On a pu le voir exposé au château de Fontainebleau en 2018, puis, un an plus tard, au musée national de Tokyo (TNM). A chaque fois dans le cadre de la prestigieuse collection du cheikh Hamad Al Thani, un millionnaire cousin du prince du Qatar. Pourtant, ce bouquetin de bronze est "incontestablement" issu du pillage d'un temple yéménite, selon Jérémie Schiettecatte, chercheur au CNRS. Un pillage favorisé par la situation chaotique du Yémen, explique-t-il à "Complément d'enquête". Le temple d'où provient la statue est situé dans une vallée où les missions archéologiques ne peuvent pénétrer sans risquer des enlèvements, précise le chercheur. Le seul archéologue qui ait pu se rendre sur place est yéménite. Il a pris des photos du site qui révèlent des traces de fouilles clandestines. On y distingue le trou creusé par des pilleurs pour accéder au temple, et même les seaux qu'ils ont utilisés pour déblayer la terre. Le conservateur est informé, mais "comme si de rien n'était", le bouquetin reste exposéJérémie Schiettecatte a informé le conservateur et les responsables du château de Fontainebleau, par mail, la veille de l'ouverture de l'exposition. Mais le bouquetin à l'origine douteuse est resté exposé, "comme si de rien n'était, déplore le chercheur. Les objets continuent à circuler et à être exposés en d'autres places, sans que ça ne gêne personne." Interrogé, le conservateur du musée de Fontainebleau dit avoir vérifié la provenance de la statue. Mais aussi s'être "reposé sur la documentation fournie par le conservateur de la collection Al Thani". L'équipe de "Complément d'enquête" a rencontré ce dernier au Japon un an plus tard. Le musée national de Tokyo accueillait à son tour la collection... avec le fameux bouquetin.Comment le bouquetin a-t-il été acquis ? "Nous pouvons en discuter, mais en privé"Amin Jaffer, le conservateur de la collection, vante le sérieux du cheikh Hamad Al Thani dans ses acquisitions, mais n'a-t-il vraiment aucun doute sur la provenance de cette statue ? Comment a-t-elle été acquise ? Son responsable des relations publiques veut bien "en discuter en privé", mais "ne souhaite pas répondre à ces questions devant une caméra". Une caméra que les journalistes devront éteindre sur ses injonctions. Extrait de "Trafiquants d'art : la guerre est déclarée", un document de "Complément d'enquête" à voir le 20 février 2020.