Paris 2024 : attentat, cyberattaque, chute d'une tribune... Comment les autorités ont simulé des scénarios catastrophe pour les éviter lors des Jeux

Une centaine d'exercices de crise ont été organisés dans toute la France en amont des JO, pour tester le niveau de préparation des différents acteurs et améliorer leur coordination.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Des policiers lors d'un exercice de crise simulant une attaque chimique menée par un drone au stade Geoffroy-Guichard, à Saint-Etienne (Loire), le 14 juin 2023. (YVES SALVAT / LE PROGRES / MAXPPP)

"Nous avons prévu l'imprévisible." La formule de Gérald Darmanin devant la commission des lois du Sénat, début mars, résume l'ampleur des enjeux de sécurité autour des Jeux olympiques de Paris 2024, dont les préparatifs touchent à leur fin : il reste, jeudi 18 avril, moins de 100 jours avant leur ouverture le 26 juillet. La France, comme tous les pays hôtes, se doit d'anticiper toutes les menaces qui pourraient venir gâcher la fête, y compris celles auxquelles personne n'avait pensé.

Les autorités redoutent, bien sûr, des incidents survenant directement durant les compétitions ou la cérémonie d'ouverture. Mais aussi des problèmes concomitants, a expliqué le ministre de l'Intérieur au Sénat, comme "une crise migratoire, des mégafeux, des attentats terroristes" n'affectant pas directement les sites olympiques, mais qui viendraient mettre sous pression le vaste dispositif mis en place pour sécuriser les Jeux. Raison pour laquelle de nombreuses configurations ont été simulées depuis un an dans le cadre de test events, des exercices de crise.

Si ces mises en situation sont déjà pratiquées à d'autres occasions, le pays tout entier est passé en mode "gestion de crise" à l'approche des Jeux. Un événement d'une ampleur inédite, que Pierre Rabadan, le monsieur JO de la Ville de Paris, résume ainsi : "Trente-deux championnats du monde en quinze jours dans la même zone géographique." Au total, une centaine de tests ont été réalisés, allant du simple exercice sur table à la mise en scène grandeur nature, évalue le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), chargé de piloter la majeure partie de ces entraînements.

Des simulations qui peuvent durer 48 heures

Pour bâtir l'intrigue de ces exercices, il a fallu marier la culture du risque à la française et celle importée par le Comité d'organisation olympique (CIO), qui arrive avec son propre "schéma de contingences" hérité des éditions précédentes, explique la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop). Attentats aux Jeux de Munich (1972) et d'Atlanta (1996), manifestations autour des Jeux de Pékin (2008), pandémie mondiale pendant la compétition à Tokyo (2021)... Les précédents ne manquent pas. La France n'est pas en reste, avec son propre contexte intérieur, marqué par une menace terroriste élevée, la possibilité de mouvements sociaux d'ampleur et un risque croissant de cyberattaques. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) explique ainsi s'être dotée d'un Centre de renseignement olympique afin d'identifier et de cartographier l'ensemble des risques et menaces qui pèsent sur les Jeux.

A partir de ces éléments, les différents partenaires (Paris 2024, le ministère de l'Intérieur, la préfecture de police de Paris, la Mairie de Paris, les préfectures, les parquets, mais aussi les services de secours et les transporteurs) se sont mis autour de la table pour "faire comme si". Des exercices simulant des crises majeures ont été organisés sur plusieurs sites en Ile-de-France, où se dérouleront la plupart des épreuves. Début décembre, les acteurs ont simulé sur 48 heures un scénario cauchemar censé se dérouler le jour de la cérémonie d'ouverture et le lendemain : une cyberattaque qui paralyse les transports en pleine canicule, alors que des manifestations viennent perturber la circulation.

La seconde manche doit se dérouler les 15 et 16 mai, avec, là encore, "divers incidents pour tester l'ensemble de la chaîne opérationnelle", dont "des épidémies d'origine alimentaire", explique Didier Talbot, membre du bureau Préparation de l'Etat aux crises du SGDSN. Environ 600 "joueurs" y participeront. "On lance le chronomètre à 8 heures. Il n'y a que les organisateurs qui connaissent le scénario", détaille-t-il.

"On essaie de se préparer à toutes les éventualités et d'être efficients dans la coordination et la circulation de l'information. Cela traduit le côté exceptionnel de l'évènement, le plus grand qu'on ait jamais organisé."

