Avec "Rock Around the Clock", il y a 70 ans naissait le rock'n'roll

Ce single de Bill Haley & His Comets allait changer la face du monde en lançant un nouveau genre musical.
Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Bill Haley & His Comets, le groupe qui a enregistré le premier morceau estampillé  "rock'n'roll" de l'histoire. (BETTMANN / GETTY)

Il y a tout juste 70 ans, le 12 avril 1954, le groupe Bill Haley & His Comets entrait en studio pour graver ce qui allait devenir le premier morceau estampillé "rock'n'roll" de l'histoire : Rock Around the Clock. Un rythme entraînant qui invite à danser, des paroles qui célèbrent la fête et parlent à la jeune génération. Un air qui peut paraître bien désuet de nos jours, mais qui à l'époque fait l'effet d'une bombe. Un véritable raz de marée médiatique qui va embraser l'Amérique et bientôt le monde entier.

Comment ce single et d'autres facteurs ont permis l'émergence de ce qui est devenu bien plus qu'une simple musique ? Véritable contre-culture, art de vivre, un des symboles sociétaux du XXe siècle, le rock'n'roll fête ses sept décennies.

La voix d'une génération

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les baby boomers aspirent à la liberté, la joie de vivre, l'insouciance et veulent se démarquer de leurs aînés. La musique est un des moyens d'émancipation, notamment quand elle chante les soirées du samedi soir, les flirts amoureux ou la passion des voitures.

Rock Around the Clock sort en mai 1954, le mois qui suit son enregistrement, mais il va surtout être mis en avant l'année suivante dans le film Graine de violence (Blackboard Jungle en V.O.).

Le long-métrage de Richard Brooks avec Glenn Ford traite des rapports difficiles entre un professeur débutant et ses élèves dans un lycée professionnel. Le conflit des générations, voilà ce sur quoi s'est appuyé le rock'n'roll en premier lieu.

Cette réexposition du morceau le place en numéro un des ventes aux États-Unis pendant huit semaines d'affilée. C'est l'explosion d'un nouveau genre musical, et Rock Around the Clock devient ainsi officiellement le premier single rock'n'roll de l'histoire, selon les ouvrages faisant autorité sur le sujet.

La déferlante Elvis Presley

Mais les fans du King arguent que leur idole a percé avant que Rock Around the Clock ne soit au sommet des charts.

En effet, le jeune Elvis Aaron Presley enregistre dans les studios Sun de Sam Philipps à Memphis le 5 juillet 1954. Son adaptation de That's All Right (Mama) du bluesman Arthur Crudup sort deux semaines après et constitue la seconde pierre angulaire de la naissance du rock'n'roll.

Elvis atteindra une notoriété bien plus grande que celle de Bill Haley, au point d'être surnommé le roi du rock'n'roll. Il est sans aucun doute l'artiste le plus célèbre du genre, et une des icônes majeures de la culture populaire du XXe siècle.

Son succès phénoménal en termes de ventes de disques, 120 millions de ventes d'albums, donne encore aujourd'hui le vertige.

Un style musical à la croisée des cultures

Alors, Bill Haley ou Elvis Presley ? Bien évidemment, le rock'n'roll n'est pas né en un jour, ni en un seul morceau. Avant Rock Around the Clock, on avait déjà entendu des rythmes dansants, des pianos frétillants et des guitares accrocheuses.

En 1951, Jackie Brenston sort le single Rocket 88, que certains considèrent également comme un des tout premiers titres rock'n'roll. On y entend un jeune guitariste au nom de Ike Turner, qui a cosigné la composition avec Brenston, bien qu'il ne soit pas crédité.

Le terme rock'n'roll apparaît d'ailleurs dès le début des années 1950, notamment dans l'émission de radio du disc jockey Alan Freed Moondog's Rock And Roll Party. Il s'agit d'une expression d'argot à double sens qui signifie aussi bien danser que faire l'amour. Mais si elle devient rapidement utilisée, c'est aussi pour distinguer le rock'n'roll blanc du rhythm and blues noir.

