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"75 ans après, je m'en souviens comme si j'y étais encore" : deux rescapées d'Auschwitz témoignent de l'enfer des camps

On commémore en Israël le 75e anniversaire de la libération du camp nazi d'Auschwitz où un million de juifs sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi les rescapées, Ginette Kolinka, 95 ans et Eveline Szpirglas, 91 ans.

Article rédigé par Victor Matet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
À gauche, Ginette Kolonka, rescapée d'Auschwitz, 95 ans. À droite, Eveline Szpirglas, 91 ans, rescapée d'Auschwitz (photos de janvier 2020). (VICTOR MATET / RADIO FRANCE)

Quelques dizaines de rescapés français sont encore en vie, 75 ans après la libération du camp d'Auschwitz. Parmi eux, Ginette Kolinka, 94 ans, qui consacre sa vie à témoigner devant les élèves et à les accompagner lors de voyages scolaires en Pologne. Et Eveline Szpirglas, 91 ans, qui, elle, n'a parlé qu'une fois devant des collégiens.

L'appartement parisien de Ginette Kolinka, celui où elle a grandi et où elle est revenue après son retour des camps, raconte son histoire, de l'entrée, où se trouvent des affiches et des disques d'or du groupe Téléphone (elle est la mère du batteur Richard Kolinka), au salon où sont exposées de nombreuses photos. On y voit son mari, à qui, en cinquante ans de mariage, elle n'a rien raconté, mais aussi son père, son petit frère et son neveu, déportés avec elle, le 13 avril 1944, par le convoi 71, et qui ne sont jamais revenus.

Ginette Kolinka, survivante du camp de concentration d'Auschwitz devant des élèves à Esbly (Seine-et-Marne), le 7 mai 2019. (BENJAMIN MATHIEU / FRANCE-INFO)

Au Mans, Eveline Szpirglas s'est installée depuis deux ans chez l'un de ses fils, Bruno. Les photos sont restées à Paris et une partie des souvenirs aussi. Orpheline, elle y est arrêtée en juillet 1944 dans un internat. C'est le criminel de guerre nazi Aloïs Brunner en personne qui mène l'opération. "Il a débarqué comme un sauvage, nous réveillant, pour nous emmener", se souvient Evelyne Szpirglas.

L'enfer d'Auschwitz

Les deux femmes sont passées par Drancy avant d'être déportées à Auschwitz. Elles racontent chacune leur arrivée, "le froid", les cris et ce qui les a marqués. Eveline Szpirglas se souvient d'"un déporté qui a reconnu sa mère dans le convoi et qui a crié ‘Maman’. Il savait où elle allait". Quand elle raconte son histoire, Ginette Kolinka ferme les yeux et repart dans le passé : "75 ans après, je m'en souviens comme si j'y étais. Les déportés, c'est la saleté, c'est l'odeur, ça grouille de partout…" Elle parle de ce camion sur lequel elle conseille à son frère et son père, fatigués par les trois jours de voyage, de monter. Elle n'a pas le temps de leur dire au revoir. Elle ne les reverra jamais.

Je voulais les embrasser pour leur dire au revoir… Un petit bisou… Ils étaient déjà partis !

Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz

à franceinfo

Entrées dans le camp, c'est "l'humiliation de la nudité" pour Ginette Kolinka. Avant d'être tatouées, de devenir un numéro et de découvrir l'enfer d'Auschwitz. Ginette Kolinka est persuadée de se trouver dans un camp de travail, avec des champs et des cheminées. Elle apprend vite à quoi servent les cheminées. Des déportées lui annoncent sèchement que son père et son frère ont été gazés et brûlés.

Eveline Szpirglas reste trois mois à Auschwitz avant de partir pour la République tchèque. Pour elle, avoir fait partie du dernier convoi explique en partie sa survie. Elle parle aussi de son apparence lors des terribles sélections du tristement célèbre docteur Mengele.

J'étais blonde aux yeux bleus. Mengele me fixait dans les yeux, je le fixais dans les yeux et il me laissait. Pourquoi ? Je ne sais pas.

Eveline Szpirglas, rescapée d'Auschwitz

à franceinfo

Témoignage devant des élèves

Comme presque tous les rescapés, Eveline Szpirglas et Ginette Kolinka n'ont pas raconté leur histoire à la sortie des camps. En 2000, le président de l'association de Ginette Kolinka lui demande d'accompagner des élèves à Auschwitz. Elle accepte et, depuis, a accompagné des centaines de classes sur place. À bientôt 95 ans, elle continue de s'y rendre plusieurs fois par an, parfois par mois. Elle témoigne presque quotidiennement devant des collégiens et des lycéens de toute la France, de Rouen à Perpignan, en passant par Toulouse et Calais ou encore Limoges et Strasbourg. Sa vie est entièrement consacrée à ces témoignages. Même si elle avoue ne pas être sûre de ce que les élèves retiennent, elle répète inlassablement : "C'est la haine qui a conduit à ça."

Hitler voulait tuer tous les Juifs et c'est ce que je dis maintenant : quand vous commencez à dire 'je n'aime pas ceux-là', c'est un pas vers Auschwitz.

Ginette Kolinka, rescapée Auschwitz

à franceinfo

Eveline Szpirglas a parlé une seule fois devant des élèves. Ceux de la classe de son fils, professeur de musique dans un collège du Mans. Elle leur a dit que "le monde n'avait pas changé et que cela recommencera". Son pessimisme quant à l'avenir contraste avec son optimisme à Auschwitz. "J'ai toujours su que je m'en sortirais", explique-t-elle.

Eveline Szpirglas, 91 ans, rescapée d'Auschwitz, et son fils, Bruno Szpirglas, dans la ville du Mans en janvier 2020. (VICTOR MATET / FRANCE-INFO)

Elle va accompagner pour la première fois une vingtaine d'élèves, que son fils, 57 ans, a décidé d'emmener en Pologne. "Je ne me voyais pas le laisser y aller seul", indique Evelyne Szpirglas. Et quand on lui demande si c’est le professeur ou le fils qui organise le voyage, il répond, en marquant un temps : "C'est le citoyen".

Le témoignage de Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz - Reportage de Victor Matet

Le témoignage de Eveline Szpirglas, rescapée d'Auschwitz - Reportage de Victor Matet

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