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"Frame by Frame" : quand l'Orchestre national de jazz revisite des joyaux du rock progressif des années 70

Des compositions de King Crimson, Pink Floyd, Genesis et Henry Cow revisitées par l'Orchestre national de jazz (ONJ) : "Frame by Frame", créé à la Maison de la Radio en décembre, est présenté mercredi 11 janvier à Nantes, puis le 10 février à Saint-Quentin-en-Yvelines et le 7 mars au Théâtre du Châtelet. Frédéric Maurin, directeur de l'ONJ, nous présente ce programme.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10 min
Une partie de l'effectif de l'Orchestre national de jazz (ONJ) à l'œuvre sur le programme consacré à des morceaux de rock progressif des années 70, autour de Frédéric Maurin, directeur musical de l'ONJ. (SYLVAIN GRIPOIX)

Une immersion dans le rock lyrique et orchestral des années 70. C'est la nouvelle aventure dans laquelle s'est lancé l'Orchestre national de jazz (ONJ) sous la direction musicale du guitariste Frédéric Maurin, après les passionnants Rituels, Dancing in your Head(s), Dracula, Anna Livia Plurabelle (en hommage à André Hodeir) et le saisissant Ex-Machina. Institution emblématique des grands ensembles dédiés aux musiques actuelles, l'ONJ propose un nouveau regard, de nouveaux arrangements, sur des morceaux légendaires de quatre groupes britanniques qui ont brillé durant la décennie 1970 : King Crimson, Pink Floyd, Genesis et Henry Cow.

Le directeur musical de l'ONJ a invité trois compositrices à réorchestrer à ses côtés plusieurs chansons, dont Frame by Frame de King Crimson, titre éponyme du projet : la trompettiste Airelle Besson, la flûtiste Sylvaine Hélary et la contrebassiste Sarah Murcia. Le nouveau programme a connu un beau succès lors de sa création le 10 décembre à Paris, à la Maison de la Radio et de la Musique. Trois autres dates sont déjà fixées : mercredi 11 janvier à Nantes, puis le 10 février à Saint-Quentin-en-Yvelines et le 7 mars au Théâtre du Châtelet. Frédéric Maurin présente ce nouveau programme à Franceinfo.

L'Orchestre national de Jazz le 10 décembre 2022 au Studio 104 de la Maison de la Radio, à Paris, pendant les balances, avec au premier plan Bruno Ruder aux claviers et le guitariste Frédéric Maurin, directeur musical de l'ONJ (ONJ)


Franceinfo : Comment est née l’idée de revisiter la musique de quatre groupes figures du rock progressif ?
Frédéric Maurin : J’avais envie de faire ce programme parce que toute cette mouvance a été très importante dans mon développement musical, ma découverte de la musique. Je pense que cela a influencé beaucoup des choses que j’ai faites. Évidemment, on ne retrouve pas forcément le même langage dans la musique que j'écris. Mais en ce qui concerne la forme, le développement, le fait de penser des morceaux qui ressemblent plus à des suites, à des faces entières d’album qu’à des pièces de 3 minutes 30, tout cela m’a énormément influencé. Par ailleurs, je n'ai jamais cessé de jouer toutes ces musiques.

Pouvez-vous nous conter votre histoire personnelle avec ce mouvement musical ?
J’ai commencé à écouter de la musique avec les disques de mes parents. Mon père écoutait beaucoup les Beatles, mais il y avait aussi beaucoup de groupes des années 70, beaucoup de Pink Floyd : j'ai un souvenir, quand j’étais tout petit, d’écouter Atom Heart Mother [album de 1970], Wish You Were Here [1975], The Dark Side of the Moon [1973]. Et puis, énormément d’albums de Mike Oldfield : Tubular Bells [1973], Hergest Ridge [1974], Ommadawn [1975]… J’ai d’ailleurs récupéré les vinyles ! Adolescent, je me suis mis à écouter Yes, King Crimson… En parallèle j’écoutais Hendrix et tout le rock, Led Zep… Mais j’ai toujours eu une attirance assez grande pour ce mouvement. Ce que j’ai toujours adoré avec les groupes comme Yes ou Genesis, c’est ce côté voyage musical : vous mettez un disque, vous écoutez la face en entier et c’est un trip... Je n’ai jamais été très fan d’une chanson qui dure 3 minutes 30, comme je le disais, et qui, finalement, peut être super aussi ! J’aime bien l'idée de développer la musique sur un disque en entier, c’est quelque chose qui est au centre de ce courant musical. On retrouve ça aussi chez Zappa, mais il ne fait pas partie de ce mouvement. Il y a une relation très forte à ce que j’ai écouté quand j’étais enfant. Ces choses-là vous marquent de façon importante.

