Jeux paralympiques 2021 : "Je me suis battue contre tout un système et une manière de penser", raconte Béatrice Hess, ex-nageuse aux 20 titres paralympiques
L'Alsacienne fait partie des athlètes qui se sont battus durant toute leur carrière pour faire reconnaître le handisport.
Avec vingt médailles d'or aux Jeux paralympiques, Béatrice Hess est l'une des athlètes les plus titrées de l'histoire des "para". L'ancienne nageuse, qui a participé à cinq éditions, revient sur ses années de combat pour faire reconnaître les athlètes handisport ainsi que leurs performances sportives au même titre que les valides.
Son palmarès est impressionnant. En cinq Jeux paralympiques, Béatrice Hess a remporté 26 médailles, dont 20 en or. Elle détient aussi toujours le record du monde du 200 m nage libre (2'44''), jamais battu aux Jeux, dans sa catégorie S5 (swimming, classe 5). Atteinte de la maladie de pompe, maladie orpheline et évolutive proche de la sclérose en plaques, elle avait été contrainte d'arrêter la natation en 2013 à cause des risques d'infections de ses plaies.
Mais depuis un an, celles-ci se sont refermées et Béatrice Hess a pu retrouver le chemin des bassins, pour son plus grand bonheur. "Je suis sûre que je ferais des temps. J'étais moi-même étonnée du chrono mais quand j'ai regardé mes temps par rapport à ceux de ma catégorie, je me suis dit 'Purée, je serais qualifiée pour Tokyo !', rit la championne aujourd'hui âgée de 59 ans. Pour franceinfo: sport, elle revient sur les grandes étapes qui ont permis aux Jeux paralympiques de prendre une place de plus en plus importante.
Franceinfo: sport : Vous avez participé à cinq éditions entre 1984 et 2004. Quelles sont pour vous les grandes évolutions du mouvement paralympique entre vos premiers Jeux et aujourd'hui ?
Béatrice Hess : Mes premiers Jeux étaient ceux de 1984 et de 1988. Je les appelle les "Jeux antiques". En 1984, on parlait encore des Jeux internationaux de Stoke Mandeville, et pas des paralympiques. À l'époque, il y avait moins de pays, moins d'athlètes et plus de classifications qu'aujourd'hui. Le nombre de pays a progressivement augmenté (il a dépassé les 100 en 1996), et certains avaient une très bonne préparation à la différence de la France, qui était encore figée dans l'ancien système où les athlètes handicapés ne s'entraînaient que trois ou quatre fois dans la semaine.
On voyait aussi parfois des épreuves avec seulement deux athlètes, ou encore des nageurs avec des bouées. Forcément, quand on réécoute les commentaires sportifs des journalistes, on pouvait entendre que "ce sont des handicapés qui se font du bien". Nous devions faire face à de nombreux a priori. Pour ma part, j'étais une femme, handicapée et mère de deux enfants. Nous avions beaucoup de barrières devant nous.
Par ailleurs, nous n'avions pas non plus de kiné, de masseurs ou de vraies visites médicales. On faisait tout nous-mêmes, même au sujet des entraînements. Aujourd'hui, c'est davantage professionnalisé. Et puis, personne ne comprenait à quel point on s'entraînait, sauf les directeurs techniques. Mais nous, on se fichait de cela, des classifications.
"On se disait simplement :'on y va, on fait comme les valides'. On laissait derrière nous le handicap."
Béatrice Hess, vingt fois championne paralympiqueà franceinfo: sport
Votre palmarès exceptionnel s'explique notamment par votre méthode d'entraînement. À l'époque, vous étiez une des rares athlètes handisport à avoir une préparation professionnelle comme on le voit aujourd'hui et à vous entraîner autant avec des valides. Vous étiez une véritable pionnière.
Oui, ce que j'ai fait à l'époque, on le fait très naturellement aujourd'hui. Ce serait d'ailleurs inconcevable de ne pas le faire. À ce moment-là, aucune personne en fauteuil roulant ne s'entraînait avec les valides deux ou trois fois par jour comme je le faisais. On disait même que mon entraîneur était en train de m'achever et que je ne serais plus en capacité de réussir aux Jeux paralympiques. Mais la préparation que nous avions mise en place était très professionnelle. Nous avions calculé tous les paramètres et prévu un calendrier très précis d'entraînement.
Je me suis entraînée avec de nombreux athlètes valides, qui sont allés aux JO, comme l'actuelle ministre chargée des Sports, Roxana Maracineanu par exemple, et ces nageurs-là avaient la même préparation que moi. À l'époque, qu'un athlète handisport ait la même préparation qu'un athlète valide était inimaginable et pourtant je l'ai fait. À tel point que quand j'allais en stage handisport, c'était du repos pour moi.
Quelles grandes étapes ont, selon vous, permis au mouvement paralympique de se construire et de peser aux côtés des Jeux olympiques ?
