Reportage Paris 2024 : électronique, aérodynamisme, intelligence artificielle… Comment le cyclisme mise sur la science dans sa quête de médailles
“Bienvenue dans nos seconds bureaux !”. En cette fin janvier 2024, Emmanuel Brunet a le sourire. Le responsable de la recherche et de la performance de la Fédération française de cyclisme (FFC) ouvre pour la première fois les portes de son laboratoire secret à médailles, niché non loin du vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines. Ici, au cœur d’une soufflerie construite en 1974 pour l’industrie automobile, la FFC travaille depuis plus de trois ans dans l’ombre, sur des “Programmes prioritaires de recherche (PPR) pour la haute performance.”
La mission est simple : maximiser les chances de médailles en cyclisme, en mobilisant tout le savoir-faire scientifique tricolore. Autour de lui, on trouve ainsi des enseignants de grandes écoles (ENS Lyon, INSA Lyon, Polytechnique…), mais aussi des chercheurs du conservatoire national des Arts et métiers (CNAM). Le but de cette troupe : “la quête de la perfection” du matériel, des tenues, et des stratégies pour les cyclistes tricolores. Autrement dit : se servir de la recherche scientifique pour aller chercher des médailles olympiques.
La science du détail
Depuis trois ans, la FFC mène trois PPR financés par l’Etat, à hauteur de deux millions d’euros chacun, en coopération avec des organismes scientifiques spécialisés. A la soufflerie de Saint-Cyr-l'Ecole, c’est l'Institut aérotechnique (IAT) du CNAM qui planche sur l’aérodynamisme des coureurs. Concrètement : des équipes d’ingénieurs encadrées par d’anciens coureurs (Jean-Christophe Perraud et Jérémy Roy) soignent depuis trois ans les moindres détails.
“Il n’y a pas que le vélo qui doit être aérodynamique”, explique Emmanuel Brunet, alors qu’un mannequin, posé au milieu de la soufflerie, illustre son propos. Cadre, fourche, selle, roues… Sur le vélo, tout a été étudié pour maximiser l’aérodynamisme, quitte à former de drôles d’engins. “Avant, on pouvait rouler sur des prototypes mis en vente l’année suivante, mais ce n’est plus autorisé aujourd’hui. Tout matériel utilisé doit être commercialisé, et déclaré auprès de l’UCI”, avance Emmanuel Brunet.
"Les profils de vélo sont déterminés par l’UCI. On ne peut pas demander à Airbus de nous faire des super vélos aérodynamique par exemple. On doit aussi respecter des normes de dimensions, d’empattement, de longueur de selle (entre 24 et 30 cm), de rayon des roues…"
Emmanuel Brunet, responsable performance de la FFCà franceinfo: sport
Un cahier des charges strict qui laisse toutefois de la place à l’innovation. C’est ainsi que l’INSA, prestigieuse école d’ingénieurs basée à Lyon, a pour mission de soigner la transmission sur les engins tricolores. “Ce qui passe par la tension de la chaîne, sa lubrification, mais aussi la pneumatique et la réduction des roulements dans le pédalier”, détaille ainsi Fabrice Ville, enseignant-chercheur.
Bluetooth, intelligence artificielle...
Pour le reste, les pistards français roulent sur des montures en carbone de 7 à 9 kg, moins coûteuses que celles en titane, et sur des vélos sans frein : “Pour s’arrêter, il faut arrêter de pédaler. C’est un système en pignon fixe”, souligne Emmanuel Brunet. Côté électronique, les vélos sont équipés de plusieurs capteurs de puissance nouvelles générations, “qui distinguent les deux jambes et nous donnent 200 fois plus de données, via un capteur de 100 g dans le pédalier, note Emmanuel Brunet. Ces données, on ne les avait qu’en laboratoire avant”.
Autre élément clé pour les cyclistes sur piste et du contre-la-montre : la tenue. En coopération avec le Coq Sportif, équipementier des équipes de France aux Jeux de Paris, la FFC planche depuis trois ans sur la combinaison idéale. “On a testé une trentaine d’échantillons de tissus, sur chaque partie du corps, pour former l’ensemble parfait”, détaille Philippe Odier, de l’ENS Lyon. Des combinaisons composées de polyester, d’élasthanne et de polyamide, et testées plus de 100 heures en soufflerie. Sur-mesure, ces pièces ne seront jamais commercialisées à grande échelle, car trop chères à produire.
Le VTT influence le monde
Ces nombreuses innovations pourraient toutefois, un jour, finir dans les rayons des grandes surfaces, à l’image des précédentes, souvent issues du VTT. “Les freins à disque ou les pneus tubeless, par exemple, ont été importés chez nous d’abord, avant de séduire le peloton sur route”, explique Yvan Clolus, manager de l’équipe de France de VTT. Autre exemple : en mars 2022, le monde a découvert la tige de selle télescopique quand Matej Mohoric a gagné Milan-San Remo avec, “alors qu’on l’utilise depuis quelques années en cross-country, pour mieux s’adapter au terrain”, glisse Yvan Clolus.
Aujourd’hui, les innovations sont davantage portées sur l’électronique, comme ce fut le cas avec l’intronisation des dérailleurs automatiques, et non plus mécaniques. Autrement dit, c’est via une connexion bluetooth et non plus un câble que les pilotes changent de vitesse de nos jours. Encore une innovation vite reprise par la route.
Mais le VTT va plus loin, avec dorénavant des suspensions électroniques. “On a des petits moteurs pour régler, durcir ou bloquer les suspensions en direct, basés sur une intelligence artificielle qui nous permet de tout régler avant la course, détaille Yvan Clolus. Les athlètes ne touchent pas aux suspensions pendant la course, elles s’adaptent en direct toutes seules”. Un système qui agit sur les suspensions avants, mais aussi arrières : “Cela permet d’avoir un vélo plus rigide, ce qui aide les gabarits légers sur des circuits avec beaucoup de montées.”
S’ils paraissent réservés aux champions, ces vélos pas comme les autres sont en réalité disponibles pour n’importe qui, ou presque. “Si on a beaucoup d’argent à investir dans un vélo, environ 15 000 euros, oui on peut se le procurer dans le commerce”, assure Yvan Clous. En revanche, ce qui fait la différence pour les professionnels, ce sont tous les réglages effectués le jour de course, par des mécaniciens haut de gamme, à l’intérieur des suspensions, des pneus, sur les roulements, l’optimisation de certaines pièces”. En résumé, tout le monde peut rouler sur le vélo du champion, mais pas mis au point comme le champion.
Des athlètes qui bénéficient aussi d’un coaching ultra-poussé. C’est ainsi que la FFC collabore avec l’école Polytechnique autour du BMX Race. Le but : s’appuyer sur la science pour parfaire la conduite des pilotes, notamment sur le départ et la posture en course, ce qui fait toute la différence dans cette discipline. Via des études statistiques, les Français savent maintenant comment ajuster leur stratégie de départ puis de course selon leur place sur la grille. “On leur dit quand poser la roue avant, s’ils doivent plus ou moins prendre d’élan au départ”, énumère Camille Arnault, enseignante et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en biomécanique.
Ce sens du détail, qui va du matériel aux stratégies de course, est le résultat de plus de trois ans de travail. Le but : mettre les athlètes dans les meilleures dispositions pour les Jeux olympiques même si, malgré tous les calculs possibles, le sport reste une science inexacte.
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