: Interview Popa Chubby sort "Two Dogs" : "Ce que fait Trump en Amérique est criminel"
"Two dogs" : un album plus sage ?
Bien qu'il s'en défende en interview, cet album de Popa Chubby sonne moins agressif que certains de ses précédents, comme "The fight is on", "Deliveries after dark", ou le dernier "The catfish". Certes, le propos reste toujours virulent (notamment sur "Preexisting conditions" où il interpelle Trump), mais le son global semble s'être adouci. Un peu comme si le bluesman new-yorkais avait voulu arrondir les angles. Alors bien sûr, il y a toujours des guitares, mais moins tranchantes, plus rondes. Le piano est aussi plus présent qu'à l'accoutumée, tandis que les cuivres aportent une touche soul. Et même losrqu'un morceau démarre sur un riff texan endiablé comme "Chubby's boogie", très vite la guitare solo lorgne vers le jazz-rock mélodique. Il y a encore un peu plus de douceur avec la ballade "Wound up getting high" et ses phrases de guitares aux effets violons harmonisés. Mais en même temps, toujours du classic-blues tel ce "Rescue me".
Pour clore l'album, deux titres bonus en live : "Sympathy for the devil" des Stones, qui fait la part belle au piano, et le mythique "Hallelujah" de Leonard Cohen, dans une version très dépouillée guitare-piano-voix. Une respiration au milieu de ses concerts, et au cours de laquelle on l'entend dire "Si personne ne vous aime aujourd'hui, dites-vous que Popa Chubby vous aime !" Tout son mesage résumé en quelques mots.
Et comme il le dit lui même : "Peace, love and loud guitars"
Popa Chubby : l'interview directe, sans fioritures
Mercredi 25 octobre, rendez-vous est pris avec Popa Chubby par Skype, à 17h en France, 11h à New-York. On se prépare, on envoie l'invitation pour le rajouter en contact, pas de réponse. On imagine qu'il est déjà pris pour la promo de son album et que son planning est surbooké. On s'attend à le voir dans son studio d'enregistrement, au milieu de guitares vintage et d'amplis encore chauds. Avec son physique impressionnant en tête, on se dit qu'il ne faudra pas être hésitant, et surveiller son accent. A l'heure dite, fébrile, on tente l'appel....d'abord du noir, des bruissements dans le micro, puis une voix : "Hello, comment ça va ?" Et l'image arrive : Popa est dans son lit, souriant, chaleureux, et on entame la discussion comme avec un vieux pote sur des thèmes qui relient à la fois l'humain et la musique. Oui, on a vraiment parlé "Paix, amour et grosses guitares".
Culturebox : Il semble que le titre de ce nouvel album, "Two dogs", fasse référence à une vieille fable. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Popa Chubby : C'est le concept du disque. "Two dogs" est une vieille histoire, une fable. Elle signifie que tout le monde possède deux chiens à l'intérieur de lui-même. Et ils sont en lutte : l'un est bon, l'autre est mauvais. Dans le monde actuel, les gens sont "polarisés" : ils doivent choisir leur lion; et c'est particulièrement le cas aux Etats-Unis. Il y a une grosse vague de conservatisme et d'enrichissement, le monde va plutôt mal. Un chien parle d'amour et de raison, l'autre parle d'égocentrisme, et du côté noir de l'être humain.C'est vraiment le concept de l'album.
Votre album précédent : "The Catfish" faisait référence à un vieux blues du début du 20e siècle, et maintenant celui-ci parle de cette ancienne fable. Est-ce important pour vous de parler de votre passé, de votre histoire, de raconter d'où vient l'Amérique ?
Non ce n'est pas vraiment le sujet de parler d'où vient l'Amérique, mais c'est très important, et salvateur, d'étudier le passé, parce que si tu ne connais pas ton histoire tu vas la répéter. Tu vas refaire à nouveau les mêmes erreurs. Savoir "d'où vient l'Amérique" est une histoire intéressante, je vais te donner un exemple : j'étais dans le Colorado, dans les montagnes, en altitude. Au Colorado il y avait une tribu, les Utes, qui n'existe plus car ils ont été exterminés par les hommes blancs. Quand les premiers hommes blancs sont arrivés au Colorado, les indiens leur ont montré toutes les sources naturelles d'eau douce. Les indiens ont quitté les montagnes pour la saison, et quand ils sont revenus, les hommes blancs avaient posé des clôtures autour des sources, et ont tué tous les indiens. Voilà, ça c'est l'histoire de l'Amérique, Man. Quand on y pense, en Amérique on célèbre l'arrivée de Christophe Colomb, mais Christophe Colomb était un meurtrier et un tortionnaire. Et malheureusement, Colomb est vénéré, pas seulement en Amérique, mais dans le monde entier. C'est ce que font les gens quand ils ne peuvent pas contrôler, ils tuent. Ta question sur l'histoire rejoint le concept du disque : sois vigilant au chien que tu nourris à l'intérieur de toi. Le chien que tu nourris, c'est celui qui va vivre. Le chien que tu oublies, c'est celui qui va mourir.
