Paris 2024 : la haute performance grâce à la recherche scientifique, un enjeu stratégique et bien gardé pour la France
Profiter d'un avantage stratégique pour briller aux Jeux. Depuis l'attribution des Jeux de Paris 2024 en 2017, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) a saisi cette occasion pour développer la recherche scientifique au profit de la très haute performance. Ce Programme prioritaire de recherche (PPR), qui associe des équipes de recherche reconnues dans leur domaine et des fédérations sportives, est doté d'un budget inédit de 20 millions d'euros, financé par France 2030 (un plan d'investissement pour renforcer la compétitivité) et opéré par l'Agence nationale de la recherche (ANR)."Ce financement a été rendu possible grâce à l'effet Jeux olympiques, et représente quarante fois ce que l'on avait auparavant", se félicite Jean-François Robin, chef de projet et d'animation du réseau national pour l'accompagnement scientifique de la performance.
Au total, douze projets ont été retenus, allant de l'équilibre de vie de l'athlète à l'intelligence artificielle au service de la performance en passant par l'optimisation du matériel et du geste sportif ou encore de la prévention des facteurs de risque. "Très rapidement, il a fallu protéger ces nouveaux travaux menés", remarque Jean-François Robin. Car derrière ce programme, l'objectif est bien de permettre à la France de battre son record de médailles, sans divulguer la recette à ses adversaires.
Une publication retardée post-JO
Si le domaine de la recherche est d'ordinaire très protégé, le contexte des Jeux olympiques et paralympiques en France a renforcé cette protection. Ainsi, ces travaux de recherche sont soumis à une surveillance accrue et des dispositifs juridiques encadrent toute diffusion publique. "Nous avons des clauses de confidentialité jusqu'à une date butoir, qui est celle des Jeux", appuie Jean-François Robin.
"Le processus de publication scientifique s'étend souvent sur un temps long, et la divulgation publique est de fait retardée.Toutefois, nous avons actuellement des résultats dont on sait pertinemment qu'ils sont très originaux [pour les JO] et dans ce cas, on attend que les Jeux soient passés pour publier", glisse Gaël Guilhem, directeur du laboratoire SEP (sport, expertise et performance), qui dépend de l'Insep. Et ainsi de conserver cet avantage sous le pied. "Dans certains domaines, comme en cyclisme, en natation ou en tennis de table, la recherche scientifique a permis des avancées importantes. On le constate déjà sur les compétitions internationales en amont des Jeux", observe Jean-François Robin, qui n'a aucun doute sur un record de médailles françaises à Paris.
Des recherches excluant les collaborations internationales
Les résultats des recherches sont hébergés sur des serveurs sécurisés avec des clés d'accès. "Ces serveurs sont d'autant plus protégés depuis que nous nous sommes vus attribuer les Jeux. Le ministère de la Défense s'est davantage penché sur le cas de l'Insep", souligne Jean-François Robin. La sécurisation passe aussi par un ensemble de mesures quotidiennes : sélection des personnes invitées aux réunions, partage restreint des liens de visioconférence ou encore un contrôle accru des entrées dans l'enceinte de l'Insep. Pour renforcer encore un peu plus la protection autour de ces programmes de recherche, les chercheurs sont invités à rédiger en français les publications intermédiaires avant une publication à l'international, en anglais, comme le veut la culture scientifique.
La réflexion va même plus loin."Dans le cadre du PPR, le projet de recherche a exclu dès le départ les collaborations internationales. Cela n'empêche pas des échanges ponctuels mais on maîtrise les informations que l'on partage avec les nations étrangères, tout en essayant de voir comment ces nations fonctionnent", poursuit le directeur du SEP, Gaël Guilhem. Pour maîtriser la divulgation d'information, des comités de pilotage sont organisés régulièrement entre les fédérations impliquées dans les projets de recherche et l'ensemble des parties prenantes. "Chaque mois, nous nous réunissions, et les projets de publication sont étudiés dans ces instances de coordination pour s'assurer qu'il n'y a pas de risques à partager certains résultats. En cas de désaccord, on attend", présente-t-il.
Pour autant, les groupes de recherche de l'Insep ne restent pas atones. Les chercheurs participent à des colloques et interviennent dans des médias. "Mais on ne communique que sur ce qui est d'un 'commun accord partageable'. Tout ce qui ne l'est pas, on le garde en carton pour plus tard, pour s'assurer que ce qui a été développé produit un avantage concurrentiel pour les fédérations françaises en premier lieu", insiste Gaël Guilhem.
Un intérêt croissant des délégations étrangères pour la France
L'ensemble de ces protections sont loin d'être anodines, car l'intérêt des délégations étrangères augmente à mesure que l'événement se rapproche. "On a toujours été approché, mais sur cette olympiade, le nombre de visites de délégations étrangères à l'Insep a doublé. Si les autres nations veulent voir comment la France se prépare aux Jeux en général, la dimension recherche fait partie de l'incontournable de ces visites", constate le directeur du laboratoire SEP. Sans oublier les questions récurrentes de la communauté internationale lors de colloques sur les travaux menés en amont des Jeux, ou encore le nombre d'invitations adressées aux chercheurs pour intervenir dans un congrès.
Le passé a déjà montré que les résultats de la recherche scientifique pouvaient apparaître comme un avantage. "Lors des Jeux d'Atlanta [en 1996], sur l'épreuve de voile dans la série Tornado [classe de catamaran], l'équipage australien avait développé une technique de navigation qui leur a apporté une grande supériorité dans les conditions de vent faible. Cette technique, alors inédite, leur a permis de remporter la médaille d'argent [leur meilleure performance]", se remémore Jacques Saury, professeur émérite à Nantes Université et au laboratoire Motricité, interaction, performance, et l'un des co-responsables du projet Du carbone à l'or en collaboration avec la Fédération française de voile. Selon lui, le clan tricolore aurait pris un avantage sur la concurrence étrangère ces dernières années. "Depuis le début de l'olympiade, les Français sont très dominateurs et ont de grandes chances de médailles", glisse-t-il.
Lors des Jeux de Londres en 2012, les Britanniques aussi avaient su profiter de l'avantage de la recherche scientifique. "Dix ans avant les Jeux de Londres, les Anglais ont mis en place un système afin de valoriser les produits de la recherche, et même de détacher des chercheurs auprès des équipes nationales, ce qui leur a permis de prendre une sacrée longueur d'avance sur tout le monde", rappelle Jean-François Robin. Un pari payant puisque les Britanniques ont glané 64 médailles dont 29 en or, terminant ainsi troisièmes du tableau des médailles, réalisant leur deuxième meilleure performance après les Jeux de 1908 et leurs 146 médailles.
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