"Après les JO, certains ressassent des pensées négatives pouvant entraîner des détresses psychologiques", explique un chercheur

A cinq mois des Jeux olympiques à Paris, franceinfo: sport a interrogé Alexis Ruffault, chercheur en psychologie du sport, sur les troubles de la santé mentale pouvant affecter les champions et championnes amenés à briller cet été.
France Télévisions - Rédaction Sport
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Illustration d'un escrimeur célébrant sa victoire juste à côté de son concurrent. (MILENA BONIEK / ALTOPRESS)

Ils seront plus de 500 athlètes à faire partie de la délégation française cet été lors des JO de Paris (du 26 juillet au 11 août). Certains ont déjà leur billet en poche, d'autres bataillent encore pour l'obtenir, mais une chose est sûre : tous travaillent d'arrache-pied pour ne pas passer à côté d'une chance unique, celle de vivre une aventure olympique à la maison.

Focalisés sur leurs objectifs, les champions mettent parfois leur santé mentale en jeu, quitte à exploser une fois l'événement terminé. Pour mieux comprendre la problématique, franceinfo: sport a interrogé Alexis Ruffault, chercheur en psychologie du sport à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), qui travaille avec plusieurs fédérations.

franceinfo: sport : Y'a-t-il plus de risques de connaître des épisodes dépressifs lorsqu'on évolue dans la sphère du sport de haut niveau ?

Alexis Ruffault : Cela n'est pas si évident en termes de définition de ce qu'est la dépression. Les deux symptômes majeurs sont l'anhédonie [perte d'intérêt pour les activités] et la tristesse, mais on peut également cocher plusieurs symptômes additionnels : perte d'appétit, troubles du sommeil, isolement, fatigue accrue, perte de confiance en soi, troubles cognitifs, idées noires... Pour dire qu'il y a dépression, il en faut au moins trois.

Un sportif qui ne coche pas cela, on va dire qu'il n'a pas de dépression, donc on ne le prendra pas en charge. C'est ce que l'on appelle les détresses sous-cliniques : il y a des choses que l'on observe, mais ces sportifs ne sont pas diagnostiqués. Maintenant qu’on sait ça, dans le sport de haut niveau, la plupart des troubles de la santé mentale sont aussi fréquents que dans la population générale. A l’exception des troubles alimentaires, plus fréquents chez les sportifs.

"Obsession du résultat, burn-out, dépression... les athlètes aussi peuvent vaciller" Meriem Salmi, la psy des champions les accompagne pour Paris 2024
"Obsession du résultat, burn-out, dépression... les athlètes aussi peuvent vaciller" Meriem Salmi, la psy des champions les accompagne pour Paris 2024 "Obsession du résultat, burn-out, dépression... les athlètes aussi peuvent vaciller" Meriem Salmi, la psy des champions les accompagne pour Paris 2024 (franceinfo)

Vous codirigez une thèse sur les risques psychosociaux chez les sportifs de haut niveau. Qu'avez-vous pu observer ?

Déjà, il faut préciser que les troubles de la santé mentale chez les sportifs de haut niveau viennent principalement des processus psychologiques qui sont sous-jacents et peuvent être provoqués par différentes choses présentes dans l'environnement. Dans ces processus, il y a par exemple la baisse de motivation, qui peut être associée à des troubles dépressifs, ou encore les pensées négatives répétitives, que l'on appelle aussi les "ruminations".

On a également identifié des compétences émotionnelles, c'est-à-dire la capacité à identifier, comprendre, exprimer, réguler et utiliser ses émotions et celles des autres. Il y a aussi les croyances dans les pensées, que l'on appelle les "métacognitions". Ce sont des croyances négatives que l'on peut avoir sur nos propres pensées : chez les personnes dépressives, cela va être, par exemple, le fait de se juger. Dans le haut niveau, il y a des formes de perfectionnisme qui ne sont pas très adaptatives, on ne va pas forcément très bien gérer les erreurs ou les imperfections.