A la fin du morceau "Preexisting conditions", vous demandez à Monsieur Trump ce qu'il va faire maintenant, et vous parlez également du "Obama care". Est-ce important pour vous de préserver ce qu'a fait Obama ?
Oui je le pense. Ce qui se passe en Amérique en ce moment est criminel, horrible. Le président Trump essaie d'effacer l'héritage d'Obama, d'éradiquer tout ce qu'il a fait. Les suprémacistes blancs n'ont pas accepté ce qu'avait fait un président noir, ils ont essayé de stopper Obama sur tout, et notamment sur le "Affordable Care Act" (La Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables, surnommé "Obama care" - NDLR) qui permettait à des millions d'américains de bénéficier d'une couverture maladie convenable. Mais avec le retour des "Preexisting conditions" (Conditions pré-existantes, titre du morceau - NDLR), si tu as déjà eu le cancer et que tu fais une rechute, tu n'es plus couvert, c'est complètement dingue, mec ! On a du se battre pour avoir un système de santé semblable à celui en France. Je suis souvent venu en France, j'ai été malade et soigné en France, et je sais que le système de santé ici est très bon. On avait obtenu quelque chose de similaire, mais ils font tout pour le supprimer, ils n'abandonnent pas. C'est vraiment effrayant, tu sais. Si ce sytème disparait, des millions d'Américains vont mourir. Et le fait que ce soit une possibilité me dépasse complètement, je ne le comprends pas. Alors la seule chose que je peux faire, c'est d'écrire une chanson qui en parle (rires).
Il y a deux morceaux live à la fin de l'album : "Hallelujah" (de Leonard Cohen, popularisée par Jeff Buckley - NDLR) et "Sympathy for the devil" (morceau phare des Rolling Stones - NDLR). A propos de ce dernier, vous savez que les Stones tournent toujours, à 70 ans et plus. Pensez-vous que vous serez toujours en tournée à cet âge ?
Oui je le ferai. Peut-être pas autant que je tourne actuellement, mais oui je continuerai. Tu sais, c'est la meilleure preuve de vie, pourquoi je ne le ferai pas ? Je ne me suis jamais senti au sommet. Quand on se sent au sommet, on meurt. Je veux juste continuer à jouer de la guitare. Je me considère comme un élève qui continue d'apprendre la musique. C'est ce qui me permet de rester jeune et frais.
Vous aimez tourner en France ?
J'adore venir en France, oui bien sûr ! C'est un pays magnifique, très diversifié, chaque région est différente. Je joue en France depuis 25 ans...C'est vraiment ma seconde maison !
Vous tournez très souvent. Comment faites-vous pour être si souvent en tournée ?
C'est épuisant tu sais, ça fatigue beaucoup. Mais c'est juste ce que je fais, Man. Je ne sais pas comment je fais. Je sais que la plupart des gens ne peuvent pas le faire, même des musiciens que j'ai engagé, c'est trop pour eux. Mais pour moi, c'est ma vie, j'adore ça. Je suis toujours en train de faire de la musique, que ce soit en tournée ou en studio, c'est une bonne façon d'occuper sa vie !
Et pour l'autre titre live "Hallelujah", cette version est très différente de celle que vous aviez l'habitude de jouer en concert. Celle-ci est plus intimiste, juste votre voix, votre guitare et un piano, et rien d'autre. Avec ce morceau, il y a toujours quelque chose de spécial qui se passe avec le public. Vous le ressentez ?
Oui, c'est parce que c'est ma chanson préférée au monde ! C'est vraiment à propos du texte. C'est pour ça que j'ai choisi de la jouer juste en duo avec le piano. C'est souvent un grand moment du concert, parce que ça donne une pause dans le rythme du show. Au milieu du set, le pianiste et moi, on joue 2 ou 3 morceaux en solo. On joue notamment du nouvel album "Wound up getting high" qui est aussi une ballade. Sur l'album je joue quatre parties de guitares harmonisées en effet "violon" (effet obtenu en montant le volume de la guitare juste après l'attaque de la corde - NDLR). C'est une pause au milieu de la puissance sonore du reste du concert.
Sur votre album précédent, vous aviez composé un instrumental intitulé "Blues for Charlie", et vous allez jouer au Bataclan en janvier 2018. Comment ressentez-vous le fait de jouer dans cette salle après les événements tragiques qui s'y sont déroulés ?
Je pense qu'il y aura beaucoup d'émotion. J'ai déjà joué au Bataclan de nombreuses fois, avant la tragédie. Tout ceci parle vraiment de la résilience des gens. Ils reviennent et rien ne les maintiendra à terre. C'est vraiment l'esprit de la France, tu sais. La France a donné la démocratie aux américains. Vous nous avez enseigné ce que la société devrait être, et nous oublions ça très souvent. Par exemple avec cet enf...de George W Bush, ce qui a caractérisé les Etats-Unis, c'est qu'ils se choisissent un ennemi, et qu'ils se focalisent dessus. Je me souviens à l'époque quand je disais que je partais en tournée en France, certains me disaient "mais qu'est-ce que tu vas faire en France ?" Quels idiots !
