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JO 2021 : Japon-URSS, finale de volley 1964, quand les "sorcières de l'Orient" sont devenues "des gloires nationales"

Des ouvrières d'une usine textile japonaise coachées par un vétéran de la Seconde guerre mondiale, devenues reines du volley : c'est cette histoire que raconte le réalisateur  Julien Faraut dans son nouveau documentaire "Les Sorcières de l'Orient".

Article rédigé par franceinfo: sport - Antoine Chuzeville
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 4 min
Les "Sorcières de l'Orient", à l'entraînement, dans les années 60. (UFO Distribution)

Vous trépignez d'impatience en attendant la finale du tournoi de volley, samedi après-midi, entre la France et le Comité olympique russe ? C'est peut-être le moment de vous replonger dans la légende de ce sport. Le film "Les Sorcières de l'Orient" (actuellement en salles) met en lumière un grand moment de l'histoire du volley : la finale des JO de 1964, entre le Japon et l'URSS.   

Les "Sorcières" ? Un groupe d'une dizaine de jeunes japonaises, collègues de travail dans une usine de textile… mais aussi coéquipières au sein de l'équipe de volley de l'usine. En quelques années, elles vont gravir tous les échelons, des matchs inter-entreprises jusqu'aux Jeux olympiques. Rapidement surnommées "Les Sorcières de l'Orient", elles seront même quasiment invincibles dans les années 1960. 

Si l'histoire ahurissante de ces championnes est encore célèbre au Japon (où elle a inspiré de nombreux mangas, dont "Jeanne et Serge"), elle est tombée dans l'oubli partout ailleurs. Le réalisateur Julien Faraut (déjà auteur de "L'Empire de la Perfection", documentaire fascinant sur Roland-Garros 1984) nous explique pourquoi il a choisi de raconter cette aventure des "Sorcières".     

franceinfo: sport : Comment un cinéaste français, par ailleurs responsable de l'iconothèque de l'INSEP (Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance) se retrouve à réaliser un film sur une équipe de volley japonaise des années 60 ? 

Julien Faraut : L'INSEP est surtout connu pour accueillir l'entraînement des athlètes de haut niveau, mais parmi nos autres activités historiques, il y a la production de films d'instruction sportive. Nous les conservons ensuite dans notre iconothèque. Cette collection de films de sport est unique, et certaines fédérations y versent leurs propres archives. Ralph Hippolyte, grand entraîneur de volley-ball, nous a ainsi confié deux films rares tournés au Japon dans les années 60. En regardant les images, j'ai été sidéré : ce groupe de jeunes ouvrières s'entraîne au volley avec une intensité phénoménale. Je n'avais jamais vu ça. J'ai alors commencé à me renseigner sur cette équipe, j'ai découvert sa légende, et j'ai eu envie de lui consacrer un film entier.
   

Ces joueuses étaient la "dream team" du volley : selon la fédération japonaise, elles comptent 258 victoires consécutives dans les années 60 ! D'où vient cette équipe hors-norme ?
 
Son histoire est liée à une particularité du sport au Japon, où beaucoup de grandes entreprises industrielles investissent dans leurs équipes sportives. C'est une question de culture, et de prestige aussi, un peu comme les universités aux États-Unis. À la fin des années 1950, une usine de textile, Nichibo, décide de mettre le paquet sur son équipe de volley. Elle recrute les meilleures joueuses du pays en leur proposant des contrats d'ouvrières dans l'usine et confie les rênes de l'équipe à un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Hirofumi Daimatsu. Ce dernier va mettre en place un entraînement hyper-intensif et exigeant, qu'on découvre dans le film, et construire une exceptionnelle cohésion de groupe. Rapidement invincibles dans le championnat japonais, les joueuses de Nichibo deviennent les titulaires de la sélection nationale… une sélection qu'entraîne aussi Daimatsu ! En fait, Nichibo se confond avec l'équipe du Japon. Entre 1960 et 1966, ce groupe va enchaîner 258 victoires consécutives, toutes compétitions confondues : championnat japonais, rencontres internationales, championnat du monde, jusqu'aux Jeux olympiques.
   

Justement, la dernière partie de votre film est consacrée aux JO de 1964, à Tokyo. Pour l'équipe des "Sorcières", l'enjeu va largement au-delà de la médaille d'or ? 

L'attente des Japonais lors des JO de 1964 est immense, presque inimaginable aujourd'hui, parce que le contexte historique est extraordinaire. Le Japon a été partiellement détruit par les bombardements en 1945, et la réussite des Jeux olympiques doit parachever vingt années de reconstruction. Mais l'idole du Japon, le judoka Kaminaga, est battu en finale par le néerlandais Geesink. Une terrible déception pour le pays. C'est seulement quelques heures plus tard que les Japonaises défient l'URSS en finale du tournoi olympique de volley. Le match devient un événement national : à l'époque, il y a cinq chaînes de télévision au Japon, et elles choisissent toutes de diffuser la finale ! Pour donner une idée de la pression que les Japonaises ont sur les épaules, elles avaient pensé à s'exiler en Europe en cas de défaite… Mais la victoire de ces ouvrières d'une usine textile, qui ont approché l'excellence pendant tant d'années, va en faire des gloires nationales. Avec mon film, j'avais aussi envie de rappeler qu'aux Jeux olympiques s'exprime l'excellence humaine. Elle existe dans le sport, comme elle peut exister dans le jeu d'un pianiste de génie, ou dans celui d'un grand comédien de théâtre.

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