Plusieurs champions ont observé des moments de détresse psychologique, notamment après des grosses compétitions comme les Jeux olympiques...

Oui, c'est vrai. Les troubles anxieux et dépressifs arrivent souvent ensemble. Post-JO, on va avoir des variations énormes dans ces processus psychologiques, notamment concernant la motivation, qui va être un facteur clé, mais aussi les ruminations et les croyances négatives dans les pensées. On va ressasser beaucoup de choses, des pensées négatives vont jaillir et entraîner des détresses psychologiques.

C'est tout l'environnement du sportif qui va impacter ces processus : les attentes qu'il perçoit de son entourage, des médias, des spectateurs... Et ensuite, cela peut concerner un changement de structure, d'entraîneurs... C'est très divers. Après un cycle olympique, les gens peuvent vite oublier qui vous êtes. De plus, le renouvellement est très rapide. On se projette déjà vers la prochaine échéance et on cherche toujours des athlètes plus performants, plus jeunes, capables de produire les meilleures performances pour les Jeux. C'est à travers toute cette série de bouleversements qu'il faut malgré tout arriver à trouver ou garder son identité, y compris en dehors de sa seule figure d'athlète.

Des tribunes vides lors du match de football entre le Brésil et l'Egypte à Saitama (Japon), lors des Jeux olympiques de Tokyo, le 31 juillet 2021. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Plusieurs sportifs ont pris la parole pour exprimer leur mal-être après les derniers JO en 2021, dans un contexte particulier...

En effet, le Covid n'a pas fait du bien, il y avait du stress en plus pour les athlètes. Il fallait s'isoler, faire des tests PCR à répétition avant les compétitions... A Tokyo, cela ressemblait parfois à un film d'apocalypse dans les hôtels. En plus de devoir respecter toutes les règles sanitaires, il y avait également le fait de ne pas avoir de bruit dans le stade en raison de l'absence du public, les sportifs n'avaient pas leurs familles... J'ai des collègues en Roumanie qui ont eu quelques tentatives de suicide post-JO parmi leurs athlètes.

Paris 2024 sera-t-il difficile à gérer pour les athlètes français ?

Disons que c'est une préparation mentale qui est très complexe, avant et après l'événement. Le fait que ce soit à domicile génère encore plus d'attente. On a ressassé à tout le monde que c'était possible de se qualifier, donc pour tous ceux qui sont un peu justes pour obtenir leur qualification, ça va être très compliqué jusque dans les derniers instants. Il peut également y avoir de la casse dans les décisions de sélection. Sans nécessairement se projeter sur ce qu'il se passera après, on peut d'ores et déjà dire qu'avant les Jeux, ça va être compliqué.

Est-ce qu'aujourd'hui, les fédérations sportives proposent systématiquement un accompagnement par des préparateurs mentaux ?

C'est très aléatoire en fonction des fédérations et des groupes d'entraînement. Certains sont très structurés sur ces aspects depuis longtemps, comme par exemple la Fédération de rugby. Sinon, cela va être au sportif de chercher les ressources. Ce qui est bien, c'est qu'à l'Insep ou dans les Creps [Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive] il y a systématiquement des psychologues ou des préparateurs mentaux qui sont disponibles pour les athlètes. Il y a aussi les maisons régionales de la performance, qui sont souvent rattachées à des Creps et ont des effectifs dans leurs structures. Mais cela varie d'une région à l'autre.

Comment les sportifs peuvent-ils savoir vers quel professionnel se tourner ?

Les professionnels de la dimension mentale peuvent avoir plusieurs profils et des objets de travail différents. Le psychologue va s'intéresser à la santé mentale, le préparateur mental au moyen d'optimiser la performance et le coach en développement personnel va, lui, donner des compétences managériales à l'athlète pour qu'il gagne en autonomie et qu'il se développe en tant que personne dans la pratique de son sport. Selon les structures, on va privilégier tel ou tel profil.

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