Je pense que ça va être une expérience exceptionnelle de jouer à nouveau au Bataclan, et je ne voudrais manquer ça pour rien au monde. Je jouerai "Blues for Charlie", qui au départ est un hommage à l'esprit de ces personnes à Paris, et puis qui est devenu un symbole pour tous les gens bons et justes. Ce que j'essaie d'apporter, c'est l'esprit de l'amour, de la compassion et l'idée de pouvoir vivre tous ensemble. Je crois réellement que 98% des gens ont un bon fond, c'est vraiment une toute petite partie qui est mauvaise. On a vu ça en France après les attentats de Charlie Hebdo, avec les millions de gens qui se sont retrouvés à République : des blancs, des noirs, des chrétiens, des musulmans, des juifs. Paris est un melting-pot comme New york : c'est un mélange de cultures et d'origines. Des personnes d'origine africaine, blanche, de différentes religions. C'est la même chose à New York. Et c'est génial. La diversité des gens, c'est ce qui rend la société forte. Donc ça sera bien de célébrer ça.
Oui et nous vous remercions pour ça, parce que votre musique est un message d'amour entre les peuples.
Si c'est vrai, alors je suis très heureux ! Si je fais de la musique c'est dans ce but. Plus j'avance en âge et plus je me dis que c'est pour ça que je fais ça. C'est pour ça que je ne m'arrêterai pas de tourner ! Je crois que chacun a un but, et si chacun essaie d'atteindre son objectif, on peut obtenir le meilleur dans ce monde. "So, it's good, brother !"
Popa Chubby sera le 31 janvier 2018 au Bataclan. Toutes les dates de la tournée sont ici.
Popa Chubby - "Two dogs" - Very Records - Sortie le 27 octobre 2017
La partie de l'interview dédiée aux "guitar-freaks"
J'ai trouvé que votre son de guitare, et le son global de l'album était moins agressif que sur les précédents, plus jazzy, plus soul.
Vraiment ? (surpris) Je pense qu'il y a vraiment des guitares "heavy" sur cet album, Man. Il y a quelques morceaux comme "Cayophus Dupree" que je joue sur une Telecaster directe dans un Princetone Reverb avec absolument aucun effet, car je voulais vraiment le son pur de la Telecaster, et ça donne effectivement une couleur un peu plus jazzy. Mais le reste des morceaux sont plutôt "heavy", mec. J'ai principalement utilisé ma Stratocaster sur ce disque. Je voulais revenir à la Stratocaster, à l'exception de "Cayophus Dupree" et peut-être un ou deux trucs. "Chubby's boogie" est vraiment "heavy", le titre d'ouverture "It's alright" a un solo de guitare au gros son. J'ai essayé de revisiter différents styles.
Sur certaines photos vous posez avec une guitare de marque "Novo", vous l'avez utilisée sur l'album ?
Oh oui je l'ai utilisée. Le gars qui fabrique ces guitares est Dennis Fano, un bon ami à moi. Ces guitares sont incroyables.
Elles sont avec des micros P90
Oui deux micros P90, j'adore ces micros.
Sur quel morceau peut-on l'entendre ?
Je l'ai utilisée sur "Chubby'boogie" c'est sûr, et aussi sur "Dirty old blues" en slide (sur le canal gauche - NDLR)
Vous êtes surtout connu comme un guitariste jouant sur Stratocaster, mais je crois que vous avez essayé différentes guitares dans votre carrière
Oui mais je voulais vraiment revenir à la Stratocaster, ou à la Telecaster. Tu sais, je suis un "Strat-man", mec. Pour moi, la Stratocaster est l'instrument le plus expressif. J'adore les Stratocasters. Beaucoup de guitares permettent de faire un son magnifique, mais c'est un seul son. La Stratocaster permet de faire des milliers de sons.
Vous avez changé votre micro chevalet ? Vous vouliez plus de puissance ?
Oui, un G&B, je l'adore. Ca me permet d'avoir un son plus rock, plus heavy
C'est aussi pour avoir plus de gain, le passage du Fender Twin Reverb au Marshall JCM 900 ?
Non, j'utilise les deux en même temps. Les deux ensemble donnent un très bon son, ils sont complémentaires. Tu as le meilleur des deux marques : le crunch du Marshall, et l'espace du Twin. Pour moi, les Marshall seuls sonnent "enfermé", un son trop "proche". Ca peut convenir à certains guitaristes, mais j'ai besoin de "reverb" et d'un son "ouvert".
Vous utilisez peu de pédales d'effets ?
Je joue la plupart du temps avec 4 pédales d'effets (parfois plus, mais rarement) : un délai analogique, un Tube Screamer Maxon OD9, la Wah-Wah Anniversaire Jimi Hendrix, et parfois j'utilise un Univibe. Mais la Wah, le Tube Screamer, et le Delay, c'est ce qui caractérise mon son. Jimi Hendrix n'utilisait que 4 pédales d'effets (Wah-Wah, Fuzz, Univibe et Octavia - NDLR). Tu sais, certains guitaristes ont tellement de pédales d'effets qu'ils doivent prendre le taxi sur scène pour les utiliser toutes ! (rires)
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