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Interview "Rituels" et "Dancing in your Head(s)", deux albums, deux univers opposés pour l'Orchestre national de Jazz sous la houlette de Frédéric Maurin

L'Orchestre national de Jazz a lancé à la rentrée les deux premiers enregistrements discographiques de la nouvelle équipe en place, "Rituels" et "Dancing in your Head(s)". Le directeur artistique Frédéric Maurin nous les présente.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'Orchestre national de Jazz (direction : Frédéric Maurin) le 7 juin 2019 en concert au festival Jazzdor Strasbourg-Berlin, avec entre autres Pierre Durand à la guitare, Bruno Ruder aux claviers... et en invité spécial le saxophoniste américain Tim Berne (tout à gauche en tee-shirt noir) (Patrick Lambin)

Depuis la prise de fonction de Frédéric Maurin à la direction artistique de l'Orchestre national de jazz en janvier 2019, le guitariste, compositeur et arrangeur n'a pas ménagé ses efforts. Trois programmes originaux, dont un pour la jeunesse, Dracula, ont été présentés sur scène. Un travail en direction des nouvelles générations a démarré au début de son mandat de quatre ans avec la création d'un Orchestre des jeunes à la tête duquel se relayent d'anciens directeurs de l'ONJ. Ouvrir davantage le jazz aux femmes est une autre préoccupation de la mandature actuelle.

Côté musique, deux des nouveaux programmes ont fait l'objet d'une sortie discographique simultanée fin août sur le label ONJ Records de l'orchestre. Il s'agit de Rituels, dont la création avait eu lieu le 9 novembre 2019 à la Maison de la Radio, et de Dancing in your Head(s), créé le 19 avril 2019 à Bobigny lors du festival Banlieues Bleues. Des albums très différents, ambitieux et passionnants. Un savant mélange d'orchestration et de chant pour Rituels, et une immersion électrisante dans le répertoire d'Ornette Coleman et de musiciens proches de son univers dans Dancing in your Head(s), arrangé par Fred Pallem.

Une session live le 27 novembre

Les concerts de sortie de ces deux disques, programmés à Paris fin octobre et mi-novembre, ont été annulés pour cause de Covid-19 et de reconfinement. En guise de consolation pour l'ONJ : une Victoire d'honneur du jazz au titre du palmarès 2020, ainsi qu'une session studio live en streaming autour de Dancing in your Head(s) vendredi 27 novembre à 21 heures.


Franceinfo Culture : Comment est né le projet Rituels ?
Frédéric Maurin :
D'une part, Rituels est né d'une envie d'écrire un programme dans lequel il y ait une instrumentation différente de celle pratiquée dans nos musiques, loin de l'idée que les gens peuvent se faire d'un orchestre de jazz, en particulier avec la présence d'un chœur. S'il peut y avoir une voix, il n'y a pas beaucoup de groupes qui aient un chœur. C'est le cas de Magma, par exemple. Je souhaitais aussi un orchestre acoustique avec une palette de timbres un peu plus large que celle qu'on pratique d'habitude, avec des cordes, des bois, des cuivres, une section rythmique avec des percussions, un orchestre un peu hybride, comme un petit orchestre de chambre. Ensuite, comme je souhaitais que l'on soit plusieurs à composer cette musique, j'ai demandé à Sylvaine Hélary, Camille Durand, Grégoire Letouvet, Leïla Martial de se joindre à moi. Troisième élément, par rapport à la dimension de la voix, j'avais aussi envie d'un programme qui évoque une sorte de rituel païen.

Un rituel, donc, sans dimension religieuse...
Si l'on regarde la musique dans l'histoire de l'humanité, on trouve surtout de la musique sacrée, dans le sens où elle possède une forme de spiritualité et est liée à certains rites de la vie. Et quand on dit "sacrée", on fait référence à la musique de l'Occident, en particulier celle qui était jouée à l'église. J'avais envie d'une sorte de musique de rituel imaginaire, "sacrée" sans faire référence à une religion. Une musique qui, au travers du chant, retrace différentes périodes de la vie, de la journée, des saisons, des cycles du vivant.

