"De 200 000 à 450 000 euros" pour équiper un enfant : le parcours du combattant des sportifs en situation de handicap pour s'offrir un appareillage adapté

Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
Photo d'illustration d'une prothèse d'une personne en situation de handicap dans un club de rugby fauteuil à Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 11 janvier 2023. (JC MILHET / AFP)
Si les fauteuils et les prothèses de la vie quotidienne sont pris en charge par la Sécurité sociale, l'appareillage pour le sport n'est lui pas remboursé et constitue donc un sérieux frein à la pratique.

"J'ai dû passer par un prêt bancaire." Pour financer sa prothèse adaptée à la course à pied, Frédéric Lazaro, marathonien et triathlète de 50 ans, reponsable commercial basé à Orléans (Loiret), amputé fémoral après un accident de moto à ses 18 ans, n'a eu d'autres choix que de puiser dans ses économies et de compléter avec un prêt bancaire. Coût de l'opération : environ 12 000 euros, dont 9 500 en emprunt. Avant ça, "c'était plus ou moins du bricolage", se souvient Frédéric Lazaro.

"Quand je me suis renseigné la première fois auprès de l'assurance-maladie pour savoir si un remboursement existait pour du matériel de sport, on m'a pris pour un ovni."

Frédéric Lazaro, amputé fémoral après un accident de moto

à franceinfo: sport

Encore aujourd'hui, le financement peut être un frein pour le paratriathlète. "Quand je dois changer de matériel, je dois toujours réfléchir à comment le financer", estime-t-il. L'histoire de Frédéric Lazaro n'est pas un cas isolé. En France, l'accès à l'appareillage sportif n'est pas pris en charge par la sécurité sociale, à l'inverse de celui du quotidien. "Les prothèses inscrites à la LPPR [liste des produits et prestations remboursables par l'assurance-maladie] sont prises en charge à 100 % par la sécurité sociale, quelle que soit l'origine de l'amputation. Il s'agit notamment des dispositifs médicaux pour traitements et matériels d'aide à la vie dont font partie les orthèses et prothèses externes, des dispositifs médicaux pour personnes handicapées", a répondu à franceinfo: sport l'assurance-maladie.

Toutefois, "les prothèses dites de 'loisirs', comme la lame de course, prothèse de bain, de ski, ne sont pas dans cette liste. Elles sont donc à la charge de la personne concernée", ajoute-t-elle. Et la situation diffère si le patient est atteint d'une maladie ou victime d'un accident, les assurances prenant pour ce dernier cas le relais de l'indemnisation en cas d'un tiers responsable.

Un vide comblé par les associations

"Ce non-remboursement est clairement un frein pour les familles, appuie Jean-Luc Clemençon, président de l'association Entr'aide, qui permet aux enfants amputés de s'équiper de lames de course. Quand vous faites le calcul, une lame coûte entre 12 000 et 24 000 euros, un prix multiplié par deux pour un double amputé. Ensuite, vous multipliez par dix pour suivre la croissance de l'enfant. On arrive donc entre 200 000 et 450 000 euros pour suivre la croissance d'un enfant." L'association équipe aujourd'hui 108 enfants dans la France entière et pas moins de 600 prothèses ont été prises en charge par Entr'aide depuis sa création en 2013. 

"Pour des enfants valides, faire du sport est très simple. Il suffit d'une paire de baskets et c'est réglé. Pour un enfant en situation de handicap, il faut le fauteuil, et ce n'est pas du tout le même tarif. Sans le soutien d'associations ou de fondations, l'enfant reste chez lui", constate Emilie Watremez, mère de Jade, 11 ans, amputée depuis ses 4 ans, installée en Occitanie.

Jade, jeune fille de 11 ans, double amputée depuis ses 4 ans, pratique le basket fauteuil et l'athlétisme dans la région Occitanie. (DR / EMILIE WATREMEZ)

"Sans les associations, c'est impossible pour un enfant de faire du sport aujourd'hui", regrette Patrice Pruvost, père de Maud, adolescente de 16 ans, amputée de la jambe droite de naissance, qui pratique le basket fauteuil et la danse classique. Pour lui, le sport a toujours été l'une des priorités pour sa fille, malgré l'inquiétude constante de trouver des financements. "Pour un enfant, avoir une lame, c'est plus qu'essentiel. Au-delà de la pratique d'un sport, il l'utilise aussi pour le plaisir de courir, de jouer à l'école ou ailleurs, de ressentir des sensations comme tous les enfants", témoigne encore Patrice.