Pierre Rabadan, adjoint à la Ville de Paris en charge des Jeux

à franceinfo

Selon nos informations, la Direction générale des étrangers a imaginé, lors d'un exercice sur table, l'arrivée d'un bateau de migrants dans une zone où passe la flamme. Début avril, c'est une attaque aérienne qui a été simulée depuis le centre de commandement de la préfecture de police de Paris. Cette dernière a aussi mis en scène, au printemps dernier, un accident au Parc des Princes lors d'un match de football des Jeux. A la même période, un attentat terroriste avait été simulé au Stade de France, et un effondrement de gradins reproduit dans la Paris La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine), qui accueillera le bassin olympique. A l'automne, Roland-Garros a été le théâtre d'une fausse attaque chimique.

"C'est toute la chaîne qui est testée"

Les Jeux se déroulant sur tout le territoire, des entraînements ont également lieu loin de Paris. La SNCF a ainsi orchestré le faux déraillement d'un train en pleine nuit à Nantes, fin mars, avec près de 400 participants et figurants. Dans le Rhône, les forces de l'ordre et les secours ont mimé une intervention lors d'une tuerie de masse au stade de Décines-Charpieu, près de Lyon, qui accueillera onze matchs de foot cet été. "C'est toute la chaîne qui est testée, de l'arrestation des auteurs jusqu'à l'information du public", détaille la préfecture du département, précisant que les riverains ont reçu une alerte sur leur téléphone afin de les impliquer. "On a beaucoup appris depuis les attentats de 2015, relève Didier Talbot, du SGDSN. On a développé beaucoup de doctrines d'intervention."

Malgré la gravité des scripts, l'expérience peut rester "ludique" afin de "dédramatiser", confient plusieurs participants. L'objectif est de mettre chaque acteur à l'épreuve en introduisant des détails déstabilisants : circulation de fausses informations, procureur bloqué sur l'autoroute alors qu'il est censé se rendre sur les lieux, ambulance accidentée... Comme le rapportait à l'AFP un participant à la simulation d'effondrement d'une tribune à la Paris La Défense Arena, "c'est un exercice qui nous met dans des conditions au plus proche du réel, ce qui permet de nous dépasser pour être prêt le jour J, même si on espère que ce jour n'arrive jamais". A la Délégation interministérielle aux Jeux, on invite à ne pas tomber dans la psychose : "Il ne faut pas imaginer que les douze plaies d'Egypte vont nous tomber dessus parce que ce sont les Jeux."

Avoir un plan, et savoir le modifier

Ces exercices visent avant tout à tester la coordination et la communication entre les nombreux acteurs impliqués, une spécificité française. "Il y a un côté mille-feuille, mais une ingénierie qui n'existe nulle part ailleurs. C'était un défi pour le comité d'organisation [du CIO], ils n'avaient jamais travaillé de manière aussi étroite avec un Etat", glisse une source à Matignon. Après chaque exercice, un retour d'expérience est organisé à chaud et à froid, et chaque participant repart avec ses enseignements. "Au parquet, c'est l'occasion de rappeler que l'enquête judiciaire ne suit pas la crise, mais lui est concomitante", illustre une source judiciaire. "Cela permet de repérer les trous dans la raquette pour gagner du temps dans la réalité, qu'on n'ait plus qu'à dérouler le plan, expose de son côté la porte-parole du ministère de l'Intérieur, Camille Chaize. Et de nuancer : "Il faut toujours rester souple. En gestion de crise, on dit qu'il y a 'le plan, et comment on adapte le plan'."

"Aujourd'hui, les grands pièges sont dans l'angle mort", abonde Patrick Lagadec, directeur de recherche honoraire à Polytechnique, spécialiste de la gestion de crise. Selon lui, la France doit encore développer une "grammaire de la surprise" dans ce domaine. "Il faut se demander : 'Qu'est-ce qui pourrait être totalement décoiffant ? Ça ne veut pas dire le pire, mais le plus surprenant", développe-t-il, invitant à "sortir de la rationalité".

"La crise, c'est la destruction des références. Sinon, c'est de la gestion d'urgence."

Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion de crise

à franceinfo

Dans un rapport (fichier PDF) publié en avril 2023, l'Institut des hautes études de défense nationale estime que les Jeux peuvent justement "constituer une opportunité pour développer la culture de la gestion de crise en France". "Les savoirs que va emmagasiner le pays sont assez monumentaux, c'est peu de le dire au regard de tout ce qui a été entrepris", observe-t-on à Matignon. Au sommet de l'Etat, certains espèrent néanmoins que tous ces exercices s'avéreront superflus : "Le professionnel de la gestion de crise, c'est quelqu'un qui travaille beaucoup en espérant que son travail ne serve jamais."

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