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L'Orchestre national de jazz célèbre le centenaire du compositeur André Hodeir avec son chef-d'œuvre "Anna Livia Plurabelle" à la Maison de la Radio

À l'occasion du centenaire de la naissance du compositeur André Hodeir, l'Orchestre national de jazz (ONJ) présente son œuvre somptueuse et fascinante pour deux voix et orchestre, composée sur un texte de James Joyce, sous la direction de Patrice Caratini. À suivre en direct sur France Musique samedi 6 mars à partir de 19 heures.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le contrebassiste Patrice Caratini sur scène le 23 mars 2009 à Colombes. Il dirige l'ONJ le 6 mars 2021 à Radio France. À droite, l'affiche du programme "Anna Livia Plurabelle" (crédits : DR). (Benjamin Lemaire / MaxPPP - DR)

L'Orchestre national de jazz (ONJ) célèbre l'héritage musical d'André Hodeir, disparu en 2011, à l'occasion du centenaire de sa naissance (il est né le 22 janvier 1921 à Paris) et du dixième anniversaire de sa mort. Violoniste, compositeur, arrangeur, critique musical, écrivain, pédagogue, Hodeir a établi par son travail des passerelles en France, à partir des années 1950, entre les musiques classique, contemporaine et le jazz, signant des pièces d'une grande originalité et sophistication.

Un artiste "iconoclaste, très en avance sur son temps"

"André Hodeir est un personnage assez iconoclaste, un compositeur très en avance sur son temps", explique Frédéric Maurin, directeur artistique de l'ONJ. "En termes de formation et d'apprentissage de la musique, il est contemporain de Pierre Boulez. Mais il s'est toujours senti proche d'une certaine forme de jazz. Il avait une vision personnelle, un langage musical assez complexe, une façon particulière d'écrire, de penser la musique. Il côtoyait ce qu'on a appelé le Third Stream [ndlr : "troisième courant", né dans les années 50, qui oeuvrait à fusionner jazz et musique classique européenne], un mouvement où l'on trouvait des compositeurs comme Gunther Schuller, George Russell et John Lewis."

Au milieu des années 60, André Hodeir se lance dans l'écriture d'une œuvre très ambitieuse, Anna Livia Plurabelle, composée sur le texte éponyme du chapitre le plus connu d'un roman de James Joyce, Finnegans Wake, un ouvrage totalement énigmatique, réputé inaccessible, dans lequel l'écrivain irlandais maniait des éléments de différentes langues. Ce texte dépeint un dialogue entre deux lavandières.

Considérée comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre du compositeur, cette sorte de cantate de jazz d'environ 50 minutes, écrite initialement en version franco-anglaise pour deux voix et vingt-trois instruments, est retransmise sur France Musique samedi 6 mars 2021, en direct à partir de 19 heures dans l'émission Jazz Club dans le cadre de son cycle Jazz sur le vif. Prévu de longue date, le concert ne pourra pas accueillir de public pour cause de Covid-19. Une autre partie du programme que l'ONJ interprétera à cette occasion ne sera pas diffusée samedi mais captée pour une prochaine émission : elle concerne des pièces écrites pour le Jazz Groupe de Paris, une formation que Hodeir avait fondée en 1954.

Patrice Caratini (à gauche), à la tête de l'ONJ pour le concert du 6 mars 2021, et Frédéric Maurin, directeur artistique de l'ONJ (Nathalie Mazéas / Sylvain Gripoix)

Un œuvre pionnière, "magnifiquement écrite"

La performance de samedi 6 mars constitue une formidable occasion de (re)découvrir une partition magistrale, pionnière en son temps à bien des égards. "D'une part, c'est une oeuvre qui se base sur un texte, rappelle Frédéric Maurin. Il y a une dimension d'articulation, un cohérence, entre le chant, qui contient du texte, et la musique, quelque chose d'assez poussé. Chez Joyce, il y a une façon d'écrire qui paraît incompréhensible à la lecture, mais qui possède une forme de musicalité, je pense que c'est ce que voyait Hodeir." 

