Cet article date de plus de sept ans.

Eternel second, râleur et artiste... Henrik, le prince français mal-aimé du Danemark

L'époux de Margrethe II est mort à l'âge de 83 ans.

Article rédigé par franceinfo - Alexis Magnaval
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le prince Henrik aux côtés de sa femme, la reine Margrethe, à Aarhus (Danemark), le 16 avril 2017. (PATRICK VAN KATWIJK / DPA)

Il aurait voulu être roi, le destin l’a fait seulement prince. Henrik du Danemark est mort, mardi 13 février, à l'âge de 83 ans, a annoncé la maison royale du Danemark. Epoux de la reine Margrethe II, né Henri de Laborde de Monpezat, il avait toujours aspiré au titre suprême de la monarchie danoise, mais le protocole ne l'y autorisait pas. Râleur comme un Français, il avait annoncé  en août ne pas vouloir être enterré aux côtés de sa femme. Selon la communication royale officielle, cette décision tient au fait "qu’il n’a pas été traité de manière égale par rapport à sa conjointe". La conclusion d'une grogne entamée en 1972, date de l'accession de Margrethe au trône.

Pourquoi n'être que prince et simplement altesse et non majesté, sans aucun statut ? (...) Cela me met en rogne car je suis victime de discrimination.

Le prince Henrik

dans une interview au "Figaro" datée de 2015

"Le Danemark, connu pour être un défenseur fervent de l'égalité des sexes, serait-il enclin à considérer les maris inférieurs à leurs épouses ?" s'interrogait-il encore dans Le Figaro, en 2015. Eternel insatisfait, Henri de Laborde de Monpezat n’était pas comblé non plus par le titre de prince consort, supérieur à celui de prince, obtenu en 2015. Ni par le fait que son nom, Monpezat, soit devenu en 2008 un titre de noblesse réservé aux membres de la famille royale.

Un diplomate capricieux

Pourtant, le prince Henrik aurait pu faire chavirer les cœurs de son peuple d'adoption. Il incarne au début le mari modèle : riche, diplômé, cultivé. Après avoir étudié les sciences politiques, le chinois et le vietnamien à la Sorbonne, où il rencontre d'ailleurs sa future femme, raconte Point de vue, il est nommé à l'ambassade de France à Londres, où Margrethe suit des cours à la London School of Economics. Trois ans plus tard, en juin 1967, leur mariage est célébré pendant dix jours à Copenhague. 

Mais régulièrement, le prince se plaint de sa condition, même si la fonction royale est symbolique dans cette monarchie constitutionnelle. La reine signe les lois votées par le Parlement, mais celles-ci ne sont effectives qu'avec le contreseing du ministre en question. Dans ses mémoires, Henrik confesse : "C'est très dur pour un homme de ne pas être considéré sur le même plan que son épouse." D'autant plus difficile qu'il touche parfois du doigt le prestige de la fonction suprême. Dans les années 1990, il remplace ainsi la reine, tombée malade, lors d'une tournée dans les provinces du Nord du royaume, raconte L'Express.

J'étais en première ligne. Je n'étais plus l'ombre, le deuxième, la silhouette, le clown, le toutou ! Pour la première fois, on a vu que je pouvais faire aussi bien que ma femme. La presse n'en revenait pas : 'Le prince a présidé la cérémonie avec brio !', 'Le prince s'est comporté comme un monarque !', 'Le prince sait se servir d'une fourchette !'.

Le prince Henrik

dans "L'Express", en 1996

Mais ce statut ne perdure pas. En 2002, lorsque la reine est souffrante pour la cérémonie des vœux du Nouvel an, c’est le prince héritier, son fils Frederik, 33 ans, qui la remplace. Henrik se dit alors choqué d'avoir été "rétrogradé comme numéro trois dans la hiérarchie royale". Sur un coup de tête, il quitte le pays pour protester et se réfugie dans son château de Caïx, près de Cahors (Lot). "Je vais avoir besoin de temps pour réfléchir", déclare-t-il à l'époqueLa famille royale accourt pour mettre fin au psychodrame.

"Il a été tourné en dérision"

Son dernier coup d'éclat, sa décision de ne pas être enterrée aux côtés de la reine, n'avait pas arrangé sa réputation dans la presse danoise, remarque Courrier international Henri de Laborde de Monpezat y était décrit comme "un homme amer, enragé – et peut-être imprévisible et malade", qui "laisse tomber la reine, très aimée par la population et, en même temps, s’expose ainsi en public de manière très défavorable".

