Cet article date de plus de quatre ans.

Liberté de création, droit au désaccord, fin du harcèlement : à Cuba le gouvernement ne répond toujours pas aux revendications des artistes mobilisés

Cette semaine doivent normalement commencer des discussions, inédites dans l'histoire récente cubaine, entre le ministre de la Culture Alpidio Alonso et des représentants des artistes. Mais pour l'heure, aucune réunion concrète n'a été annoncée.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Un groupe d'intellectuels et d'artistes a manifesté, le 27 novembre, devant le Ministère de la Culture à La Havane. (YAMIL LAGE / AFP)

La promesse d'un dialogue entre le gouvernement cubain et les artistes réclamant plus de liberté d'expression semble désormais en suspens alors que le ton s'est durci du côté des autorités communistes, qui dénoncent un complot des Etats-Unis. L'engagement à dialoguer est l'un des principaux accords noués dans la nuit du 27 au 28 novembre, au terme d'une mobilisation spontanée et rarissime pendant quinze heures de quelque 300 artistes face au ministère.

"C'est un moment historique"

Rarissime car à Cuba, le droit à manifester n'est accordé que de façon exceptionnelle. Plus rare encore: pris de court, le ministère a accepté de recevoir une délégation de 30 manifestants.

Leurs revendications portaient notamment sur la liberté de création et d'expression, le droit au désaccord et la fin de la répression et du harcèlement contre les artistes indépendants.

Le Mouvement San Isidro, collectif d'artistes et intellectuels, réclame notamment plus de liberté d'expression. (YAMIL LAGE / AFP)

"C'est un moment historique quand un ministère de la Culture d'un pays de parti unique reçoit un groupe de jeunes en désaccord", raconte à l'AFP le cinéaste Juan Pin Vilar, 58 ans, qui a participé à la délégation pour "aider ces jeunes à avoir un meilleur avenir". Dans ce groupe, "il y avait même de vrais opposants ! Cette réunion était un exemple de comment on peut construire un pays".

Le gouvernement freine les dialogues

Mais dès le 28 novembre, le ton du gouvernement a changé. Le ministère des Affaires étrangères a convoqué le chargé d'affaires américain, Timothy Zuñiga-Brown, l'accusant d'"ingérence flagrante et provocante". Le dimanche, un rassemblement de plusieurs centaines de jeunes défendant la révolution socialiste a été organisé, en présence du président Miguel Diaz-Canel, vêtu d'un t-shirt aux couleurs du drapeau cubain.

Si dialogue il y a, il portera uniquement sur "tout ce qui concerne le socialisme", a-t-il prévenu. "Vous savez qu'ils ont essayé de nous piéger, ils ont monté un cirque médiatique", a-t-il ajouté: c'est "l'ultime tentative" de l'administration Trump pour "renverser la révolution cubaine".

Certes, rappelle Michael Bustamante, professeur à l'Université internationale de Floride, "depuis longtemps, le gouvernement américain verse de l'argent pour ce qu'ils appellent la promotion de la démocratie cubaine" et "ce sont des programmes controversés". Mais "c'est bien trop simpliste de dire que dès que quelqu'un a des demandes liées à la société civile, c'est orchestré par Washington".

Un collectif d'artistes à l'origine de la mobilisation

Tout est né d'une mobilisation du Mouvement San Isidro, collectif d'artistes et intellectuels jusque-là inconnu du grand public: 14 membres ou sympathisants du collectif se sont retranchés pendant dix jours dans une maison de La Havane, certains en grève de la faim, avant d'être délogés par la police le 26 novembre dernier.

Désormais de grands noms de la culture se sont joints à leur élan, comme Jorge Perugorria, l'acteur de Fraise et Chocolat, le réalisateur Fernando Pérez ou, via internet, les chanteurs Leoni Torres et Cimafunk.

L'artiste de reggaeton Dianelys Alfonso, mieux connue sous le nom de "La Diosa", fait partie des manifestants. (YAMIL LAGE / AFP)

"Ce qui est arrivé est inédit, toute une communauté d'artistes, y compris ceux proches des institutions, qui se sont solidarisés, c'est un éveil de conscience", souligne Camila Lobon, artiste plasticienne de 25 ans. "Ce qui a vraiment motivé la manifestation, c'est la demande de cette communauté pour que cesse totalement le harcèlement contre les artistes, les intellectuels, les journalistes et, de manière générale, les citoyens qui désapprouvent la politique de l'Etat à Cuba: une demande de respect et de reconnaissance de la liberté d'expression".

Le mouvement, une "farce" pour les médias d'État

Dans ce pays où la 3G n'est arrivée qu'il y a deux ans, internet a joué un rôle-clé, à la fois pour médiatiser l'action du Mouvement San Isidro, amplement diffusée en ligne, et pour inciter des centaines de jeunes artistes à rejoindre le ministère vendredi.

Alors que les réseaux sociaux offrent aux voix critiques une meilleure visibilité, ces derniers jours nombre d'entre eux ont dénoncé d'étranges coupures empêchant d'accéder à Facebook, Twitter et WhatsApp. Parallèlement, les médias d'Etat ont longuement démonté ce qu'ils appellent la "farce San Isidro".

Pour Camila Lobon, le changement de ton du gouvernement, "c'est une stratégie qu'ils ont toujours utilisée (...), de simplement nier qu'ils peuvent céder sous la pression populaire". "La réponse publique, dans les médias du gouvernement, est dure et je ne suis pas d'accord avec ça", confie Juan Pin Vilar, pour qui "ce dialogue doit continuer".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.