En guise d'exemple d'abord, pour bien s'imaginer la situation, en 1988, nous avions eu droit à un reportage de deux heures, 15 jours après notre arrivée à Séoul, qui a été diffusé un samedi après-midi. Franchement, personne ne regarde la télévision à ce moment de la journée. La même année, à notre retour des Jeux, pour la première fois, le président François Mitterrand nous a reçu à l'Elysée. De nombreux journalistes avaient été invités pour l'occasion, mais rien n'est paru dans les journaux ou n'a été diffusé à la télé.
Ensuite, en 1996, il y a eu un déclic et une reconnaissance médiatique progressive, rendue notamment possible grâce aux éditions de Séoul et de Barcelone qui avaient permis de faire passer un cap tant l'engouement était fort pour l'époque. Lors de ces Jeux d'Atlanta, j'avais un jour de repos que j'ai consacré aux médias. C'était totalement nouveau et extraordinaire. Cette reconnaissance, à la fois des médias et de l'État, n'était pas énorme mais on parlait quand même de nous dans les journaux télévisés.
Alors que dans les autres pays j'étais adulée pour mon palmarès, que j'étais considérée comme la Marie-José Pérec de la natation, en France, je n'étais rien du tout.
Béatrice Hessà franceinfo: sport
Surtout, il a fallu plusieurs décennies avant qu'il n'y ait une reconnaissance sportive. Quand on réécoute certains commentaires sportifs, les journalistes ne saluaient jamais la performance sportive mais avaient plutôt de la compassion et de la bienveillance pour les non-valides.
Oui, on entendait les journalistes dire "c'est beau, c'est courageux ce qu'ils viennent de faire", mais pas un mot en revanche sur le caractère sportif. On était à leurs yeux des handicapés et pas des sportifs. Même le staff handisport résonnait encore à l'ancienne. Je me rappelle qu'à la fin des Jeux de Sydney, les membres de mon staff ont reconnu, en privé seulement, que ce que j'avais accompli était incroyable et que jamais ils n'auraient pensé qu'on puisse réaliser des choses aussi belles et si professionnelles, comme un athlète valide. Aujourd'hui, les athlètes handisport ont un boulevard médiatique devant eux.
La perception des paralympiques était aussi différente d'un pays à l'autre...
Absolument. En 1992 à Barcelone, on a vraiment senti un engouement. En France en revanche, on avait du mal à montrer les athlètes handisport à la télévision. Pour vous donner un exemple, on ne me voyait jamais à la télévision, même pas en photo quand j'étais porte-drapeau (aux Jeux paralympiques d'été d'Atlanta en 1996 et de Sydney en 2000) car j'étais en fauteuil roulant. On me voit dans l'eau, ou avec mes enfants à côté de la piscine mais jamais en train d'aller dans l'eau.
Pouvez-vous imaginer qu'une personne qui ait remporté sept médailles d'or lors d'une même édition paralympique et qui a battu un grand nombre de records, ne se retrouve dans aucune agence de presse ou dans aucune archive ? Je n'ai trouvé qu'une seule archive vidéo où j'apparaissais. Heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je me suis battue contre tout un système et une manière de penser. Aujourd'hui, tout est presque normal. Mais on ne se rappelle pas assez que nous nous sommes battus pour cela.
Selon vous, que reste-t-il à développer dans le handisport ?
Dans le handisport, beaucoup de choses ont déjà été faites. Et tout le monde a avancé dans le bon sens, que ce soit notre culture du handisport, les médias etc. Toutefois, il faudrait maintenant se pencher davantage sur les handicaps lourds. Car on ne leur donne pas assez de possibilités, pourtant ce sont des sportifs avant tout.
La France accueillera les premiers Jeux d'été paralympiques de son histoire en 2024. Qu'est-ce que cela peut-il apporter au handisport français ?
Organiser les Jeux paralympiques en France permettra de faire bouger les lignes, notamment au niveau de la Fédération. Ça a déjà obligé à créer des équipes comme pour le football fauteuil, ou la boccia. Avant, nous n'avions jamais eu d'équipe de France dans ces disciplines car cela coûtait trop cher en déplacement et que le handicap était trop lourd. Cela va donc booster les choses en faveur du handicap lourd. Et il va falloir que l'on rattrape notre retard si on veut que nos athlètes brillent à Paris, car d'autres pays sont vraiment en avance sur nous. Il va donc falloir mettre l'accent sur les stages techniques et les compétitions internationales qui serviront de préparation aux Jeux.
Sur le plan médiatique, je ne suis pas inquiète car la machine est lancée et la reconnaissance sera encore plus importante. On rêve aussi d'obtenir plus d'accessibilité grâce aux Jeux paralympiques, car ils sont un facilitateur dans ce domaine. Un des enjeux de Paris 2024 sera aussi de faire comprendre au public pourquoi cela s'appelle paralympique, et de communiquer sur l'histoire de l'événement. Cela fait partie de l'éducation. Les gens connaissent bien Pierre de Coubertin et les Jeux olympiques, ils doivent aussi connaître l'histoire des paralympiques.
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