Dans un portrait, La Libre Belgique listait les multiples critiques adressées au fil des années à l'époux de la reine : un "Français arrogant", "autoritaire", "machiste", "paresseux", vivant "aux frais de la princesse" et qui "ne parle pas, après tant d’années, correctement [le danois]". Son fils Frederik avait publiquement pris sa défense, dénonçant une persécution. "Il a été vraiment tourné en dérision depuis quasiment le jour où il a foulé le sol du royaume. (...) Le harcèlement public est l’une des pires choses qui existent. C’est triste pour lui et pénible pour le Danemark."

Au bout d'un quart de siècle, tout de même, j'aurais aimé être perçu comme un Danois. Officiellement, c'est le cas. Aux yeux de la population, non. On a toujours appelé Marie-Antoinette 'l'Autrichienne' et Marie-Thérèse, 'l'Espagnole'. Mon destin est semblable, sans doute. Ici, je serai toujours un intrus. Je le regrette, car le couple royal représente le pays.

Le prince Henrik

dans "L'Express", en 1996

Les étés dans le Lot

Originaire du Béarn, Henri de Laborde de Monpezat s'était replié sur son château de Caïx, auquel il est très attaché. Il y a vécu entre 5 et 15 ans, après des premières années en Indochine, où son père possédait des plantations. La demeure et son domaine viticole faisaient partie de sa vie. "Je m'en suis occupé pendant quarante ans et je peux dire que j'ai l'âme vigneronne, se vante le prince. Je participais pendant la guerre à la fabrication du vin. Mon âme est paysanne et j'en suis fier !" Il sort du château de Cayx 140 000 bouteilles par an, servies entre autres à la Cour danoise et sur les plateaux repas de la compagnie aérienne nationale. Chaque été, la famille royale vient s’y ressourcer trois semaines. Elle y organise des concerts : la Garde royale danoise ou le Conservatoire national de Pékin s’y sont produits.

Le château de Cayx, qui appartient au prince Henri, surplombe le Lot. (SUDRES JEAN-DANIEL / HEMIS.FR)

Le prince Henri était en effet un artiste dans l’âme. Il aimait écrire dans sa résidence estivale, quand la reine préfère y peindre. "Cayx est une thébaïde, car je n'ai pas ici d'obligations officielles, au contraire du Danemark, explique-t-il au Figaro. Ici je me sens plus libre et j'ai plus de temps pour cultiver mes goûts artistiques."

Une fibre artistique précoce puisqu’il a préparé, adolescent, le Conservatoire de Bordeaux. "La poésie nous permet de nous rapprocher des questions éternelles comme l'amour, la solitude et la mort", philosophe Henrik lors de la sortie de son ouvrage Roue libre. Le recueil de poèmes rassemblait des textes écrits en français et en danois, illustrés par les dessins de sa femme. Toujours en équipe avec la reine, il a traduit en danois Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir.

Un sculpteur au style surréaliste

Dernière corde à son arc : la sculpture. Collectionneur, notamment d’art africain et océanien, il créait aussi. En 2015, il a même exposé à Paris, après deux expériences au Danemark, à Aarhus et Augustenborg. Une trentaine d’œuvres étaient présentées, allant de 1 700 à 90 000 euros, rapporte Le Figaro. Son "moment de gloire", commente le journal, qui ne manque pas de relever parmi les créations du prince consort les "statues surréalistes et son bestiaire fantastique dont un hippo grassouillet, pattes relevées et sexe dressé".

Féru de culture, il a longtemps présidé la fondation Europa Nostra pour la préservation du patrimoine culturel européen. Il était aussi engagé dans la défense de la langue française. Toujours bougon, il regrettait auprès de Paris Match le déclin de la francophonie : "Ma langue maternelle est en pleine déroute, dénigrée par les Français eux-mêmes, qui la trouvent ringarde. Cela me fait une peine terrible." Pessimiste, le prince y voyait l’influence de l’époque. "Tout le monde a renoncé, même les parents qui n'osent plus reprendre leurs enfants lorsqu'ils commettent des fautes, s’alarme-t-il. Je suis atterré lorsque j'écoute la radio ou la télévision. Je constate avec effroi que ceux qui refusent les anglicismes sont considérés comme des ploucs."

Au Danemark aussi, le français perd sa place. Il y a même des Français qui font exprès de parler Anglais aux Danois qui maîtrisent le français !

Le prince Henrik

à "Paris Match"

Début 2016, Henri de Laborde de Monpezat avait pris sa retraite. Une façon de se désengager des obligations officielles, pour peut-être passer plus de temps dans son Sud-ouest natal. Dans son château, il était sûr d’être souverain. Mais c'est au Danemark, dans la résidence royale du château de Fredensborg, qu'il a vécu ses derniers instants.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.