Comment les textes chantés ont-il été choisis ?
En réfléchissant à cette idée, avec Grégoire Letouvet [l'un des compositeurs], on est tombés sur un livre fantastique, Les Techniciens du sacré, un recueil de textes sacrés de toutes les civilisations de la planète. En le lisant, on a sélectionné des textes qui nous plaisaient beaucoup. Quand on s'intéresse à ces questions de rites et de la musique qui les accompagne, on retrouve les mêmes préoccupations depuis la nuit des temps. Dans ces textes, il y avait une forme d'intemporalité, et en même temps, des choses présentes dans notre quotidien aujourd'hui encore. On a travaillé tous ensemble et choisi les écrits qui nous inspiraient, et à quoi ils correspondaient par rapport à une idée de moment de la journée, du matin, du midi, de la soirée, de la vie... Il y a aussi quelques ajouts de textes extérieurs et un texte original de Leïla Martial. On a construit un programme qui se pense dans son entièreté. C'est assez simple mais il y a une forme de cohérence parce que tout le monde essaye de raconter une histoire commune.


Comment le projet "Dancing in your Head(s)", qui rend hommage à Ornette Coleman, a-t-il vu le jour ?
J'avais envie de consacrer un programme à un musicien de jazz qui m'a beaucoup influencé et que j'aimais particulièrement. Il y en a plein. Il y a Thelonious Monk, Wayne Shorter et Ornette Coleman. Pour Thelonious, je trouve qu'on ne peut rien y changer. Pour Wayne, ça a déjà été fait avec un orchestre. Et c'est encore autre chose au niveau du langage... Mais avec Ornette, il y a un truc très ouvert. L'autre idée, c'est qu'on ne pouvait pas faire plus opposé que ces deux premiers programmes ! Rituels sonne un peu musique de chambre avec beaucoup d'écriture, un orchestre énormément dans le détail, alors que Dancing in your Head(s) est beaucoup plus brut, avec un Ornette en version peut-être plus électrique qu'acoustique. Je trouvais que c'était bien de commencer par deux programmes très différents. Cela correspond en partie au rôle que doit avoir à mes yeux l'ONJ, celui d'être représentatif d'une certaine forme de diversité dans la création dans le domaine du jazz en grand orchestre en France

Pour ces albums, vous avez opté également pour deux choix de réalisation distincts, un album live et un autre enregistré en studio...
J'avais envie dès le départ que pour ces deux disques, l'un soit un live. C'est le cas de l'album sur Ornette. Pour moi, ce n'est pas du tout une musique de studio. L'autre non plus d'ailleurs. La musique, c'est toujours du live. Mais il y a des musiques qui prennent toute leur dimension sur scène, plus que d'autres, je pense.

Les deux concerts de sortie de disque prévus à Paris n'ont pu se tenir à cause du Covid-19, sans parler des engagement annulés depuis mars... Comment avez-vous traversé, à titre personnel, la crise sanitaire ?
Je n'ai pas écrit une seule note de musique. Je pense que j'ai joué une heure de guitare sur toute la période du confinement [ndlr : L'entretien a été réalisé juste avant le reconfinement]... Les gens qui ont des enfants à la maison - c'est mon cas - n'ont pas vécu le même confinement que ceux qui n'en ont pas.

Avec la pandémie et ses répercussions notamment sur les musiques improvisées, quelles sont vos inquiétudes pour l'avenir ?
Il n'est plus question d'inquiétude. Je suis absolument certain que dans les deux ans qui viennent, au moins un tiers, voire 40% des artistes, des groupes évoluant dans ce secteur ne seront plus en capacité de faire de la musique. Du côté des lieux et structures de diffusion, la situation sera identique. C’est absolument catastrophique pour la vivacité de ce secteur et comme souvent, les plus fragiles seront les plus touchés.

L'ONJ va-t-il mettre de nouveaux projets musicaux en chantier ?
Oui, on avance. On a un programme plutôt patrimonial, Anna Livia Plurabelle, d'André Hodeir [une œuvre de 1966 composée sur le texte éponyme de James Joyce]. On va le jouer à Radio France en mars 2021 à l'occasion du centenaire de la naissance d'Hodeir, et, je l'espère, à l'automne. C'est une œuvre entièrement écrite, ou même les solos sont écrits. En février 2022, on va créer un programme que je coécris avec Steve Lehman [saxophoniste américain]. C'est une commande en coproduction avec l'Ircam. Il y a aussi d'autres projets en prévision.


L'ONJ sera en live studio session vendredi 27 novembre 2020 à 21h pour présenter Dancing in your Head(s), via ses comptes Facebook et YouTube.
> L'agenda-concert de l'ONJ (conditionné aux restrictions sanitaires...)

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