Au fil des ans, le navigateur voit la qualité de l'eau se détériorer et décrit aujourd'hui une poubelle à ciel ouvert. "Des téléviseurs, le cadavre d'un cheval, d'un bœuf, d'un chien, des rats, des sacs plastiques. J'ai vu beaucoup de choses dans la baie …" Gabriella enchaîne et utilise l'humour pour cacher son amertume: "Une tortue morte, un canapé, un fauteuil. Si tu veux, tu peux meubler ta maison avec tout ce qu'il y a là…"
Cette jeune navigatrice de 19 ans, casquette et T-shirt blancs, constate elle aussi l'état déplorable de sa baie. "C'est vrai que c'est très décevant. Cette eau noire et pleine de détritus, ça me rend triste. Ce beau paysage tout autour de nous n'arrive pas à compenser cette eau polluée..."
Henrique Haddad, lui, va concourir pour les Jeux Olympiques l'été prochain sur un 4.70, un dériveur. Quand il y a 7 ans, l'athlète apprend que sa ville est sélectionnée pour les Jeux. Le jeune Brésilien au regard franc croit que les choses vont changer : "Je me suis dit 'on va nettoyer la baie. Je vais enfin pouvoir m'y baigner, moi qui habite juste à côté depuis 20 ans...' Ça ne donne pas une bonne image de la ville. En tant que Carioca je suis vraiment mécontent !" Henrique craint aussi que certains de ces détritus gênent la compétition : "Les sacs plastiques peuvent ralentir un bateau. c'est vraiment un problème majeur !"
Le reste des déchets devrait disparaitre le temps des Jeux. Depuis quelques semaines, des bateaux nettoyeurs sillonnent la baie. A défaut d'une politique d'envergure, Rio rafistole. Une barrière devrait être érigée pour contenir les plus gros détritus comme c'était le cas pendant les jeux panaméricains. Mais comment la baie peut-elle être aussi polluée ? La réponse, on la trouve auprès de Mario Moscatelli, l'un des seuls militants écologistes de la ville : "La particularité de Rio de Janeiro c'est qu'il y a très peu de traitement des eaux usées, l'assainissement n'est pas une priorité de nos autorités. Les égouts se déversent directement dans les rivières qui elles-mêmes se jettent dans la baie. Cela concerne les favelas mais aussi les lieux urbanisés. C'est quand même absurde qu'une métropole du 21e siècle, la deuxème plus importante du pays, en soit à gérer les problèmes d'égout comme au 18ème siècle ! "
Le biologiste survole la baie tous les mois depuis 20 ans, il a vu la situation se dégrader. Selon lui, à Rio, 70% de l'eau est polluée.
"Il y a d'un côté de la baie les égouts qui déversent tout ce que l'on peut imaginer, sans traitement. De l'autre, le parc industriel. Là on retrouve principalement de l'huile, des métaux lourds sans oublier les déchets hospitaliers".
Selon le scientifique, la baie grouille de micro-organismes, de virus, de bactéries, rejetées par 7 millions d'habitants. Dans une moindre mesure, les plages sont elles aussi impactées : Copacabana, Ipanema. Mario conseille à tous les athlètes qui sont en contact même indirect avec l'eau de se faire vacciner contre l'hépatite A. c'est ce que propose automatiquement Stéphane Lecat, le directeur des équipes françaises olympiques de natation. Il ne s'inquiète pas pour la santé de ses nageurs mais se dit déçu d'autant que la compétition de nage en eau libre, qui se tient à Copacabana, peut être reportée ou annulée par les autorités s'il pleut juste avant les épreuves, la pluie drainant l'eau sale des égouts.
"Un paradis sur terre devenu un enfer"
Henrique se demande aujourd'hui si le gouvernement a réellement eu l'intention de nettoyer la baie. Ça coûte très cher et ça ne rapporte pas beaucoup électoralement. Les Cariocas, ont bien d'autres préoccupations : "Je pense que les Brésiliens ne se rendent pas compte de ce que l'on perd, probablement la plus belle opportunité de nettoyer enfin la baie." Mario est lui aussi très pessimiste : "Il y a 300 ans, la Guanabara était considérée par les naturalistes européens comme un paradis sur terre aujourd'hui c'est devenu un enfer" lâche** dépité le militant écologiste.
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