Aviez-vous une ligne directrice, une ambition précise, sur la façon dont vous arrangeriez ces musiques pour l’ONJ ?
J’avais envie de les présenter dans le cadre de l’orchestre parce que je trouvais que c'était intéressant de les emmener un peu ailleurs, même si, avec Sylvaine Hélary, Airelle Besson et Sarah Murcia qui ont fait les arrangements avec moi, on a voulu garder l'essence de ses musiques. Il n’était pas question de les transformer pour en faire quelque chose qui rentre de force dans un cadre. Les forcer à devenir "du jazz" n'aurait eu aucun sens. On les a plutôt utilisées comme point de départ pour en faire de la musique en orchestre. D'ailleurs, le journaliste Franck Bergerot qui a assisté à la création du 10 décembre a évoqué à notre sujet "un orchestre 'de rock'" [ndlr : dans une chronique pour le site de Jazz Magazine].

Comment avez-vous recruté l'équipe de compositrices réunies avec vous sur ce répertoire ?
J’avais simplement envie que ce soit Sylvaine, Sarah et Airelle. Et je n’avais pas envie de tout arranger moi-même. Je pensais que c'était intéressant d'avoir différents points de vue. On s’est réunis plusieurs fois pour écouter de la musique et pour choisir les pièces qu’on avait envie d’orchestrer. Ça s’est passé un peu comme avec Rituels, même si dans ce cas c'était de la musique originale, ce n'est pas le même propos. Néanmoins, le fait d'avoir le même orchestre, la même instrumentation, vous permet d'avoir une cohérence même si ce sont des gens différents qui arrangent. Sur ce programme, on a un effectif assez particulier, avec sept cuivres (deux cors, deux trompettes, deux trombones, un tuba), quatre bois et une grosse section rythmique avec vibraphone, marimba, percussions, plus des synthétiseurs, une guitare... L'orchestre a une couleur assez cuivre que j'ai souhaitée aussi parce que je voulais dès le début travailler sur Atom Heart Mother de Pink Floyd. Ce n’est pas l’effectif complet du disque mais on s'en rapproche. Le fait qu'on ait cet orchestre avec une certaine couleur, je trouve que ça marche très bien dans ce contexte où vous commandez de la musique à différentes personnes. On s'est retrouvés aussi à faire pas mal de morceaux de King Crimson. J'étais très content au concert de création.

Atom Heart Mother, c'est un morceau rare de Pink Floyd...
Il a une histoire très particulière, il est complètement mal-aimé de Pink Floyd, du moins d'une partie. Aujourd'hui encore, Roger Waters dit que le groupe ne l'a pas aimé. Il y a un truc très bizarre dans cette histoire. Je trouve que c'est un morceau qui représente très bien une espèce de velléité de ce rock, à l'époque, d'aller vers des choses plus orchestrées, plus arrangées. En même temps, Pink Floyd est très simpliste dans son écriture par rapport aux autres groupes dont on parle ici. Mais Pink Floyd accouche de ce morceau très ambitieux, avec une orchestration magnifique de Ron Geesin, et qui sera très mal réalisé en studio... L'orchestre ne réunit pas le top des musiciens de sessions, et il y a un problème de direction pendant l'enregistrement... Et finalement, le disque sonne super bien, on a l'habitude de l'écouter. Alors qu'en fait, c'est faux du début à la fin. La façon dont les cuivres jouent, c'est une catastrophe ! Grâce à la science des ingénieurs, c'est mixé avec tellement d'habileté que ça passe très bien ! C'est un disque que j'adore ! Avant de le relever entièrement il y a quelques années, je n'avais jamais réalisé à quel point les cuivres étaient parfois à la ramasse...