Le directeur de l'ONJ admire d'autre part le brio du compositeur : "Il y a une maîtrise remarquable de l'écriture pour orchestre. C'est magnifiquement écrit et ça sonne incroyablement bien. Dans le jazz, peu de pièces sont pensées de cette manière : une œuvre de 50 minutes, sur la continuité, dans cette forme novatrice. Ça a été écrit avant la mode du rock progressif et ses 'programmes-concepts'. Enfin, dans l'utilisation du langage musical, c'est une œuvre qui comporte énormément de contrepoints, avec une écriture très précise, très fournie."  Si Anna Livia Plurabelle s'inscrit dans le jazz, la pièce ne comporte pas de phase d'improvisation mais des parties solo pré-écrites pour les chanteuses et les instrumentistes.
Extrait du dernier enregistrement en date d'Anna Livia Plurabelle, réalisé sous la direction de Patrice Caratini en 1992, sorti chez Label Bleu en 1994.


Frédéric Maurin a confié la direction de l'orchestre au célèbre contrebassiste, compositeur et chef d'orchestre Patrice Caratini, qui a bien connu Hodeir et a dirigé l'un des rares enregistrements de l'œuvre au début des années 90. Lors de la "reprise de création" (expression employée par l'équipe de l'ONJ pour cette œuvre si rarement jouée jusque-là) de samedi, les parties vocales féminines seront assurées par les chanteuses Ellinoa, mezzo-soprano, et Chloé Cailleton, contralto.

La pièce Anna Livia Plurabelle a été créée en juin 1966 à la Maison de la Radio et diffusée sur les ondes en février 1967. Elle a été reprise en 1971 pour une publication discographique aux États-Unis (rééditée en France en 1981) avec des textes intégralement en anglais. Par la suite, l'œuvre n'a été rejouée qu'en 1992 par l'ensemble Cassiopée du violoniste Philippe Arrii-Blachette, sous la direction de Patrice Caratini, une captation sortie en disque en 1994. "Les versions discographiques existantes sont très différentes, souligne Frédéric Maurin. Celle de 1966 a été enregistrée par les musiciens de jazz de l'époque, tels que Jean-Luc Ponty, Bernard Lubat.. Celle de 1992 a été enregistrée par un effectif comptant des musiciens issus du jazz tels que Marc Ducret, mais aussi d'autres issus de la musique contemporaine."

Un effectif intergénérationnel

Frédéric Maurin se réjouit de mettre en lumière une œuvre majeure du répertoire jazz français du 20e siècle servie par des artistes d'âges très variés : "Je suis très heureux car la version que nous allons présenter regroupe des anciens musiciens de l'ONJ, des solistes de l'orchestre actuel et des membres de notre Orchestre des jeunes. J'aime beaucoup ce côté intergénérationnel, le tout sous la direction de Patrice Caratini, un acteur majeur du jazz français." 


Jazz Club (Yvan Amar)l'ONJ joue André Hodeir, Anna Livia Plurabelle, samedi 6 mars 2021, 19H, en direct
Patrice Caratini (direction), Ellinoa (mezzo-soprano), Chloé Cailleton (contralto), Catherine Delaunay (clarinette), Julien Soro (saxophones), Rémi Sciuto (saxophones, clarinette, flûte), Fabien Debellefontaine (saxophones, clarinette), Matthieu Donarier (saxophones, clarinette), Thomas Savy (saxophone baryton, clarinette), Clément Caratini (saxophones, clarinette), Christine Roch (saxophone ténor, clarinette), Sophie Alour (saxophones, clarinette), Frédéric Couderc (saxophone basse, clarinette), Claude Egea (trompette, bugle), Fabien Norbert (trompette), Sylvain Bardiau (trompette), Denis Leloup (trombone), Bastien Ballaz (trombone), Daniel Zimmermann (trombone), Robin Antunes (violon), Stéphan Caracci (vibraphone), Aubérie Dimpre (vibraphone), Benjamin Garson (guitare), Raphaël Schwab (contrebasse), Julie Saury (batterie)

À écouter :

Arnaud Merlin, producteur sur France Musique, présente André Hodeir et Anna Livia Plurabelle dans la matinale "Au fil de l'actu" (5 mars 2021)

À lire :
Sur le site de Jazz Magazine, un dossier de Franck Bergerot sur le thème "Hodeir ! Mais pourquoi Joyce ?" : partie 1 ; partie 2 ; partie 3.

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