Pourtant, le rock'n'roll doit tout au blues : son harmonie sur trois accords, sa structure en douze mesures, et ses thèmes de prédilection qui connoteront à jamais le rock comme une musique peu fréquentable par les mentalités puritaines.

Muddy Waters l'a parfaitement résumé dans une de ses chansons : The Blues Had a Baby and They Named It Rock and Roll, soit littéralement "le blues a eu un enfant et ils l'ont appelé Rock'n'roll".

La country des colons blancs s'est mariée au blues des Afro-Américains. Le rock'n'roll est né d'un métissage, mais il faudra attendre les années 1960 et le groupe du label Stax Booker T. and the MG's pour voir sur scène une formation mixte avec musiciens noirs et blancs jouant ensemble.

Les pères du rock'n'roll

C'est toutefois bien un musicien noir qui a le mieux incarné le rock'n'roll. Si Elvis en était le roi, Chuck Berry en a créé de nombreux codes musicaux, à commencer par ces fameuses intros et ces solos instantanément reconnaissables.

Il est sans conteste le premier guitar-hero et a influencé plusieurs générations d'aficionados de la six-cordes. On ne compte plus les artistes qui lui ont régulièrement rendu hommage, en le considérant comme "le père du rock'n'roll".

Si on rebaptisait le rock'n'roll, on l'appellerait Chuck Berry.

John Lennon

Preuve de son immense influence, Johnny B. Goode est la seule chanson de rock'n'roll figurant sur Voyager Golden Record envoyé sur la sonde Voyager I en 1977, un disque contenant des sons et des images, afin de présenter à d'éventuels êtres extraterrestres la quintessence de la production vivante sur Terre, sous forme d'un inventaire des arts et des sciences. Une fierté que nous confirmait son fils en interview quelques semaines après la mort de son père.

Au-delà des artistes de blues, on peut rajouter aux côtés de Chuck Berry des noms tels que Little Richard, Jerry Lee Lewis, Sister Rosetta Tharpe, Fats Domino, Big Mama Thornton, Eddie Cochran ou encore Buddy Holly. Ce même Buddy Holly qui a popularisé un modèle de guitare électrique totalement inédit pour l'époque.

Si le mois d'avril 1954 marque aussi la naissance du rock'n'roll, c'est par l'apparition du prototype de ce qui reste encore aujourd'hui l'archétype de la guitare électrique : la Fender Stratocaster.

Une Stratocaster de 1954. (FENDER)

Quand on représente une guitare électrique, la forme du corps de la Stratocaster est la première qui vient à l'esprit. La double échancrure au niveau du manche était complètement novatrice à l'époque, quand sort le premier prototype en avril 1954. Leo Fender avait déjà frappé fort avec l'Esquire/Broadcaster/Telecaster en 1949-1951.

À la différence de Gibson qui affichait une esthétique de luthiers qui pouvait sembler élitiste, Fender mise au contraire sur une approche populaire, simple et efficace : le corps de la Telecaster était un "bout de planche", celui de la Stratocaster sera à peine plus élaboré avec un pan coupé pour plus de confort.

Si, au départ, la Stratocaster représente la quintessence du son clair et cristallin avec, entre autres, Hank Marvin des Shadows, Jimi Hendrix en fera bien plus que ce à quoi elle était destinée au départ, et elle deviendra rapidement au cours des décennies suivantes la guitare la plus utilisée. Dans le sillon du divin gaucher suivront Eric Clapton, David Gilmour, Jeff Beck, Rory Gallagher, Robin Trower, Ritchie Blackmore, Ry Cooder, Mark Knopfler, Chris Rea, Mike Oldfield, Stevie Ray Vaughan, John Mayer, Popa Chubby... impossible de les citer tous.

Une guitare devenue mythique, un single iconique, oui ce mois d'avril 1954 annonçait incontestablement une révolution culturelle qui porte encore toute son aura aujourd'hui. Comme le chantaient les Rolling Stones en 1974, soit il y a déjà un demi-siècle, "It's Only Rock'n'Roll but I Like It !"

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