L'Orchestre national de Jazz le 10 décembre 2022 au Studio 104 de la Maison de la Radio, à Paris, pendant les balances, avec au premier plan Bruno Ruder aux claviers et le guitariste Frédéric Maurin, directeur musical de l'ONJ (ONJ)


Comment avez-vous conçu la narration de ce répertoire pour en faire un programme cohérent, en plus de la couleur de l’orchestre ?
L’ordre des morceaux est apparu au cours des répétitions. Ce qui n'est pas facile avec ses pièces, c'est que la plupart sont assez longues, à part Frame by Frame [1981] et Industry [1984] de King Crimson, que Sarah a arrangées et qui durent 5 ou 6 minutes. Ce n'est pas évident d'imaginer un programme dans ce cadre. On a trouvé un ordre qui fonctionne bien. Certains morceaux sont assez proches, dans la forme, des originaux. Et d’autres sont peut-être plus ouverts, avec un peu plus de variations, de libertés. Toutes ces pièces sont très différentes ainsi que la façon dont elles sont orchestrées. Il y a une dimension qui évoque des petits tableaux orchestraux, des climats, suscitant un contraste et une richesse que j’aime bien. Il y a une forme de cohérence qui s’en détache, en tout cas je le pense. C’est aussi ce qui est ressorti pour le public et les professionnels qui sont venus nous écouter en décembre. On a eu un super retour, le public était à fond ! J’en suis très heureux. J'étais dans l’expectative du fait de jouer ces musiques dans le contexte de l’ONJ, parce que je savais que j’avais envie que tout ça sonne globalement comme du rock ! Certes, il y a des musiciens de jazz, il y a une façon d’aborder les solos qui en résulte, et ça emmène les solos vers quelque chose de spécifique, avec peut-être la capacité de prendre plus de risques - ceci dit, chez le groupe Henry Cow, il y avait beaucoup de liberté dans les solos et beaucoup de prise de risque. En tout cas, j'avais vraiment envie qu'on garde cette couleur. Cette musique, c’est du rock.

Si vous aviez été musicien dans les années 70 – la décennie de votre naissance -, baigné d'influences immédiates très différentes de celles que vous avez connues, quel genre de musique auriez-vous pu écrire ?
Je ne sais pas, mais je crois que ça n’aurait pas changé grand-chose… [il rit] Évidemment, je suis aussi influencé par des musiques récentes et par des choses qui sont nées de la technologie, mais une grande partie de mes influences sont communes à plein de gens, et existaient avant ou pendant les années 70. C’est le cas pour la musique classique, Stravinsky, Bartók, Ligeti – même s'il n’avait pas fini d’écrire toutes ses œuvres à l’époque, comme Messiaen… Dans le rock, il y a pas mal de choses que j'écoute qui datent des années 90... Mais il y en a beaucoup qui datent d’entre 1965 ans et 1975… Dans le jazz c’est pareil, Wayne Shorter, Thelonious Monk, Ornette Coleman étaient déjà là même s’ils n’avaient pas fini leur carrière. Il y a plein de choses récentes qui m’influencent, mais celui qui aurait le plus manqué dans mon apprentissage de la musique, dans les champs possibles qu’il a ouverts, c’est Steve Coleman. De la même façon, les musiques spectrales de Gérard Grisey et Tristan Murail n’étaient pas encore là en 1970, mais je les aurais connues un peu après !

Le programme Frame by Frame va-t-il sortir en disque ?
C'est un vrai dilemme parce que tout le monde me le demande, en particulier depuis le concert de décembre. Mais ça pose des problèmes de droit. Donc pour l’instant, je ne sais pas, et ce n’est pas prévu d’un point de vue budgétaire. Mais si on trouve une solution, pourquoi pas…

Où en êtes-vous dans votre mandat, en termes de programmes à présenter ?
On travaille sur un second programme jeune public (après Dracula) autour de la musique de Frank Zappa pour la fin 2023, si possible. On aimerait bien qu'il y ait du mapping vidéo avec des animations d’illustrations d'Adèle Maury qui avait travaillé sur Dracula. Pour 2024, on a un programme avec l'ensemble Intercontemporain qui sera coécrit par la compositrice Sofia Avramidou, Andy Emler et moi-même. Mon mandat court jusqu’à fin 2024, mais on terminera la diffusion sur la saison 24-25, ce qui permettra à la personne qui me succédera de se concentrer sur la production de ses programmes.


Orchestre national de jazz, concert Frame by Frame
Mercredi 11 janvier 2023 à Nantes, Le Pannonica, 20H30, salle Paul Fort
> Vendredi 10 février 2023, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, 20H30
> Mardi 7 mars 2023, Paris, Théâtre du Châtelet, concert commenté, 12H30
Festival Le Châtelet fait son jazz
À écouter : sur France Musique, l'émission Jazz sur le vif du 7 janvier 2023, consacrée au concert de l'ONJ du 10 décembre 2022 à la Maison de la Radio et de la Musique

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