Une loi qui avance doucement

Bien avant l'accueil des Jeux paralympiques en France, les associations de soutien aux personnes en situation de handicap plaidaient déjà pour un remboursement des appareillages sportifs. En novembre 2023, l'ancienne première ministre Elisabeth Borne avait d'ailleurs annoncé que le gouvernement allait "généraliser le remboursement des lames de course et des prothèses sportives dans la prestation compensatoire du handicap [aide humaine, technique, aux transports, à l'aménagement du logement..]", à partir de janvier 2024. Cette aide, qui peut prendre en charge jusqu'à 75 % de l'appareillage, dépend des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et non de la Sécurité sociale. Cela s'ajoute à la baisse du taux de TVA à 5,5 % (au lieu de 20 %) pour les équipements de handisport, instaurée en mars 2022.

"Sur les lames, nous sommes sur une mise en œuvre désormais accessible. Concernant les fauteuils, un projet de remboursement par la Sécurité sociale est en train d'être travaillé. La mise en place est un petit peu plus longue parce que les critères d'ajustement sont encore en discussion entre les acteurs", pointe Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) et corapporteuse de l'avis Développer le parasport en France : de la singularité à l'universalité, une opportunité pour toutes et tous auprès du Conseil économique, social et environnemental (Cese). 

Mais la mise en route réelle du dispositif prend du temps. Fin août, à une semaine du début des Jeux paralympiques, l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) lançait un appel auprès des pouvoirs publics en faveur d'un meilleur remboursement des appareillages permettant l'accès à l'activité sportive des personnes en situation de handicap qui le souhaitent. Contacté par franceinfo: sport, Jean-François Cantero, le président de l'UFOP regrette que la mesure soit "restreinte car elle ne concerne qu'un type de handicap", et "pas tous les sports". "Les prises en charge par les MDPH, donc des départements, ne seront pas uniformes sur le territoire, et feront naître des grandes disparités", souligne-t-il encore, en évoquant un "parcours du combattant" pour les patients.

"Sans budget plus important pour les MDPH, ce dispositif ne fonctionnera pas. Elles n'arrivent déjà pas aujourd'hui à honorer ce pour quoi elles sont créées."

Jean-Luc Clemençon, président de l'association Entr'aide

à franceinfo: sport

Avant même cette mesure, il était déjà possible d'obtenir des aides auprès des MDPH. Mais les procédures sont longues et pas toujours adaptées aux besoins. "Les aides sont vraiment à la marge, déplore Patrice Pruvost, le père de Maud. Généralement, il faut entre six ou huit mois pour avoir une réponse. On est donc obligé d'engager les frais avant de savoir s'ils peuvent rembourser une partie ou non."

"Des dispositifs existent, mais encore faut-il bien les maîtriser et cela reste administrativement compliqué. Cela dépend aussi des départements, où les règles d'attribution ne sont pas les mêmes. Un travail de pédagogie reste encore à faire", relève à son tour Guy Tisserand, trésorier adjoint à la Fédération française handisport (FFH). En ce sens, le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques a instauré début septembre une rubrique sur son site, intitulée Mon parcours handicap, qui "entend lever ce frein" en y "simplifiant l'accès des personnes en situation de handicap".

Maud, adolescente de 16 ans, amputée de la jambe droite de naissance, pratique le basket fauteuil et la danse classique. (DR / Patrice Pruvost)

Pour faire bouger les lignes durablement, beaucoup espèrent que l'héritage des Jeux de Paris 2024 soit tangible. "On espère que les Paralympiques permettront vraiment de changer de regard. Car pour la découverte et le haut niveau, il existe des aides, mais pour ceux au milieu, les sportifs amateurs, la pratique est souvent compliquée", analyse Guy Tisserand.

En parallèle, des pistes seraient à réfléchir, comme la réutilisation du matériel. "Un appareillage ou une aide technique pris en charge par la Sécurité sociale ne peut pas être redonné à quelqu'un alors même que celui-ci est encore en état. Il y a peut-être quelque chose à mettre en place pour qu'on puisse plus facilement réutiliser le matériel", pose Orianne Lopez, médecin coordinateur au sein du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Ou encore "de généraliser un système de prêt au sein des fédérations", émet Patrice Pruvost.

"Quand les patients découvrent ou renouent avec le sport, ils sont unanimes sur les bienfaits ressentis, assure Jean-François Cantero, le président de l'UFOP. Cela change leur vie, leur redonne de l'autonomie et facilite leur insertion". "La problématique, poursuit-il, est que l'on regarde trop les dépenses et les remboursements des dispositifs comme une charge alors qu'une personne qui est bien dans son corps, qui s'est musclée au point d'être autonome, n'a plus besoin de tierces personnes au quotidien. Donc au final, on réduit les dépenses." 

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